« L’exemplarité environnementale » dans la construction : de réelles capacités d’innovation ? 

Rédigé par

Mireille KLEIN

1852 Dernière modification le 27/04/2023 - 10:00
« L’exemplarité environnementale » dans la construction : de réelles capacités d’innovation ? 


Des avancées vers « l’exemplarité environnementale » ont certes été permises par de récentes dispositions, mais force est de constater qu’elles ne s’inscrivent pas dans un processus que l’on pourrait qualifier de très innovant ou à la hauteur de l’urgence caractérisée de changement de modèle notamment sur le plan immobilier. 

L’exemplarité, nous dit le dictionnaire, est « la qualité de ce qui est exemplaire », de ce qui fait exemple, de ce qui donne place à une représentation partagée et moralement valorisée du modèle que l’on veut suivre, car il représente une étape supérieure sur un chemin sur lequel nous aspirons à nous engager.

« L’exemplarité environnementale » -telle qu’elle est aujourd’hui traduite dans le droit positif français- semble à cet égard assez en retrait par rapport aux enjeux annoncés et ressentis en matière de lutte contre le dérèglement climatique. Certes, des avancées ont été permises et, en tous les cas, incitées, tant au travers de la loi que plus librement en expression d’une politique RSE engagée, mais elles ne s’inscrivent pas dans un processus que l’on pourrait qualifier de très innovant et à la hauteur des enjeux.

On peut relever trois grands axes récents d’efforts faits : 

L’assouplissement des règles d’urbanisme :

La Loi Climat et résilience (1) a élargi les possibilités de dérogations aux règles inscrites dans les plans locaux d’urbanisme (PLU) nonobstant l’impératif longtemps mis en avant de nécessaire sécurité liée aux documents d’urbanisme. 

Pour mémoire, outre le cas des adaptations mineures et des trois dérogations ponctuelles que visent l’article L. 152-4 du CU, l’ordonnance n° 2013-889 du 3 octobre 2013 relative au développement de la construction de logement a renoué en son temps avec l’urbanisme dérogatoire afin de faciliter la production de logements en zones tendues. Elle a pour ce faire habilité l’autorité compétente pour délivrer les permis de construire à déroger aux règles de hauteurs et aux obligations en matière d’aires de stationnement fixées par les PLU dans les conditions prévues par l’article L. 152-6 du CU. 

La loi n°2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte a élargi ce pouvoir dérogatoire afin d’encourager et de renforcer la performance énergétique des constructions selon des modalités aujourd’hui prévues par l’article L. 152-5 du CU.

La loi Climat vient, quant à elle, rajouter à ces possibilités 5 autres types de dérogations au nombre desquelles on pourra mettre en avant au titre de « l’exemplarité » 2 d’entre elles :  

  • La « dérogation toitures et façades végétalisées » : qui permet en cas d’installation de ces dispositifs, une dérogation aux règles de hauteur (jusqu’à 1m) et aux règles d’aspect extérieur (2) ;  
  • La récente (3) «dérogation exemplarité environnementale des procédés constructifs » (par exemple le bois) :  permettant une dérogation aux règles de hauteur allant jusqu’à 2,50m (sans ajout d’un étage) et la majoration des règles de gabarit (maximum 30%) pour les constructions allant au-delà des exigences de la RE 2020 ou à énergie positive.

Cette dérogation est expliquée comme impérative au regard de la nécessité d’augmentation de l’épaisseur de certains éléments du bâtiment dont les planchers pour pouvoir faire preuve d'exemplarité environnementale. L’opérateur est ainsi dispensé de bénéficier d’une modification du PLU et de l’intégration d'une clause spécifique (4).

En tenant compte de la nature du projet et de la zone d'implantation, l'autorité compétente pour délivrer le permis de construire ou prendre la décision sur une déclaration préalable pourra donc autoriser les constructions faisant preuve d'exemplarité environnementale à déroger aux règles des plans locaux d'urbanisme relatives à la hauteur, afin d'éviter d'introduire une limitation du nombre d'étages par rapport à un autre type de construction (article L. 152-5-2 du code de l'urbanisme).

Des mécanismes incitatifs d’ordre fiscal ou économique : 

Le dispositif d’investissement locatif Pinel (5) prévoit en effet depuis la loi de finances pour 2021 (6), l’absence de « rabotage » du taux de réduction d’impôt sur le revenu, en cas de signature d’acte d’acquisition en 2023 et 2024 d’un bien neuf ou remis à neuf qu’on qualifiera « d’exemplaire » sur deux plans cumulatifs : usage et confort d’une part et performance énergétique et environnementale d’autre part. 

L’exemplarité en termes de qualité d’usage et de confort consiste à céder des biens bénéficiant : 

  • D’une double orientation (fenêtres ou portes fenêtres sur au moins 2 façades d’orientation différente) pour les logements de type T3 et plus ;
  • D’une surface minimum des logements par typologie (28m2 pour un T1, 45m2 pour un T2, 62m2 pour un T3, 79m2 pour un T4, 96m2 pour un T5) ;
  • D’une surface minimum d’espaces extérieurs à usage privatif y compris pour les logements de type T1 (3m2 pour un T1 ou un T2, 5m2 pour un T3, 7 m2 pour un T4, 9m2 pour un T5). 

L’exemplarité en termes de performance énergétique et environnementale consiste elle, pour les permis de construire déposés à compter de janvier 2022, à atteindre par anticipation les seuils 2025 au titre de la RE2020 en cas de signature d’acte en 2023, et ces mêmes seuils assortis de la production d’un DPE A en cas de signature d’acte en 2024 (dans ce dernier cas il faudra faire la démonstration de l’exemplarité à la fois à l’échelle du bâtiment et à celle du logement, ce qui pour l’instant semble très difficile à concrétiser). 

Bien entendu, une politique engagée en matière de RSE militera aussi -au nom de la demande de l’actionnariat et de ses potentielles résultantes- en faveur d’une ambition plus grande en termes de réponse à l’exemplarité.   

L’exemplarité pourra enfin trouver un mode d’expression dans le cadre des textes restant attendus en matière de réversibilité (7) :

L’étude du potentiel changement de destination et d’évolution d’un bâtiment peut en effet permettre l’intégration d’une dimension complète de l’analyse du cycle de vie et de l’écoconception du bâtiment. 

Il s’agit finalement de lutter contre l’obsolescence des bâtiments et de créer le modèle d’un bâtiment à destination indéterminée (à usage multiple et interchangeable non standardisé) et d’ainsi décliner un urbanisme circulaire vertueux. 

Les réponses en termes d’exemplarité environnementale -on le voit- se développent mais restent à ce jour limitées pour de multiples raisons (raisons financières et de contexte économique, nécessité d’une volonté politique forte, nécessité d’une vision- pourquoi de pas s’inspirer de la nature pour construire de manière durable et économe ?, nécessité d’une capacité d’innovation technique -dont la bio-ingénierie- à la hauteur des enjeux passant sans doute aussi par une réforme de l’enseignement de l’architecture, limites assurancielles, nécessité d’assouplissement réel d’un système réglementaire trop lourd et trop complexe restant trop étriqué dans ses dérogations…). 

L’urgence est effective et réelle. 

Elle doit nous conduire à un changement rapide et ambitieux de modèles, de cadres réglementaires et de références afin de permettre une densité verticale répondant à la fois aux aspirations et aux enjeux d’une ville décarbonée et durable. 

Mireille KLEIN 
Responsable juridique/ référente Environnement RSE et enseignante en M2 et au CNAM Grand Est
 

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