[Dossier Formation] #19 - Donner du sens aux apprentissages : technologie du bâtiment

Rédigé par

Nathalie Donckels

3807 Dernière modification le 05/02/2021 - 12:09
[Dossier Formation] #19 - Donner du sens aux apprentissages : technologie du bâtiment

Architecte indépendante depuis plus de 20 ans et enseignante en bachelier immobilier depuis la création de la section en 2004 (Haute École Charlemagne Liège & Haute École Albert Jacquard Namur en Belgique), il me semble plus qu’évident que la transmission des savoirs doit se faire essentiellement par une expérience de terrain. L’alliance de mes deux métiers est une force.
Étant en charge de plusieurs cours répartis sur les 3 années de formation, j’ai évolué tant avec mes étudiants qu’avec le milieu professionnel de l’immobilier. L’objectif est de motiver les jeunes et de me faire plaisir car l’enseignement est un enrichissement mutuel. Dans cet article, je souhaite vous montrer une partie de ce que j’essaie de mettre en place pour les étudiants, vous transmettre ma motivation et ma passion pour ce partage avec les jeunes. 

Donner du sens aux apprentissages : technologie du bâtiment

Au niveau de l’enseignement, il est primordial d’essayer de mettre l'étudiant au centre de ses propres apprentissages. En étant confronté à la réalité du terrain, il développe son sens critique et d’analyse. Cependant, il n’est pas toujours évident de mettre en pratique ce souhait d’une pédagogie plus participative. Pourtant le but d’une telle formation est bien de sortir d’un système traditionnel dans lequel l’étudiant est passif.

Quelle est la matière à voir ?

La technologie du bâtiment reprend l’ensemble des postes de la construction allant du terrassement aux énergies renouvelables en passant par des postes constructifs tel que le gros-œuvre mais aussi des postes techniques tels que l’installation de chauffage, l’électricité, la ventilation, etc. La formation doit donner aux étudiants les connaissances suffisantes pour être à l’aise dans leur future vie professionnelle face à un architecte, un ingénieur, un entrepreneur. 
 

Comment répartir la matière en 3 années ?

En 1ère année, la matière abordée concerne la construction du point de vue purement constructif. Nous démarrons avec les essais de sols, les terrassements pour ensuite voir les différents types de fondations, les murs contre terre, les différents types de murs, les planchers, la charpente et la couverture. L’isolation, la problématique des ponts thermiques et l’étanchéité à l’air sont des points constamment mis en avant.

La matière de 2ème année porte sur les techniques telles que le réseau d’égouttage, le système de chauffage – eau chaude sanitaire, l’installation électrique, les parachèvements intérieurs et les énergies renouvelables. La 3ème année permet d’aborder la pathologie ainsi que la performance énergétique des bâtiments bien que ce dernier point soit tout au long du cursus mis en avant.

Quelles matières pour un apprentissage actif ?

Certaines matières se prêtent bien à des travaux d'analyses individuels ou de groupe. C’est dans cette optique que la matière est scindée sur les 3 années d’études.  En 1ère année, la matière est donnée en cours ex cathedra car les étudiants sont très nombreux et c’est un choix stratégique pour ne pas noyer le milieu professionnel avec des étudiants qui ne disposent pas encore des bases. Ils sont donc évalués par un examen écrit. Les choses changent complètement à partir de la 2de, les étudiants sont évalués uniquement au travers de travaux individuels et collectifs.

Pendant plusieurs années, la matière technique était évaluée sous forme d’examens écrits. Une aberration car les étudiants étaient plus ou moins capables d’imaginer un réseau d’égouttage sans pour autant avoir jamais soulevé une taque de chambre de visite ; ils étaient questionnés sur les chaudières à condensation sans avoir ouvert la chaudière de leur propre logement, il en était de même pour le reste de la matière. 
 

L’adaptation de l’évaluation

Suite à cette constatation, il a été décidé de ne plus évaluer les étudiants sur base d’un examen mais sur base de plusieurs analyses pratiques. L’apprentissage de la matière se fait par module, chaque module reprenant un point spécifique de la matière. En début d’année, chaque étudiant doit choisir un logement type habitation qui lui servira de base pour l’ensemble des travaux. L’objectif étant qu’ils puissent analyser un bien pour lequel ils auront un maximum d’informations et un accès non limité. Le choix se porte généralement sur leur propre habitation.

L’approche de la matière est vue comme un échange entre l’enseignant et les étudiants ainsi qu’un échange entre les étudiants eux-mêmes. Prenons l’exemple du module concernant le réseau d’égouttage, l’enseignant aborde en classe les différents éléments qui font partie du réseau d’égouttage privé ainsi que les différentes situations d’épuration dans lesquelles peuvent se trouver les logements sur le territoire belge. La matière est expliquée en classe ainsi que les cas de figures classiques. En parallèle, les étudiants doivent analyser leur réseau d’égouttage. Chaque bien immobilier est différent et présente des caractéristiques qui lui sont propres. L’analyse amène les étudiants à comprendre l’installation en regardant où sont positionnés les différents points d’évacuation, en essayant de repérer le passage des tuyaux, à ouvrir les taques de chambre de visite et à faire couler de l’eau pour voir par quel tuyau elle arrive dans la chambre. 

Des contacts doivent également être pris avec la commune afin de connaître les règlements en matière d’épuration. L’égout est-il unitaire ou séparatif ? Un pré-traitement est-il nécessaire ? La dernière étape du travail étant l’avis de l’étudiant sur la conformité ou non du réseau. L’analyse et la matière se donnent sur plusieurs semaines. Pendant le cours, les étudiants ont l’occasion d’expliquer les problèmes qu’ils rencontrent, les cas de figure compliqués à comprendre, les incohérences, etc.

La théorie permet de voir une situation idéalisée, l’analyse pratique permet de mettre en avant la complexité et la diversité des installations. Le partage en classe est une façon de donner aux étudiants plus de cas concrets et de mettre en avant également que l’enseignant peut aussi se trouver face à une situation non connue et voir ensemble comment comprendre et dénouer une analyse problématique. 

            

La même démarche s’applique aux autres matières, ce qui amène les étudiants à ouvrir une chaudière, regarder où se trouve le vase d’expansion, à tester les interrupteurs, à vérifier la conformité ou non d’une installation électrique, à analyser les dimensions d’un escalier ainsi que sa structure et son revêtement.
 

Et les travaux de groupes dans tout cela ?

La vie professionnelle est également une vie d’interaction, de compromis, d’échange d’idées, de points de vue, d’acceptation des points forts et des points faibles des autres et de soi-même ainsi qu’une gestion du travail et de l’équipe. Les matières analysées en groupe portent sur les énergies renouvelables, systèmes économiseurs d’énergies et sur les pathologies. 

Ces deux domaines d’analyse nécessitent un regard critique et de synthèse. Un groupe, qui est amené à travailler sur les panneaux solaires photovoltaïques, va devoir prendre contact avec une firme qui place ce type d’installation, ainsi que se rendre chez un particulier qui a fait installer cela chez lui. Le but est de comparer ce qui est annoncé par le professionnel et la réalité d’une installation tant au niveau du coût, des primes et avantages fiscaux, qu’au niveau des gains et de l’entretien. 

Les étudiants doivent également faire une présentation devant le reste de la classe avec une maquette 3D de l’élément le plus important dans la production d’énergie. Par exemple, dans le cas des panneaux solaires photovoltaïques, ils doivent de manière didactique expliquer la réaction qui se fait au niveau du silicium pour créer de l’électricité. Ils doivent être capables d’approfondir la compréhension du système tout en simplifiant une information relativement technique.

 

Pour le travail de pathologie, les étudiants doivent trouver par eux-mêmes un cas d’analyse, peu importe le domaine. Cela peut-être aussi bien une pathologie structurelle que technique. Ils doivent faire appel à la matière vue pendant les 2 premières années. Ils sont amenés à analyser la situation, à mettre en avant des hypothèses sur l’origine de la pathologie puis progressivement affiner l’étude pour mettre en avant une cause et dégager une solution. Le côté vraiment positif et porteur de ce travail est qu’ils arrivent à proposer aux propriétaires des réponses à une problématique réelle.

Un travail peut-il être raté ?

L’objectif des travaux est de voir comment l’étudiant s’intéresse au problème rencontré. Quelles sont les démarches mises en place ? Va-t-il plus loin que ce qui est vu au cours ? Sa réflexion est-elle logique ? Grâce à ces travaux, le taux d’échec a largement diminué et dans certaines classes, il est nul. 

Et l’enseignant dans tout cela ?

Pendant beaucoup trop d’années, l’évaluation de la matière était réalisée par un examen en fin d’année. L’avantage de ce type d’évaluation n’est que le temps que l’on y consacre et qui est beaucoup moindre que dans la nouvelle formule par travaux. Pour une classe de 30 étudiants, les 30 copies d’examens avec un questionnaire identique sont remplacées par 5 travaux individuels et 2 de groupes soit une moyenne de 170 travaux par classe par an.  Le temps à consacrer aux étudiants, tant dans la correction des travaux que dans les échanges, est, de fait, largement supérieur mais l’apprentissage et la maîtrise sont également nettement supérieurs.  Les échanges avec les étudiants sont d’une qualité bien plus intéressante. 

En mode Covid

Ce type d’enseignement fonctionne aussi bien en cours présentiel qu’en cours à distance.  Cette année a démarré avec la matière théorique vue via des podcasts puis discutée en classe lors de cours en présentiel.  Elle s’achève maintenant avec uniquement des cours à distance et les travaux tant individuels que collectif sont menés à bien pour la plupart. Le taux de réussite risque d’être moins élevé de par la démotivation de certains étudiants et ce en raison de la situation de confinement qui les maintient dans une certaine léthargie. 
 

Et l’international dans tout cela ?

Depuis mai 2018, une convention de double diplomation a été signée entre la Haute École Charlemagne et l’ESPIPour notre école en 2018-2019, deux étudiants ont effectué leur dernière année à Paris et deux autres à Marseille. En 2019-2020 à nouveau deux à Paris et un à Marseille et actuellement trois sont à Marseille et un quatrième à Lyon. Sortir de son cadre, aller découvrir d’autres façons d’exercer son métier, s’ouvrir au monde, élargir ses connaissances et ses expériences humaines, ce sont aussi les objectifs de la formation des jeunes.

 

Conclusion

L’enseignement doit s’adapter à un monde où l’information est accessible tout le temps et partout. L’objectif de l’enseignement doit être de donner aux étudiants les outils pour être autonomes, réfléchis, objectifs et surtout de ne pas avoir peur de poser des questions, de creuser un sujet et d’être humbles.

 

Un article signé Nathalie Donckels (Architecte et Maître-assistant à la Haute Ecole Charlemagne – Section Immobilier - Belgique)

 


 

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