Evolutions techniques et règlementaires liées à la sécurité incendie et au réemploi de matériaux

Rédigé par

Sebastien BONINSEGNA

Directeur

2693 Dernière modification le 28/11/2022 - 09:00
Evolutions techniques et règlementaires liées à la sécurité incendie et au réemploi de matériaux


Lors de projets de réhabilitation lourde, des diagnostics sécurité incendie peuvent être réalisés sur tout type d’élément d’ouvrage que l’équipe projet souhaite conserver pour des raisons architecturales, économiques ou techniques. Sur la base de l’expérience acquise en termes de réemploi in situ, le présent article aborde les notions essentielles de caractérisation de l’existant, de procédures de dépose et réparation indispensables pour garantir un réemploi hors site dans les règles de l’art. Il évoque également les nécessaires évolutions règlementaires à prévoir pour offrir à l’ensemble des acteurs le socle des futurs projets.

L’intégration des notions de réemploi au sein du RPC (1) : 

L’économie circulaire est un enjeu majeur au niveau européen (Pacte Vert pour l’Europe) (2) et en particulier pour les produits de construction. Un premier pas a été fait lors de la mise en place du Règlement Produit de Construction (3) (RPC) mis en application en 2011. L’exigence fondamentale n°7 concerne l’Utilisation durable des ressources naturelles. Cette exigence spécifie : « Les ouvrages de construction doivent être conçus, construits et démolis de manière à assurer : une utilisation durable des ressources naturelles et, en particulier, à permettre : 

  1. la réutilisation ou la recyclabilité des ouvrages de construction, de leurs matériaux et de leurs parties après démolition ; 
  2. la durabilité des ouvrages de construction ; 
  3. l’utilisation, dans les ouvrages de construction, de matières premières primaires et secondaires respectueuses de l’environnement ».

Il faut reconnaitre que la mise en application de cette exigence est très lente voire inexistante dans certains cas du fait de l’absence de règles dans le corpus normatif.

La proposition récente de révision du RPC proposée par la Commission européenne intègre de manière beaucoup plus précise cette exigence de prise en compte de la notion de réemploi des produits de construction. Dans ce cadre, la démonstration du maintien de certaines performances en cas réutilisation se doit d’être démontré. Pour les produits de protection incendie, cette démonstration est particulièrement importante : elle peut conduire à définir un usage différent du produit si l’évaluation conclut que les performances feu ne peuvent pas être confirmées ou si les performances feu du produit sont dégradées (par exemple un bloc porte initialement évalué pour une performance EI2120 (4) qui en réemploi ne peut être validé que pour une performance EI260) (5). Là encore les moyens de démonstration du maintien ou de reclassement des performances ne sont pas à ce jour totalement encadrés. Le partage au niveau européen de l’expérience acquise au niveau national peut être un atout majeur pour les acteurs qui auront mise en place ces modes d’évaluation.

Le réemploi in situ : des méthodes largement éprouvées

Les projets de réhabilitation, qu’il s’agisse d’un bâtiment d’habitation ou d’un établissement recevant du public potentiellement classé monument historique sont de plus en plus nombreux à envisager la conservation d’éléments en bon état apparent, qu’il s’agisse de dalles de faux plafond ou autres éléments d’aménagement, de produits de protection ou encore de blocs portes. 

Lorsqu’il s’agit d’éléments devant justifier de performances en réaction ou résistance au feu, la justification de ces dernières est étroitement liée aux informations figurant dans les DOE (6) du bâtiment.
En l’absence de documents justificatifs ou en cas de doutes liés à l’état de l’élément, le laboratoire agréé peut être amené à se prononcer après une visite sur site sur les performances en l’état et les éventuelles adaptations à prévoir afin de retrouver les performances initiales.

Cette visite sur site peut être complétée dans certains cas par des prélèvements d’échantillon afin de réaliser des essais d’identification ou de qualification en laboratoire. Ces méthodes d’investigations permettent régulièrement de conserver l’existant et de limiter le coût lié au remplacement simple des éléments.

L’installation des produits : une part conséquente des performances feu

Les problématiques liées au réemploi d’éléments issus d’un gisement externe sont non seulement liées à la recherche des caractérisations initiales (procès-verbaux, rapport d’essais, rapport de classement...) et à l’évaluation des performances en l’état des éléments mais également à l’évaluation des conditions d’installation ayant un impact non négligeable sur les performances feu de l’élément concerné.

Ces conditions d’installation, éprouvées lors des essais en laboratoire, concernent non seulement les parois sur lesquelles les produits sont montés, les conditions de montage entre une cloison légère et un mur en briques creuses étant forcément différentes, mais également les conditions d’assemblage des différents produits constituant le système (vitrage et ossature, système de façade, dalles de plafond et ossature porteuse…).

Il s’agit donc de reconstituer à l’identique ou de s’assurer a minima que les nouvelles conditions d’installation envisagées sont compatibles avec le maintien des performances de l’ensemble. Le défi de la chaîne des (nombreux) acteurs du réemploi est donc de maitriser le processus complet, de l’identification des performances du gisement à l’installation et la réception des ouvrages concernés. Il apparaît ainsi nécessaire d’assurer une traçabilité de l’opération en documentant les différentes étapes clés du processus.
Cette traçabilité peut être obtenue dans le cadre d’une inspection sur site :

  • Préalablement à la dépose permettant de conclure sur l’aptitude au réemploi des éléments visés et sur les éventuelles adaptations/essais à prévoir à la repose afin de conserver les performances initiales ;
  • Au moment de la repose en complément de la mission du contrôleur technique.

Le contexte règlementaire : de nécessaires évolutions

La loi de 2015-992 relative à la croissance verte focalise les efforts pour la construction sur la réhabilitation de l’existant en matière thermique, et sur l’utilisation des matériaux biosourcés. 

Le schéma actuel figé par les différents arrêtés ministériels s’intéresse principalement aux ouvrages neufs et impose la fourniture par l’entreprise des documents de classement (procès-verbal, rapport de classement, avis de chantier et Déclaration de performance (marquage CE)) permettant de s’assurer des performances de l’ouvrage réalisé. Le cadre juridique et réglementaire fixe également les rôles et responsabilités de chacun au sein du projet.

Ces documents de classement sont accompagnés des éventuels Avis technique ou DTA (7) lorsqu’il s’agit de Techniques Courantes mais peuvent également concerner des éléments d’ouvrage relevant des Techniques Non Courantes.

6 DOE : Dossier des Ouvrages Exécutés 
7 DTA : Document Technique d’Application

Dans le cas du réemploi de matériaux se pose forcément la question de la responsabilité prise par chacun des acteurs : la performance de la porte prélevée sur le gisement doit-elle être attestée par le « démolisseur », le fournisseur, le poseur, l’industriel (si identifié et encore existant) ou le laboratoire ?

Les retours d’expérience font état d’un manque d’informations à tout stade permettant au poseur de justifier des performances de son ouvrage, renvoyant ainsi systématiquement cette justification dans le cadre d’une démarche chantier par chantier pouvant faire appel à une validation préalable de la commission de sécurité, voire à une intervention d’un laboratoire agréé.

Afin de conforter le processus de réemploi et de le systématiser, il pourrait être pertinent, en complément de la prise en compte des exigences du projet de révision du RPC, de faire évoluer le cadre règlementaire national figé notamment par l’arrêté du 22 mars 2004 modifié en permettant la délivrance de guides de préconisations génériques pour les produits ayant une performance feu, tout en s’assurant des compétences des entreprises impliquées dans le process, via des certifications adaptées. La part spécifique à l’évaluation des produits qui pourrait être intégrée dans ces guides pourra également être valorisée au niveau européen dans le cadre du marquage CE des produits de construction. A noter que ce process s’applique à la fois pour les Techniques Courantes et les Techniques Non Courantes.


Un article signé Sebastien BONINSEGNA (Efectis – Direction Expertise) et Yannick LE TALLEC (Efectis – Direction Certification)


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