[INTERVIEW] : Rencontre avec Julie POUTAS, Architecte et co-fondatrice de Bâti-Récup

2920 Dernière modification le 03/06/2019 - 10:26
[INTERVIEW] : Rencontre avec Julie POUTAS, Architecte et co-fondatrice de Bâti-Récup
Etudiants en Economie circulaire à l’Ecole des métiers de l’environnement de Rennes (EME-UniLaSalle), et dans le cadre d’un travail collaboratif avec Construction21, nous avons pu échanger avec Julie Poutas, architecte. Elle est également la co-fondatrice de Bâti-récup, qui propose un service d'accompagnement aux acteurs de la construction et de la déconstruction, ainsi qu’une plateforme numérique répertoriant les déchets de chantiers en vue de leur réemploi.
Elle nous livre ici sa vision de l’économie circulaire, les difficultés et les responsabilités que posent l’exercice de son métier face aux enjeux de transition écologique.
 
 
 

Quelle est selon vous la place de l’architecture dans l’économie circulaire ?

 

Je dirais que ça revient au goût du jour. Le réemploi est déjà quelque chose qui se faisait avant puisque, par exemple, lorsqu’un bâtiment s’écroulait, on récupérait les poutres, les pierres… Ça a été un peu oublié avec la révolution industrielle, et du fait des nouvelles lois entre autres.
En plus de ça, les architectes sont prescripteurs de matériaux, c’est à dire qu’ils sont responsables à la fois de l’épuisement des matières premières que ça génère, et des déchets qu’ils créent. Pour eux le réemploi a été une prise de conscience.
 

Donc le terme tend à se généraliser dans la profession ?

Il tend à trouver sa place dans la profession oui. Les structures se posent énormément de questions sur l’émergence de ces nouvelles pratiques, et notamment comment les généraliser. On sent qu’il y a une vraie mouvance dans ce domaine. Il y a d’ailleurs un réseau des acteurs du réemploi en France, avec pour idée de fédérer et montrer que les réglementations (loi CAP) permettent d’expérimenter pour faire du réemploi.
 

Quels sont les leviers qui permettent l’intégration de ces nouvelles notions dans le métier d’architecte et le secteur de la construction ?

C’est principalement le contexte réglementaire, avec les différentes lois comme la loi grenelle, la loi pour la croissance verte, qui ont permis de poser les bases. Mais récemment c’est surtout la loi CAP qui impacte directement les architectes et leur permet de répondre à certaines réglementations, certaines normes.
Après la difficulté majeure est la mise en pratique, d’où la création de Bâti’récup, d’abord l’association, et ensuite l’atelier de maîtrise d’oeuvre.
L’association a plutôt un rôle de recherche, de diffusion, de formation, sous forme de conférences sur le thème du réemploi, avec des acteurs locaux. L’objectif est la création d’une plateforme numérique, pour répertorier les matériaux d’occasion, ce qui peut permettre aux architectes intéressés de les récupérer. Nous travaillons dessus actuellement. L’étape suivante sera le site physique pour le stockage, d’ici à 2022, 2023...
L’atelier a quant à lui un rôle d'accompagnement et de conseil auprès des maîtrises d’oeuvre et maîtres d’ouvrages. Depuis la phase étude et jusqu’à la phase travaux, l’ensemble du projet est étudié. Des audits peuvent par exemple être réalisés pour voir ce qui est récupérable sur les chantiers. L’objectif est de générer un impact économique et social positif tout en réduisant l’impact environnemental.
 
 

Cette notion de durabilité a-t-elle changée profondément la façon d’exercer votre métier ?

Cela oblige à revoir les modes de conception. Avant, si j’avais un bâtiment de 80m2 à faire, je le dessinais, j’ouvrais le catalogue de matériaux et je choisissais. Là, la procédure est inverse, je regarde le catalogue de matériaux d’occasion et je conçois avec, donc on travaille avec les bureaux de contrôle dès le départ et de nouvelles filières émergent.

 

Et avec quels nouveaux acteurs l'Économie Circulaire vous amène-t-elle à travailler ?

En ce moment nous avons une convention de partenariat avec Veolia. Alors que normalement l’architecte ne bosse pas avec un prestataire de déchets donc c’est une position particulière. Au-delà de ça les architectes peuvent travailler avec des entreprises d’insertion comme Les compagnons bâtisseurs, Rétrilog, Noria...

 

Au sein de BâtiRécup, faites-vous faces à des réticences au réemploi de déchets de chantiers ?

 
Oui...Toutes les innovations génèrent des oppositions. Là l’idée c’est de montrer que ça fonctionne, pour convaincre les réticents, mais pas de forcer la main. Il faut y aller étape par étape, essayer de convaincre plus au niveau des maîtrises d’ouvrage publiques. Sur le territoire de Rennes Métropole, le message a été plutôt entendu.
Il faut maintenant convaincre les artisans et les entreprises.
 

Les freins à la démarche d’économie circulaire sont-ils principalement humains ?

 
Pas du tout, ce sont plutôt des freins par rapport au système de normes, à la réglementation… Ce système est fermé et rend difficile le réemploi.
En plus, le prix du traitement de déchets est extrêmement bas. Aujourd’hui c’est moins cher de mettre des matériaux en décharge que de les valoriser (démonter, stocker, etc…) Pour toutes ces raisons c’est un peu difficile pour l’instant à l’échelle de la maîtrise d’ouvrage.
La société Rotor, en Belgique, est un précurseur et un peu un modèle pour nous. Depuis 2004 environ, ils sont sur cette question du réemploi et sont spécialisés dans le démontage et la revente de matériaux. En Belgique le traitement des déchets est très cher. Donc le réemploi est devenu rapidement une solution assez pertinente.
 

Quels sont les garanties pour les chantiers qui récupèrent les déchets, que la qualité d’usage sera la même que pour des matériaux neufs ?

 
Il faut faire appel à un bureau de contrôle.
Après tout dépend de la manière dont on les utilise… Certaines questions sont à se poser pour assurer la solidité. Si je réemploie une charpente bois, est-ce que j’en refais une charpente, ou est-ce que je fais des pieds de table ? Si je réemploie un matériau en extérieur ou pour du mobilier la démarche ne sera, forcément, pas la même.
Par exemple si je fais une fenêtre extérieure, je dois attester que le produit est suffisamment récent, (avec facture réception du produit) et qu’elle a ce qu’il faut pour garantir un usage optimal. Si ce n’est pas le cas j’envisage un autre usage, en intérieur par exemple.
 

Quel est selon vous l’avenir de l’architecture dans le contexte de la transition écologique ?

 
Aujourd’hui il y a des architectes qui sont de plus en plus convaincus du réemploi, notamment ceux qui s’intéressent aux matériaux bio-sourcés. Certes il y aura toujours les grandes agences, qui produisent des bâtiments très techniques, à la pointe de la technologie, et qui font que la profession évolue lentement.
Nous au contraire, sommes plutôt sur de la lowtech et notre partenariat avec l’école d’architecture de Bretagne nous permet de constater un intérêt grandissant pour la valorisation et les bâtiments durables. On a donc bon espoir que la nouvelle génération s’engage.
 
 

Pour plus d’informations : https://www.batirecup.com/

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