#3 Bioclimatisme, normalisation et réalité locale : une équation impossible à résoudre ?

Rédigé par

Alain Bornarel

7647 Dernière modification le 28/08/2019 - 11:03
#3 Bioclimatisme, normalisation et réalité locale : une équation impossible à résoudre ?

L’approche bioclimatique est particulièrement adaptée à la construction sous climat tropical ou chaud. Avec plus de trente ans d’expérience Alain Bornarel est un témoin privilégié de l’évolution de cette approche. Retour sur les enjeux techniques, normatifs mais aussi sociaux avec celui qui reste persuadé que les ressources naturelles sont suffisantes pour assurer le confort des bâtiments.

Quels sont les prérequis du bioclimatisme ?

Il faut tout d’abord s’intéresser à la base. Le climat chaud n’existe pas, il y a en réalité des climats chauds : tropical sec, tropical humide, équatorial, désertique, etc. Cette liste n’est pas exhaustive et les approches de conception sont très différentes. Ces dernières dépendent des données de températures, de précipitations, d'humidité atmosphérique, la fréquence et la force des vents et de l’exposition au soleil.  Certaines régions ont même plusieurs tendances saisonnières selon la période de l’année. C’est le cas de La Réunion qui possède un été pluvieux et humide et un hiver plus frais et très sec.

Un paramètre important qui varie d’un climat à un autre est le choix des matériaux de l’enveloppe du bâtiment : dans le cas d’un climat sec (où la différence de température jour/nuit est généralement importante), il est intéressant de choisir des matériaux dont l’inertie est grande, afin qu’ils puissent stocker la fraîcheur de la nuit et la diffuser en journée, et inversement. En climat sec, il faut également penser à humidifier l’air pour baisser sa température : pour cela il existe plusieurs systèmes de jets d’eau plus ou moins sophistiqués.

Il est aussi plus « simple » de concevoir des bâtiments en climat sec qu’en climat tropical/humide, car il y a moins de paramètres à prendre en compte. Les fortes précipitations nécessitent en effet des aménagements et peuvent limiter le choix des matériaux.

 

Quelles sont les grandes règles du bioclimatisme ?

Afin de pouvoir passer au rafraîchissement naturel et profiter du bioclimatisme, il y a deux aspects principaux à gérer : la ventilation naturelle et la protection solaire.

  • La ventilation naturelle permet de renouveler l’air intérieur sans aide mécanique : c’est une solution indispensable pour lutter contre l’humidité, évacuer les vapeurs ou encore les allergènes.  Dans un climat tropical humide, il faut concevoir des bâtiments traversants. Pour en disposer, il convient de ménager des entrées et des sorties d’air sur les deux façades. Ainsi, le vent crée une pression qui permet de faire entrer l’air extérieur d’un côté, tandis qu’il crée une dépression qui chasse l’air chaud et pollué de l’autre. Il faut tout de même s’assurer que le circuit d’air d’une façade à une autre ne soit pas compliqué afin d’éviter la perte de charge du flux d’air.

Une condition importante pour optimiser cette ventilation est la bonne position par rapport au vent (orientation du bâtiment en fonction des directions du vent) lorsque cela est possible. La ventilation traversante engendre ainsi un courant d’air efficace qui permet le renouvellement de l’air intérieur. 

 

  • La façade est la partie la plus importante pour gagner en efficacité énergétique, d’autant plus pour celle qui est orientée vers le soleil. La manière d’utiliser les éléments de protection solaire est un point vital et ne doit pas gêner le passage d’air. Il faut en effet souvent ventiler quand l’apport solaire est maximal, donc lorsque les protections sont baissées.

Il existe aussi plusieurs catégories d’isolants solaires dont les protections végétales. Pour celles-ci, il faut disposer des arbres ou des plantes à feuilles tout près du bâtiment. Ce tampon, végétal a ainsi permis de baisser la température de 6 degrés aux abords de la façade d’un projet de rénovation que j’ai mené à la Réunion. Nous avons aussi utilisé cette technique d’îlot de fraîcheur lors de la conception de la bibliothèque du Sud Sauvage. La végétalisation des abords offre un avantage écologique bien sûr, mais aussi social, en créant un prolongement des bâtiments sur l’espace environnant. Pour revenir à la protection thermique, une chose essentielle avec les tampons végétaux est le cycle nature de vie des plantes. Les feuillages varient ainsi d’une saison à l’autre.

 

Pour arriver au meilleur résultat, le bioclimatisme demande aussi de prendre en compte les conditions météorologiques locales. L’un des principaux freins est donc la disponibilité des données. Une station météorologique située à 1 km peut en effet donner des informations complètement antagonistes au lieu de construction ou de rénovation.

 

 

 

Cette notion de local et de spécifique est-elle compatible avec des normes générales ?

Tout au long de ma carrière, je me suis méfié des protocoles généralisés. Les exemples de cas des habitations à construire ou à rénover sont toujours très différents et uniques. Certains pays émergents souffrent de l’importation de techniques occidentales très peu adaptées à leur climat. Cela concerne tous les domaines du bâtiment : canalisation, équipements, matériaux de construction, etc.

Il suffit même de rester en France pour le voir. Dans les années 80, l’ancienne filière de construction en terre crue en Mayotte a par exemple été remplacée par le béton. Un choix absurde dans la mesure où il est importé et moins bien adapté à cet environnement.

Il faut réinventer des standards qui conviennent aux situations locales. Les systèmes techniques occidentaux, que je dénonce dans les pays tropicaux, ont aussi l’inconvénient d’avoir besoin d’un entretien régulier. Ce qui est malheureusement loin d’être garanti dans certains lieux, même à court terme.

Dans le domaine énergétique et environnemental, il existe par ailleurs de plus en plus de réglementations, certifications et labels européens qui uniformisent les méthodes de construction et de rénovation énergétiques, et je dois vous dire que je m’y oppose radicalement ! Je me permets de prendre l’exemple de Passivhaus, puisque la situation a évolué positivement depuis. Pendant longtemps le label demandait à avoir le même système de ventilation double flux avec récupération de chaleur et isolé selon une même norme que vous soyez à Stuttgart ou à Tanger.

L’architecture bioclimatique doit selon moi être adaptée à un site donné, et je ne connais pas de réglementation d’évaluation de performance énergétique qui soit applicable partout.

En dehors de la particularité du site, est-il possible d’édicter de grandes règles entre la conception d’un bâtiment privé et celle d’un bâtiment destiné à accueillir du public ?

 

Au risque de me répéter, je pars du principe que chaque bâtiment est différent lorsque est conçu à partir d’une démarche bioclimatique. Un lieu destiné à accueillir du public n’est donc ni moins ni plus différent, il répond à d’autres logiques d’usage et d’occupation en fonction de sa destination.

Un paramètre important dans la stratégie de conception d’un bâtiment qu’elle soit d’ailleurs bioclimatique ou pas est celui des séquences horaires d’occupation des bâtiments et les apports de chaleurs liés à l’occupation. C’est la base afin d’assurer un confort optimum. On distingue des infrastructures comme les écoles (classes de 60m2 accueillants une trentaine d’élèves tous les matins), les bureaux (qui ont une occupation moins dense, mais avec du matériel informatique qui chauffe) ou encore les logements qui sont souvent occupés uniquement en fin de journée et la nuit. Le type de construction est donc très important pour le concepteur, mais ce n’est qu’une des règles à prendre en compte pour arriver à un confort thermique et une efficacité énergétique optimum.

En climat tropical ou chaud le confort passe souvent par la climatisation, qu’en pensez-vous ?

Tout d’abord, je suis convaincu que le confort thermique reste très relatif et non standardisé. La notion de confort selon le concepteur est bien différente de celle de l’habitant. Dans les logements par exemple, la température recherchée par celui-ci est souvent supérieure à celle acceptée par les habitants. Cela favorise donc le recours à un système de climatisation.

Il y a je pense d’autres dimensions qui entrent en jeu au niveau du confort. Notamment les habitudes de l’usager et sa perception de la chaleur ou de l’humidité, mais aussi un volet social. Il existe des logements bioclimatiques avec des systèmes de ventilation et isolation efficaces, mais qui sont équipés a posteriori de système de climatisation. L’une des explications au-delà de la perception de la température insuffisants est que cela illustre le rang social de l’acquéreur.

En tant que professionnels, nous avons un rôle à jouer pour convaincre que l’on peut être moderne en habitant un logement bioclimatique dépourvu de systèmes coûteux et polluants.

Au-delà de cet aspect militant, je ne suis pas non plus totalement opposé à l’usage de la climatisation. Celle-ci peut s’avérer nécessaire dans certains cas. Lorsque j’aborde un projet, je m’intéresse donc aussi au mix énergétique du lieu. La climatisation restera toujours un mini îlot de chaleur, mais si l’énergie nécessaire pour la faire fonctionner est renouvelable, son coût environnemental est moindre.

Note biographique: Ingénieur spécialisé en urbanisme et génie civil de l’École centrale de Paris, Alain Bornarel est un pionnier de la conception éco-responsable des bâtiments et des territoires. Très sensible au développement durable et à la transition énergétique, il crée en 1986 le bureau d’études TRIBU et choisit de se positionner sur la question de l’environnement. Depuis le début des années 2000, il a eu l’occasion d’intervenir dans de nombreux projets de rénovation et de construction en climat chaud notamment à la Réunion, au Burkina Faso et au Maroc, ce qui fait de lui un expert dans ce domaine.


Propos recueillis par Hassan Abouzid


 

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Construire durable sous climats chauds
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