« L’industrie immobilière fait face à un changement total de paradigme »

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Salon BEPOSITIVE

1005 Dernière modification le 29/03/2021 - 10:03
« L’industrie immobilière fait face à un changement total de paradigme »

La crise sanitaire n’a pas épargné l’industrie immobilière. Au-delà du ralentissement de l’activité, les bureaux se sont vidés, les logements sont devenus, par nécessité, des lieux de travail, de nouveaux usages et attentes ont émergé. Pour Guillaume Carlier, Directeur RSE de Bouygues Bâtiment France Europe, cette crise révèle des tendances de fond. L’industrie immobilière doit s’en saisir pour les accompagner et démontrer sa responsabilité environnementale et sociétale.

Avec le développement massif du télétravail, le marché tertiaire est-il dans une impasse ? 

Le marché du bureau n’est pas mort, mais il est fortement challengé par cette crise. Le télétravail est entré en force dans les entreprises et il repositionne le bureau dans un nouveau rôle, celui du travail collaboratif. De fait, les espaces de bureaux vont devenir des espaces de rencontre, de vie, à forte valeur ajoutée sociale. On ne raisonnera plus en m² attribués aux collaborateurs mais en typologie de lieux, adaptés aux différentes étapes d’un projet, avec une exigence très forte sur l’ambiance, les services, la santé. La convivialité, la créativité, le « design thinking » vont devenir des leviers de la performance. Le bureau est donc appelé à poursuivre sa transformation, plus rapidement que prévu. Il va devenir un marqueur fort des valeurs de l’entreprise, de sa raison d’être, de sa relation à ses collaborateurs. 

 

Et dans le domaine du logement, quels sont les changements que cette crise appelle ?

La crise a placé le logement au cœur de toutes les attentions. Le fait que nous y passions de plus en plus de temps a fait émerger de nouveaux besoins : plus d’espaces, plus d’intimité, plus de nature et d’extérieur, mais aussi plus de lien social. Le logement doit relever le défi de l’hybridation des usages. Habiter c’est aussi pouvoir travailler, se soigner, faire du sport, consommer, cultiver un potager, recycler, produire de l’énergie ou encore étudier chez soi. De fait les opérateurs immobiliers ne peuvent plus penser le logement sans son environnement.

Le schéma classique de la promotion immobilière : j’achète un terrain, je bâtis, je dégage une plus-value foncière n’est plus un modèle pérenne et souhaitable. C’est à l’échelle d’un îlot qu’il faut réfléchir, pour proposer des espaces communs, des activités extérieures, des services partagés en matière d’énergie ou de mobilité. Parallèlement, la conception même des logements collectifs doit intégrer de nouveaux objectifs : la modularité, la flexibilité, l’évolutivité. On peut, par exemple, imaginer une « pièce en plus » mutualisée entre plusieurs familles ou encore des plans d’aménagement adaptables. L’aménagement intérieur va chercher également à optimiser les espaces, avec des meubles modulables et multifonctionnels, des concepts de murs équipés de meubles encastrés coulissants…le champ des possibles est vaste, la R&D des promoteurs est mobilisée sur tous ces sujets. 

Nous avons travaillé, au sein de Bouygues Bâtiment France Europe à divers concepts d’ouvrages réversibles. « Office Switch Home », intègre par exemple dès sa conception une possible transformation en habitat, en un temps réduit et à moindre coût, grâce à une plateforme technique singulière.

 

Y a t-il selon vous d’autres changements ou inflexions majeures générés par cette crise inédite ?

Cette crise place la promotion immobilière sur une nouvelle trajectoire, l’équation est complexe et avec de nombreuses inconnues, mais une chose est sûre, le retour à la vie « normale » sera différent, avec une forte appétence de lien social, une considération accrue des enjeux environnementaux, des évolutions comportementales profondes. Pour les promoteurs, c’est un changement majeur dans les manières de travailler, de concevoir, de construire, c’est un nouveau modèle économique à inventer, de nouvelles relations avec les collectivités locales, mais aussi avec les futurs acquéreurs de nos bâtiments. C’est très motivant.

Un point qui me semble important de souligner est que cette crise a sans doute mis un coup de frein au concept de la ville hyper technologique, la fameuse smart city. Quelle est sa durabilité dans le monde qui arrive ? L’hyperconnectivité est-elle un but en soi ? Je crois que non, le numérique est utile s’il reste raisonné, adapté à de vrais besoins. Il doit rester au service d’une ville où il fait, avant tout, bon vivre ensemble.


Cette crise sanitaire se conjugue avec une montée en puissance des enjeux du réchauffement climatique. Pour autant la RE 2020  a encore été repoussée d’un an. N’est-ce pas un « mauvais » signal adressé à l’industrie immobilière ?

La RE2020 marque une évolution majeure en considérant l’énergie et le carbone et elle doit être très ambitieuse. Elle implique des changements majeurs en termes de compétences à mobiliser, de process de production, de matériaux… Or l’essentiel de la construction en France est le fait de TPE-PME, pour qui ces changements sont très lourds, il y a donc des résistances qui peuvent s’expliquer. Notre rôle en tant que majors de la promotion immobilière et de la construction est d’ouvrir la voie, de renforcer les coopérations, d’innover pour éclairer à la fois la réglementation et les adaptations du marché. Ce temps supplémentaire donné avant l’application de la RE2020 va donner un peu d’air et surtout permettre des améliorations, notamment en ce qui concerne le confort d’été, qui est une vraie priorité dans le contexte de bouleversement climatique. L’enjeu est de bâtir une ville agréable à vivre, saine, économe en ressources, inclusive et résiliente. C’est donc toute la chaîne de valeur immobilière qui a un rôle clef  à jouer pour relever ces défis.

 

 

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