Facturer au bon prix : l’enjeu de choisir le bon mode de tarification par rapport à la situation locale

Rédigé par

Guillaume Perrin

2194 Dernière modification le 24/01/2023 - 20:07
Facturer au bon prix : l’enjeu de choisir le bon mode de tarification par rapport à la situation locale


Développer les réseaux de chaleur est maintenant une évidence portée par la crise énergétique que nous traversons et la demande très forte de raccordement en est l’un des résultats les plus concrets. Lors de ces demandes, se pose très vite la question du coût, en particulier le tarif. Que comprend le tarif ? Quelles sont les évolutions possibles dans le temps ? Quels sont les paramètres d’indexation ? C’est à ces questions que doivent fréquemment répondre les gestionnaires de réseaux, qu’ils soient publics ou privés, les réponses conditionnant souvent la réalisation du raccordement. 

Et cette question, pourtant essentielle, est plus complexe qu’on ne peut le croire au premier abord : il existe en effet de nombreux types de tarification, orientées par la négociation entre la collectivité et son exploitant dans le cas d’une concession, liées au mode de production, à la densité énergétique, au type de bâtiment raccordé…

C’est dans cette optique que le CEREMA et la FNCCR ont lancé une large étude dans l’idée de mieux connaître les modes de tarification existants, qu’ils soient massivement utilisés ou en tests ponctuels, de manière à mieux faire ressortir les forces et points d’attention de chaque tarification, avec des pistes d’optimisation. Cette enquête ne vise pas la création d’un « tarif parfait » qui résoudrait tous les problèmes d’un coup ; la plupart du temps, la solution de tarification dépend de caractéristiques locales du réseau (logements, part de tertiaire, de bâtiments neufs, taille du réseau, source d'énergie, etc.) qu’il faut adapter au mieux. Cette enquête a été lancée dans le cadre de la mesure n°9 du GT Wargon, et a touché un nombre d’acteurs diversifié, représentant différentes situations illustrant la variété des situations. De par le nombre de réponses et les aspects qualitatifs qui ont été partagés, analysés au travers de l’expertise des rédacteurs, cette enquête peut être considérée comme donnant une image fidèle des attentes des usagers et de la situation des tarifs sur les réseaux de chaleur en France. L’enquête a ainsi mobilisé 64 répondants, rassemblant 92 réseaux de chaleur, apportant ainsi des situations variées dans le rural comme dans l’urbain, avec une représentativité avérée du fait de la variété des répondants, représentant l’ensemble des maillons de la chaîne d’acteurs de la filière. 

La liberté de choisir son tarif pour tous ? 

Les réseaux de chaleur, en tant que SPIC (Service Public d’Intérêt et Commercial) sont soumis à l’égalité d’accès au service, notamment dans ses conditions tarifaires. Ainsi, il est à noter qu’au cas où le Service serait amené à consentir à certains abonnés un tarif inférieur aux tarifs de base, il sera tenu de faire bénéficier des mêmes réductions les usagers placés dans des conditions identiques à l’égard du service public.

Le principe d'égalité qui régit le fonctionnement des services publics implique que toutes les personnes se trouvant placées dans une situation identique à l'égard du service rendu doivent être régies par les mêmes règles. Toutefois, ce principe n'interdit pas un traitement différent, à condition que la fixation de tarifs distincts applicables à diverses catégories d'usagers, sauf à ce qu'elle ne soit la conséquence d'une loi, se justifie par l'existence entre les usagers de différences de situation appréciables ou que cette mesure soit justifiée par une nécessité d'intérêt général. Le juge administratif a admis par exemple que le lieu de domiciliation puisse être considéré comme une différence de situation appréciable, justifiant une différenciation tarifaire. Ainsi dans de nombreux réseaux, on trouve des tarifs différenciés selon les courbes de charges des clients, en distinguant par exemple les logements du tertiaire, les industriels, les bâtiments publics, etc. Il est alors essentiel que la grille tarifaire soit clairement déterminée dès le départ afin d’en faciliter la compréhension.

Le tarif binomial majoritaire…qui n’empêche pas quelques innovations !

Force est de constater que la tarification binomiale, comprenant un terme R1 proportionnel à la consommation et un terme R2, proportionnel aux charges fixes (abonnement), reste le modèle de référence dans les réseaux de chaleur. Ce modèle se retrouve également dans le domaine des réseaux d’électricité, de gaz ou encore d’eau et d’assainissement, avec des encadrements particuliers donnés par les textes (limitation de la part fixe dans le coût global du tarif par exemple). 

Le lien entre le tarif et les charges
Classiquement, le R1 est proportionnel au P1, le R2 est proportionnel au P2, P3 et P4 (fixe). 
Les charges sont définies ainsi : 
-P1 : charges d’achat de l’énergie (variables)
-P1’, parfois intégré dans le R1 : charges d’électricité (fixe)
-P2 : petit entretien (fixe)
-P3 : gros entretien, renouvellement (GER) (fixe)
-P4 : amortissement des investissements (fixe).

Ce modèle présente l’intérêt de donner une visibilité sur les charges fixes et apporte une certaine transparence, pour autant que les indexations présentent également le même souci de transparence et conservent une bonne lisibilité, en particulier dans la compréhension que peuvent en avoir les usagers. 

Et cette tarification présente également d’autres intérêts : en particulier, une part importante de R1 permet une vision plus grande pour les abonnés des économies d‘énergies générées par de potentiels travaux d’efficacité énergétique mais ne doit pas pénaliser une logique d’amortissement cohérente, en particulier pour les nouveaux réseaux en création. 

La répartition entre part variable/part fixe (soit usuellement R1/R2) est à considérer sur chaque projet ; notamment selon le coût d’investissement global. De manière classique, la part du R2 est plutôt faible pour des réseaux valorisant la chaleur fatale (de type UIOM/UVE) pour lesquels le réseau est amorti, plus élevé pour la biomasse et généralement encore plus important pour la géothermie (les investissements de production étant élevés). 

Mais loin de rester sur un modèle historique, un certain nombre de réseaux travaillent à des innovations et optimisations, notamment en retravaillant la répartition des composants du tarif à la suite de l’amortissement des installations, ou bien en faisant le choix d’intégrer tout ou partie de l’amortissement (P4) dans le R1, dans la logique de minorer le poids du R2. Ainsi, un participant à l’enquête indique une spécificité pour les particuliers : le R1 variable inclus le combustible et les charges d'exploitation (70% du total) et le R2 seulement le GER et l'amortissement (30 % du total). Par ailleurs, il y a dans de nombreux réseaux une adaptation de la tarification entre le secteur résidentiel et les autres secteurs. 

Généralement, la facturation se fait mensuellement avec des formules de révision qui peuvent être mensuelle, trimestrielle ou annuelle pour le R1 et le R2. Dans certains cas de régie, la fixation annuelle des tarifs se fait par délibération sans variation en cours d'année. La  facturation du R1 se fait avec une part théorique de chaque source d'énergie en fonction des engagements contractuels des concessionnaires. Le R2 est fonction de la puissance souscrite (par tranche). Un participant indique une péréquation sur l’ensemble de ses réseaux.

Quel tarif pour les réseaux de froid ? 
Généralement, il est mis en place une tarification adaptée pour les réseaux de froid, via notamment un R3 avec facturation des mètres cubes d'eau glacée, ce qui permet d’inviter à optimiser des installations de distribution interne des abonnés et entraîne l’amélioration du bilan énergétique. 
Si le terme R3 n’est pas toujours sorti en tant que tel, il peut apparaître au sein d’un sous-terme dans le R1, comme dans le réseau parisien Fraîcheur de Paris, avec un R1 composé de deux termes sur la consommation en MWh et sur les m3 d'eau ; et un R2 en part fixe par kW.

Notre étude a également permis de tester l’appétence des répondants pour un certain nombre d’évolutions proposées, faisant apparaître plusieurs classes de mesures : 

  • Celles qui ont bénéficié d’un accueil très positif, notamment sur le ré-équilibrage du tarif après la période d’amortissement ou la répartition différentes des charges portées par le R1/R2
  • Celles paraissant les plus complexe à mettre en œuvre, en particulier le bonus/malus sur la température de retour, en particulier si cette approche doit se faire brutalement
  • Celles semblant les plus aisées à mettre en œuvre : en dehors de la réduction des charges de R2 à la fin de la période d’amortissement, les modulations de puissance en fonction de la durée d’engagement.


Si la facturation annuelle en une fois du R2 a été peu plébiscitée, suscitant un intérêt intellectuel mais une difficulté de mise en place réelle, le lien entre la tarification et la température retour a connu un vrai intérêt. Déjà pratiqué dans un certain nombre de réseaux (en particulier solaires, mais de plus en plus dans les réseaux de chaleur géothermique et maintenant biomasse avec la généralisation des chaudières à condensation nécessitant un contrôle du Delta T chaufferie optimal), elle tend en effet à se développer. L’acceptation d’une telle mesure est sans doute plus difficile pour les abonnés des réseaux existants, mais plus aisée pour les nouveaux réseaux. La mise en avant d’une expérimentation est à souligner, avec un déploiement progressif de cette mesure sur trois ans :

  • La première année, un message aux abonnés en leur indiquant lorsqu’il y avait des écarts, et ce que cela aurait impacté sur leur tarif ;
  • La deuxième année, mise en place d’un bridage ;
  • La troisième année, application des conditions de facturation contractuelles avec pénalités associées. 

 

Et du côté d’autres pays d’Europe ? Focus sur les pays nordiques

Au Danemark il est intéressant de noter que si les coûts à inclure dans la tarification des réseaux de chaleur sont fortement régulés, il n'y a en revanche pas de règles spécifiques concernant la structure tarifaire en elle-même. On peut retenir le principe de "coût réel" et de non-lucrativité :

Seuls les coûts nécessaires sont couverts par les consommateurs ;

Mais TOUS les coûts nécessaires sont couverts par les consommateurs ;

Les coûts nécessaires signifient les plus bas possibles, c'est-à-dire que si une énergie moins chère est disponible, les consommateurs n'ont pas à payer plus cher ;

Tout surplus éventuel revient aux consommateurs.

Ensuite sur la structure tarifaire, comme en France elle est généralement composée d'une part fixe (abonnement correspondant à la puissance souscrite + coûts de fonctionnement du réseau (amortissement et entretien)), et d'une part variable correspondant aux consommations. La part variable est cependant relativement plus importante et représente en moyenne 2/3 du prix de la chaleur. Certains gestionnaires de réseaux ont mis en place une tarification incitative, qui peut être calculée par rapport au refroidissement de la température retour ou à l'effacement des consommations par exemple.

En Suède, si l’approche intellectuelle est similaire, elle se traduit dans les faits différemment.

Ainsi, pour les usagers du réseau de chaleur de Göteborg, l’un des principaux en Suède, le prix du réseau de chaleur est modulé selon 4 choix qui vont de la location de l’échangeur à l’achat de celui-ci (avec 2 choix intermédiaires). Le prix peut être simulé sur le site internet goteborgenergi.se, très visuel et pratique (vidéos, simulations, etc.) pour les usagers ou les personnes qui s’intéressent au réseau. Le choix le moins cher à l’investissement est celui de la location, dans ce cas Göteborg Energi gère tout de A à Z. C’est le choix fait plutôt par les locataires de logement. Ensuite, le choix n°2 correspond à un investissement léger sur l’installation, avec un prix en €/kWh identique au choix « location ». Le choix n°3 correspond à un investissement plus important du client sur l’installation et un prix en €/kWh plus faible. Et enfin le choix n°4 correspond à un investissement important sur l’installation et un prix en €/kWh faible, cette offre est calibrée de telle sorte à concurrencer la solution PAC. C’est généralement ce qui est choisi par les propriétaires du logement.

Et du côté d’autres pays d’Europe ? Focus sur les pays nordiques

Au Danemark il est intéressant de noter que si les coûts à inclure dans la tarification des réseaux de chaleur sont fortement régulés, il n'y a en revanche pas de règles spécifiques concernant la structure tarifaire en elle-même. On peut retenir le principe de "coût réel" et de non-lucrativité : 
- Seuls les coûts nécessaires sont couverts par les consommateurs ;
- Mais TOUS les coûts nécessaires sont couverts par les consommateurs ;
- Les coûts nécessaires signifient les plus bas possibles, c'est-à-dire que si une énergie moins chère est disponible, les consommateurs n'ont pas à payer plus cher ;
- Tout surplus éventuel revient aux consommateurs.

Ensuite sur la structure tarifaire, comme en France elle est généralement composée d'une part fixe (abonnement correspondant à la puissance souscrite + coûts de fonctionnement du réseau (amortissement et entretien)), et d'une part variable correspondant aux consommations. La part variable est cependant relativement plus importante et représente en moyenne 2/3 du prix de la chaleur. Certains gestionnaires de réseaux ont mis en place une tarification incitative, qui peut être calculée par rapport au refroidissement de la température retour ou à l'effacement des consommations par exemple.

En Suède, si l’approche intellectuelle est similaire, elle se traduit dans les faits différemment.

Ainsi, pour les usagers du réseau de chaleur de Göteborg, l’un des principaux en Suède, le prix du réseau de chaleur est modulé selon 4 choix qui vont de la location de l’échangeur à l’achat de celui-ci (avec 2 choix intermédiaires). Le prix peut être simulé sur le site internet goteborgenergi.se, très visuel et pratique (vidéos, simulations, etc.) pour les usagers ou les personnes qui s’intéressent au réseau. Le choix le moins cher à l’investissement est celui de la location, dans ce cas Göteborg Energi gère tout de A à Z. C’est le choix fait plutôt par les locataires de logement. Ensuite, le choix n°2 correspond à un investissement léger sur l’installation, avec un prix en €/kWh identique au choix « location ». Le choix n°3 correspond à un investissement plus important du client sur l’installation et un prix en €/kWh plus faible. Et enfin le choix n°4 correspond à un investissement important sur l’installation et un prix en €/kWh faible, cette offre est calibrée de telle sorte à concurrencer la solution PAC. C’est généralement ce qui est choisi par les propriétaires du logement.

Si la diversité des tarifications est le reflet de la diversité des situations locales, un certain nombre d’invariants se dessine, et le maître d’ouvrage, associé à son partenaire privé dans le cas d’une concession, apportera ainsi le plus grand soin à discuter de ce sujet, et à le suivre régulièrement. Une chose est sûre, l’équation gagnante de la « parfaite » tarification impacte très positivement le développement d’un réseau vertueux, et assure un équilibre satisfaisant pour tous !

Un article rédigé par Guillaume Perrin (FNCCR) et Cindy Melfort (Cerema). 

 


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