[Interview] « Les outils doivent interroger nos a priori, leurs résultats nourrir le dialogue entre acteurs »

Rédigé par

Grégoire Brethomé - Construction21

Responsable éditorial

1353 Dernière modification le 31/08/2023 - 10:59
[Interview] « Les outils doivent interroger nos a priori, leurs résultats nourrir le dialogue entre acteurs »

 

Lancé il y a deux ans, le domaine d'action recherche « Économie circulaire et ressources pour le bâtiment » est l'un des quatre piliers de la stratégie recherche du CSTB. Indicateurs, outils, sujets d'études... Alexandra Lebert, directrice du domaine, présente son rôle et ses travaux. Entretien. 
 

En tant qu'évaluateur, quel rôle souhaite jouer le CSTB dans la continuité de son domaine d'action stratégique recherche « Économie circulaire du bâtiment » ?


Le CSTB se positionne sur trois enjeux principaux. Le premier consiste à sécuriser le réemploi, en accompagnant la construction des savoir-faire notamment dans les phases de diagnostic et de sélection en vue du réemploi. Pour cela, il faut mieux qualifier les performances des composants et les compétences des acteurs et créer des méthodes permettant d’écarter les risques sanitaires. Le second enjeu consiste à faciliter l’intégration de matière recyclée dans les nouveaux produits, en étudiant le vieillissement de ceux-ci et en caractérisant leurs performances techniques. Plus largement pour les fabricants et le CSTB, il s’agit de mettre en œuvre des procédés compatibles avec des gisements de matières premières diffus et moins homogènes. Enfin, le dernier enjeu consiste à caractériser ce qu’est une conception circulaire pour en diffuser les concepts, les outils, les exemples et ainsi faciliter les valorisations futures des composants et des ouvrages.


En quoi est-il important de créer des métriques dans ce domaine ? 

Grâce au déploiement des FDES et de la RE2020, les acteurs ont à leur disposition un jeu d’indicateurs assez riche. Ces indicateurs sont disponibles à l’échelle des composants ou des bâtiments. Dans les FDES, disponibles sous INIES, on trouve tout d’abord des indicateurs – massiques – de suivi des quantités d’entrants avec une distinction entre matières premières vierges et matières dites « secondaires ». Les FDES présentent ensuite des indicateurs de suivi des flux sortants, qu’ils aient le statut de déchets (exprimés par catégories de déchets inertes, dangereux…) ou non. On trouve des flux de composants ou de matières destinés à la réutilisation, au recyclage, à la valorisation énergétique en fin du cycle de vie étudié. Un indicateur de pression sur l’environnement est également calculé. Il exprime l’épuisement des ressources dites abiotiques (le « ADP élément » des FDES qui est exprimé en kilogramme - équivalent d’Antimoine qui est l’étalon pour mesurer la vitesse de d’épuisement des matières). Les indicateurs d’usage des ressources et de pression sur l’environnement reste d’ailleurs un sujet de recherche pour nous. Je prends l'exemple de Nada Bendahmane qui a récemment soutenu sa thèse sur le « Développement d'indicateurs d’approvisionnement en matériaux minéraux et métalliques issus de l’économie circulaire dans une approche d'évaluation absolue de la soutenabilité dans le secteur du bâtiment ». 

Pourtant, malgré la richesse du jeu d’indicateurs déjà existant, il est malaisé de l’utiliser pour promouvoir la circularité et identifier les leviers à activer. Le CSTB travaille donc sur des métriques pensées pour caractériser la circularité tout en permettant une corrélation entre les choix de conception et l’approche matière. La démarche Ecoscale, qui valorise la démontabilité, la recyclabilité, la réemployabilité et le contenu en matières recyclées et renouvelables des composants du bâtiment, a été créée dans cet état d’esprit. 


La question de l'assurabilité est souvent posée quand on parle de réemploi. Comment dépasser ce frein ? 

La question de l’assurabilité, très liée à la reconnaissance des pratiques et des performances des composants à l’amorçage d’un nouveau cycle d’usage, est centrale. Avec les acteurs, nous avons identifié les produits et équipements à fort potentiel de réemploi. Nous nous employons à faire émerger, reconnaître les bonnes pratiques et homogénéiser les modes de faire des acteurs pour caractériser les performances en vue d’un réemploi. Cette caractérisation se fait au cours des différentes étapes du diagnostic jusqu’à la remise en œuvre des composants. Il s’agit de généraliser ces compétences pour que le réemploi soit rendu possible plus largement. Il faut veiller aux équilibres économiques pour les filières tout en maîtrisant les risques technique et sanitaire. Cet équilibre est une vraie gageure. Le CSTB et la Métropole du Grand Paris mènent ensemble un projet pour accompagner et sécuriser les plateformes de reconditionnement, clef de voûte pour la massification du réemploi ! 


Dans quel sens l'ACV doit-il évoluer pour intégrer l'économie circulaire ?

Aujourd’hui, l’ACV des ouvrages est un outil mature pour accompagner la conception des ouvrages ou quartiers neufs. Méthodes, données, outils, valeurs de référence... la boite à outil est relativement complète, bien que toujours perfectible. Et nous l’avons dit, les indicateurs pour analyser l’usage des matières sont déjà présents. Les acteurs ont donc déjà de la matière pour structurer leur pensée. Les améliorations que nous proposons pour les indicateurs sont de deux natures : scientifiques (et celles-ci mettront des années à arriver dans le quotidien des acteurs, parce qu’il nous faudra trouver un consensus scientifique, puis normatif) et d’autres basées sur l’appropriation et l’enrichissement par les acteurs eux-mêmes.

L'objectif est qu’ils disposent des métriques les plus adaptées pour analyser leurs pratiques, pour lesquelles nous misons sur une diffusion bien plus rapide. En revanche, là où le consensus n’est encore qu’émergeant, c’est sur des méthodes d’analyse en ACV des rénovations, des démolitions-reconstructions. Plusieurs méthodes coexistent encore et suscitent des débats de spécialistes parce qu’elles ne sont pas pensées pour le même usage : vision macroscopique d’un parc avec prise en compte des « investissements » carbone précédents versus une analyse des investissements-gains prospectifs uniquement, plus tournée vers l’action. C’est cette dernière méthode que le CSTB favorise. 

" Chaque acteur doit avoir conscience de l’influence
de ses décisions et actions "

Mais les éléments se décantent et les acteurs devraient bientôt avoir à leur disposition la totalité de cette chaîne méthode-outils-données pour que l’évaluation des choix soit plus évidente. La construction d’échelles de référence pour permettre aux acteurs de challenger leurs pratiques est quand même moins évidente que pour le neuf. La dispersion du type de bâtiment rajouté à la dispersion du type de geste de rénovation rend cette construction plus ardue. Tout cela s’inscrit bien évidemment dans une prise de décision qui embarque d’autres composantes, mais le carbone et les ressources doivent gagner leur place dans l’analyse des choix. Pour moi, la priorité reste de faire en sorte que chaque acteur ait accès à l’information (carbone ou ressource) découlant de ses choix. Que cette information ne reste pas dans l’apanage des experts. Quel que soit son rôle dans la chaîne de conception, quel que soit l’avancement du projet, chaque acteur doit pouvoir avoir conscience de l’influence de ses propres décisions et actions.


Quels outils permettent de favoriser l'éco-conception des bâtiments ? 

Au-delà des outils, il faut de l’appétence, de la curiosité, l’envie de faire évoluer ses pratiques, de requestionner le mode de faire collectif, réinterroger les rôles, les objectifs et responsabilités de chacun. Décidément, la force de conviction, la ténacité, l’envie d’expérimenter, le sens du collectif sont essentiels. Les outils sont là pour aider à interroger nos a priori, leurs résultats doivent permettre de nourrir le dialogue entre les acteurs. Ils aident à capitaliser, prioriser, analyser. Bien évidemment, plus les outils sont ergonomiques, plus les indicateurs sont adaptés, plus ils sont un véritable support. C’est l’objectif avec l'outil EC2 que nous développons. Un outil à l’échelle ouvrage qui permette d’anticiper plusieurs cycles d’usage, qui permette de prendre en compte la complexité du multi-échelle, qui valorise la durabilité, les potentiels d’évolution.

Cet outil, développé par Evea, l’Alliance HQE et le CSTB, soutenu par l’ADEME, propose des visualisations simples des flux de matières. De nouveau, nous nous basons sur les pratiques actuelles, sur le socle que constitue les FDES mais que nous enrichissons pour porter une vision économie circulaire plus complète. Un test HQE Performance a permis à des projets pilotes de tester et d’améliorer l’outil. Les résultats sont prometteurs, mais il nous reste encore du chemin à parcourir, alors… nous poursuivons notre engagement.

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