CSTB : Inventer de nouvelles métriques pour l’économie circulaire dans le bâtiment

Rédigé par

Grégoire Brethomé - Construction21

Responsable éditorial

1233 Dernière modification le 01/09/2023 - 10:24
CSTB : Inventer de nouvelles métriques pour l’économie circulaire dans le bâtiment


Jeudi 29 juin, dans le cadre de sa Journée de la Recherche, le Centre Scientifique et Technique du Bâtiment – CSTB, a présenté la programmation à horizon 2030 de ses quatre domaines d’action stratégiques. Premier rendez-vous d'une série consacrée à ses activités de recherche, l’événement s'est concentré sur « L'économie circulaire et ressources pour le bâtiment ».

 

« Nous avons souhaité réformer le pilotage de notre recherche parce que le bâtiment est un tout. Il doit être réalisé de la façon la plus efficace, apporter bien-être et confort à ses occupants et, surtout, il doit être rénové. D'où l'approche systémique et globale de nos activités recherches pour les adapter aux grands enjeux du 21e siècle » a déclaré Étienne Crépon, président du CSTB en ouverture de la Journée, avant de présenter les quatre domaines d'action stratégiques du CSTB : 

•    Bâtiments et quartiers pour bien vivre ensemble
•    Bâtiments et villes face au changement climatique
•    Rénovation, fiabilisation de l’acte de construire, innovation
•    Économie circulaire et ressources pour le bâtiment

Pour développer et partager les connaissances scientifiques et techniques sur ces thématiques, Hervé Charrue, directeur général adjoint du CSTB, en charge de la Recherche et du Développement, a appelé à intensifier les partenariats et à « éduquer sur les effets de nos comportements, de nos usages individuels et collectifs ; communiquer sur le rôle du bâtiment, ses possibilités et ses contraintes ; et valoriser ses apports, ses impacts à l’échelle de l’individu, de l’urbain, jusqu’à ceux sur la planète. Les nouvelles orientations de la recherche nous y engagent. » 

Feuille de Route « Économie circulaire et ressources pour le bâtiment »

Comment multiplier par dix le recours au réemploi d'ici 2028 ? L'objectif paraît ambitieux... D'autant plus, lorsque l'on sait que moins de 1 % des éléments de construction sont aujourd'hui réemployés dans le nord-ouest de l’Europe à la suite de leur premier usage (Interreg FCRBE). L'objectif répond pourtant à celui d'atteindre 5 % de matériaux réemployés en 2028 fixé dans le cadre de la nouvelle filière à Responsabilité Élargie des Producteurs (REP), étendue au bâtiment (PMCB). Pour cette Journée de la Recherche dédiée au domaine d'action stratégique de l'économie circulaire et des ressources, un mot était sur toutes les lèvres : massifier !

Face à ce défi, Alexandra Lebert, directrice du Domaine d’Action Stratégique Recherche « Économie circulaire et ressources pour le bâtiment » au CSTB, a souligné l'importance d'élaborer et de partager des indicateurs : « Nous avons besoin de créer des métriques. Pour engager les acteurs, c'est indispensable. Notre méthode consiste à soutenir la transversalité de la recherche entre les professionnels (économistes, spécialistes de la chimie, de l'ACV...) pour qu'ils mettent leurs compétences autour de la table au sein de projets partenariaux. »

Créée il y a un an, la nouvelle direction Économie et Ressources (DER) du CSTB travaille sur deux axes : l'économie circulaire et les analyses économiques, alors que la direction de l’Eau (DEAU) adresse les sujets de gestion de l'eau dans leur globalité : usages de l’eau, assainissement, réseaux intérieurs et extérieurs, équipements sanitaires. À l'occasion de la Journée de la Recherche, le CSTB a présenté sa Feuille de Route Scientifique et Technique pour ses quatre piliers recherche. Le domaine d'action de l'économie circulaire et ressources pour le bâtiment est orienté autour de plusieurs priorités : 

•    La maîtrise des flux de matières et l’anticipation de l’adéquation des consommations avec les ressources à l’échelle territoriale ;
•    La valorisation de la matière issue des bâtiments existants ;
•    L’intégration de l’économie circulaire, dès la phase de conception des produits, projets de bâtiments et aménagement des territoires ;
•    La préservation des ressources en eau, dans un contexte de changement climatique affectant le cycle de l’eau ;
•    L’évaluation de la pérennité des performances et de la durabilité des systèmes et matériaux.

Pour en savoir plus sur les priorités du domaine d’action stratégique recherche « Economie Circulaire et Ressources pour le bâtiment », découvrez l'interview d'Alexandra Lebert

La Journée de la Recherche a permis de présenter plusieurs outils existants ou en cours de développement s'inscrivant dans cette Feuille de Route. Tour d'horizon de l'avancée de la recherche avec BTPFlux, EC2, Ecoscale et Spirou !

BTPFlux : évaluer le potentiel d'un territoire

Comment évaluer précisément le potentiel d'un territoire ? BTPFlux aide les collectivités, les aménageurs ou les gestionnaires de patrimoine à répondre à cette question, en leur donnant les bonnes informations pour définir leur stratégie économie circulaire. 
Afin d'appréhender les flux de Produits, Équipements, Matériaux et Déchets (PEMD) disponibles sur un territoire, l'outil s'appuie sur les précieuses données fournies par la BDNB (Base de Données Nationale des Bâtiments), et celles de l’outil TyPy, deux dispositifs développés par le CSTB. Si la BDNB (accessible pour partie en open-data) donne des informations comme la période de construction, l’usage principal du bâtiment, voire le matériau principal de structure, TyPy utilise un algorithme pour « reconstruire » le bâtiment et ainsi préciser la matérialité du parc existant à partir d'un nombre limité d'informations. BTPFlux offre ainsi une caractérisation de la matérialité des bâtiments extrêmement détaillée, à l’échelle de la France métropolitaine.

Son estimation porte actuellement sur 10 catégories de déchets, mais a vocation à évoluer en en prenant en compte une quarantaine dans le cadre d'une expérimentation menée avec la Métropole du Grand Paris. Pour la collectivité, l'outil permet de piloter sa stratégie : « Notre schéma directeur de la région d’Île-de-France (SDRIF) comporte d'importants objectifs de zéro artificialisation nette, lesquels supposent plus de rénovations et de reconstructions. BTPFlux nous permet d'imaginer un autre modèle de gestion des flux. L'idée est ensuite de décliner les informations obtenues en objectifs et en plans d'actions et d'étudier comment les élus locaux s'en emparent » témoigne Anne-Sophie de Kerangal, cheffe du service économie circulaire et déchets au Conseil Régional d'Île-de-France.

EC2 : mesurer la circularité à l'échelle du bâtiment

« Nous sommes partis du constat qu'il n'existait pas aujourd'hui d'outils faciles à prendre en main pour identifier la circularité d'un bâtiment neuf. Avec EC2, nous souhaitons proposer une cartographie du potentiel d'évolutivité d'un bâtiment », introduit Élodie Macé, cheffe de projet Économie circulaire à la direction Économie et Ressources du CSTB, lors de la présentation de l'outil conçu par l’Alliance HQE et le CSTB, et actuellement en cours de développement. 
« Nous avons mené des premiers tests en 2019 avec la méthode d'analyse des flux de matières (MFA) qui étudie et compare les flux entrants et sortants de matières au sein du bâtiment en complément de l'ACV (Analyse de Cycle de Vie). La méthode prend bien en compte les quantités de matières valorisables, mais est très chronophage et peu applicable. Nous avons donc souhaité créer un outil plus accessible et efficace », ajoute la cheffe de projet économie circulaire. 

Pour analyser le potentiel circularité d'un bâtiment, EC2 pioche des informations dans les fiches FDES et PEP, mais également dans les fichiers RSEE (Récapitulatif Standardisé d'Étude Énergétique et Environnemental) demandés dans le cadre de la RE2020 et qui contiennent des indicateurs de matérialité utiles à l'étude du bâtiment. Une fois la méthode EC2 plus avancée, son intégration au sein des cadres de référence HQE est envisagée. 

Ecoscale : comparer la circularité des produits, équipements et matériaux

« Les projets les plus exemplaires et vertueux sont ceux où les gens se sont mobilisés et ont fait des efforts supplémentaires. Je fais travailler des gens aux profils architectes-ingénieurs pour qu'ils soient à l’aise sur toutes les thématiques : sociale, environnementale, etc. », défend, au cours d'une table ronde, Ingrid Bertin, responsable éco-conception chez Setec TPI. L'étape de la conception est cruciale quand il s'agit d'économie circulaire et des ressources dans le bâtiment. « Si un produit est plus lourd et volumineux, il sera plus compliqué à démonter, et cela engendre des conséquences économiques », renchérit un peu plus tard dans la journée, Léo Ben Amor, ingénieur recherche et expertise en économie circulaire et éco-conception au CSTB.

Outil d'éco-conception des bâtiments, Ecoscale permet de caractériser le potentiel circularité des produits, des équipements et matériaux de construction. Son évaluation est structurée autour de quatre indicateurs couvrant l’ensemble du cycle de vie du produit : contenu en matière recyclée et renouvelable ; démontabilité ; réemployabilité ; recyclabilité. L'outil compile au total 17 critères qui, une fois pondérés, permettent de d'attribuer au produit une des cinq notes (A, B, C, D ou E). 
Les évaluations sont répertoriées sur une base de données accessible au public. Demain, l'outil pourrait même servir de base à la mise en œuvre de la REP bâtiment en faveur des bons élèves. Suivant son principe dit du « pollueur payeur », la REP pourrait prévoir une éco-modulation (NDLR : une réduction) des contributions, à destination des acteurs en mesure de démontrer la conception plus circulaire des produits utilisés. 

SPIROU : harmoniser et sécuriser les pratiques de réemploi 

« La richesse du projet SPIROU (Sécuriser les Pratiques Innovantes de Réemploi via une Offre Unifiée), c'est la diversité des acteurs qu'il rassemble », se réjouit Thomas Lesage, directeur R&D chez Mobius Réemploi. Le projet réunit quatre partenaires : le CSTB (coordinateur du projet), A4MT (le Booster du Réemploi), Qualiconsult et Mobius Réemploi. Pour que les projets de réemploi soient mieux compris et suivis par les assureurs, SPIROU développe des guides méthodologiques fondés sur des retours d'expérience ayant fait leurs preuves. Harmonisés, ces modes opératoires ont vocation à sécuriser les façons de faire et ainsi rassurer l'ensemble des acteurs sur leur usage.

À ce jour, les partenaires du projet se sont accordés sur dix typologies de produits, équipements et matériaux sur lesquelles seront développés les guides méthodologiques : bloc-portes en bois et bloc-portes coupe-feu en bois, appareils sanitaires en céramique, dalles de moquettes, charpentes industrielles en bois, radiateurs à eau, etc. Ce partage de bonnes pratiques vise également à convaincre les maîtres d'ouvrage : « C'est l'acteur clé aujourd’hui !, interpelle Thomas Lesage. Les maîtres d’œuvre doivent comprendre que le bien qu'ils achètent est un investissement et doivent être responsabilisés sur le fait qu'ils gardent la main sur les matériaux et peuvent ensuite les envoyer en plateformes de reconditionnement. »

Et demain ? 

« Concevoir à partir d’éléments de réemploi change en profondeur la façon de concevoir les bâtiments. On ne part plus d'une page blanche, étant contraint par les éléments à notre disposition », rappelle Philippe Leonardon, ingénieur à l'ADEME, « Il faudra donc s'habituer à avoir recours à des outils numériques d’aide à la conception pour déterminer comment utiliser le stock à disposition, faire évoluer le système constructif et les assemblages. » Au-delà des outils de conception, la circularité a globalement besoin d'être mieux mesurée. Certains indicateurs bien connus devront probablement eux aussi évoluer. Durant sa présentation, Anne Ventura, directrice de recherche à l'Université Gustave Eiffel, a appelé à une adaptation de la méthode de calcul de l'ACV. Sa méthode « ACV de transition » permet d'inclure dans le calcul les impacts des produits et matériaux qui sont valorisés. Un changement qui vient modifier la balance des impacts environnementaux du projet et engendre des changements forts de gouvernance – l'expert ACV laisse la place à une discussion entre toutes les parties prenantes qui doivent choisir une stratégie à suivre – et replace, dès le début de la conception, l'ensemble des choix à faire. En parallèle, des travaux sont en cours pour adapter l'ACV à la rénovation.

L'évolutivité des bâtiments devra également faire sa part. Pour Camille Golhen, responsable de la division Économie Circulaire et Analyse des Filières de la direction Économie et Ressources du CSTB : « Il faut anticiper et éviter les démolitions précoces, autant pour le neuf que pour l’existant. Se pose donc la question de l’évolutivité du bâtiment et de son contexte réglementaire. Pour cela, nous accompagnons la DHUP sur une nouvelle étude sur le potentiel d'inclure l'évolutivité pour le neuf et l’existant dans une future loi. » Enfin, plusieurs réflexions et projets sont en cours pour faire évoluer le cadre commun de référence au-delà de la RE2020 avec les travaux tout juste lancés de CAP2030. Mais aussi, pour accompagner et partager des bonnes pratiques auprès des maîtres d'ouvrage avec la plateforme PEMD développée par le CSTB, pour leur permettre de respecter leurs nouvelles obligations réglementaires sur ce diagnostic devenu obligatoire depuis le 1er juillet 2023.

 

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