[Dossier Hors-site] #7 - Les bâtiments réversibles et évolutifs, l’avenir du secteur de la construction

Rédigé par

Hélène MEYER

Responsable communication et marketing

9889 Dernière modification le 19/10/2020 - 12:02
[Dossier Hors-site] #7 - Les bâtiments réversibles et évolutifs, l’avenir du secteur de la construction

De nos jours, l’évolutivité des bâtiments (voire la réversibilité ou la démontabilité complète) devient un critère central dans les projets de construction et de rénovation. En effet, elle permet de s’adapter très rapidement à l’évolution des usages d’un bâtiment, par la transformation des aménagements intérieurs ou même de la structure de la construction. Rencontre avec Aline Maréchaux, présidente de la start-up Agilcare Construction, concepteur de bâtiments entièrement réversibles et évolutifs. Agilcare a été labellisé « Solutions efficientes Solar Impulse » et présentera sa solution, parmi d’autres solutions labellisés Solar Impulse, au colloque Build & Connect, qui se tiendra à Strasbourg en novembre 2020.

1. Quelle est votre définition du bâtiment réversible et évolutif ?

Aline Maréchaux : Il existe plusieurs notions. Quand on parle de réversibilité aujourd’hui, on fait surtout référence à des logements qui deviennent des bureaux et inversement. Mais c’est assez restrictif, on pourrait avoir besoin d’équipement par exemple ou d’étage en moins…

On parle aussi de construction transférable quand elle offre la possibilité de déconstruire un bâtiment dans sa totalité et de rendre un site en l’état après une occupation par un bâtiment. Il n’y a plus besoin de mener de gros travaux de démolition et dépollution. Cela permet également d’éviter de nombreux coûts liés à la déconstruction et à la démolition. C’est ce vers quoi nous devons aller.

Pour nous, chez Agilcare, l’évolutivité, pourrait être le terme générique qui qualifie ces changements d’état du bâtiment, le contenu (programme) ou le contenant (la construction en elle-même). C’est de ce fait aussi pouvoir transformer complètement l’enveloppe d’un bâtiment selon les besoins, en plus de l’aménagement intérieur. Il devient ainsi possible de dépasser la dialectique logements / bureaux, et d’ouvrir les potentialités d’usage des bâtiments, en modifiant leur façade et leur volume. Cela permet d’allonger grandement la durée de vie d’un bâtiment, jusqu’à sa déconstruction complète.

 

2. Comment construire de tels bâtiments ?

A. Maréchaux : La construction modulaire via des éléments préfabriqués est un moyen d’y parvenir. Elle intègre tout type d’ouvrage, de la maison individuelle à l’immeuble. Chez Agilcare, nous travaillons à partir de caissons Nano® en bois 2D (d’environ 2m50), pré-isolés en fibre de bois, prêts à être utilisés. Cela permet d’adopter un mode de construction des bâtiments de type Lego : tout peut être assemblé et désassemblé rapidement, sans mettre en place des opérations lourdes de chantier ni de convoi exceptionnel. Il est important d’avoir des éléments standardisés, qui puissent être réutilisés dans de nombreux projets sans qu’il y ait de problèmes de dimension. Mais cela ne veut pas dire pour autant que l’architecture du bâtiment doit être standardisée. Il est tout à fait possible de réaliser des ouvrages à l’architecture remarquable à partir d’éléments de base standards, pour peu qu’ils soient de petite taille.

 

3. En quoi les bâtiments réversibles et évolutifs répondent à des enjeux de durabilité ?

A. Maréchaux : Ces bâtiments sont durables justement parce qu’ils sont évolutifs. Le principe, c’est que chaque élément du bâtiment soit réutilisable. Ainsi, on évite la création de déchets issus de la déconstruction ainsi que la surproduction de matériaux. Le secteur du bâtiment, c’est 48 millions de tonnes de déchets par an en France. Il y a un véritable travail de fond à mener sur ce sujet. Avant l’avènement du béton, les bâtiments étaient construits massivement en pierre de taille, bois ou brique. Les maisons des hameaux étaient faites à partir du réemploi des pierres des bâtiments inutilisés. Cela évitait d’aller chercher de la pierre supplémentaire. Avec le béton, cela n’est plus possible. Or, aujourd’hui, nos modes de vie, nos besoins et les normes évoluent très rapidement. Nous avons donc besoin de bâtiments capables de rapidement s’adapter mais également de s’inscrire dans le temps, qui soient frugaux en ressources, sobres en énergie, avec des faibles besoins en maintenance.

 

4. Vous utilisez le bois comme matériau principal. Pourquoi ce choix ?

A. Maréchaux : Nos caissons Nano® sont constitués à 90 % de bois, en comptant l’isolation en fibre de bois. Travailler avec le bois présente de multiples avantages.

  • D’abord, cela nous permet de faire appel aux filières françaises. Il est tout à fait possible de travailler avec du bois de nos régions, transformé en France, dans des conditions durables. Nous avons choisi d’utiliser du bois en provenance de forêts certifiées PEFC, ce qui assure une gestion durable des forêts, situées dans le Morvan, dans la Somme et dans les Vosges pour nos chantiers franciliens.
  • Ensuite, le bois est un matériau de construction souple, agile. Il est facile à reconditionner et se standardise bien. Ce qui en fait un matériau pratique pour l’industrialisation d’éléments de bâtiments réversibles et évolutifs.
  • Enfin, le bois a un bon impact environnemental. Il limite les émissions de gaz à effet de serre grâce à ses capacités de stockage de carbone. Même si elles sont encore à structurer, les filières de recyclage et de réemploi existent. Les matériaux produits localement demanderont moins de transport, donc moins d’émissions carbone. De plus, les bâtiments ont de bonnes performances thermiques et énergétiques, ce qui permet de diminuer la consommation d’énergie et la facture énergétique, tout en garantissant un confort intérieur optimal.

 

5. Pouvez-vous nous présenter quelques projets de bâtiments réversibles et évolutifs emblématiques que vous avez réalisés ?

A. Maréchaux : Nous avons eu l’occasion de travailler sur de multiples projets, avec des acteurs très différents, aux besoins variés (public privé / équipements logement bureaux). Nous avons ainsi pu constater que les bâtiments réversibles et évolutifs sont aptes à répondre aux évolutions du secteur de la construction, et qu’ils sont pertinents dans de très nombreux projets.

Le tout premier bâtiment que nous avons réalisé est « la maison qui déménage », un projet mené avec Habitat Humanisme Ile-de-France, une fédération d’associations qui lutte pour l’habitat pour tous. Il s’agissait de construire une maison transférable d’un endroit à un autre selon les besoins en hébergement, quelle que soit la durée finale d’occupation…généralement incertaine au démarrage.

Le premier appel d’offres public que nous avons remporté avait été émis par la commune de La Garenne-Colombes. La collectivité avait besoin d’installer un espace d’accueil temporaire à l’entrée de son cimetière, qui faisait partie du périmètre d’une zone d’aménagement concertée. L’entrée allait ainsi être transformée, mais la collectivité ne savait pas quand. Il fallait donc un bâtiment qui soit facilement démontable et réutilisable. Dès le début, la commune a réfléchi à la transformation du bâtiment. Elle a souhaité qu’il puisse être réutilisé pour un centre de vacances, mais dans une configuration architecturale différente. Un bâtiment réversible et évolutif répond à tous ces enjeux. La collectivité a ainsi pu bénéficier d’un local d’accueil pérenne pour son cimetière, avec une bonne qualité architecturale, qui sera facilement transféré au centre de vacances…dans des délais encore inconnus.

Aujourd’hui, nous livrons un projet pour les hôpitaux de Paris. Pour l’instant, les hôpitaux ont identifié un besoin en bureaux. Mais ils ont conscience que ces besoins peuvent évoluer dans les années à venir. De plus, certains hôpitaux ont une architecture classée patrimoine historique. Il fallait une solution qui permette de conserver la qualité architecturale. C’est pourquoi ils ont souhaité investir dans des locaux réversibles et évolutifs pouvant ultérieurement satisfaire d’autres besoins… inconnus à l’heure actuelle.

On constate dans ces projets que notre démarche a été choisie car elle permet de sécuriser l’investissement d’aujourd’hui, en offrant un champ des possibles dans un contexte d’avenir incertain.

 

6. Quels sont les freins au développement des bâtiments réversibles et évolutifs ?

A. Maréchaux : Pour les bâtiments en bois, il existe un frein lié au coût du matériau. Pour l’instant, il est vrai que la construction bois coûte plus cher que le béton en France, mais ça peut changer si le volume de la commande augmente. Le béton va aussi manquer d’eau et de ressources, il faudra aussi qu’il pense à la réutilisation de ses éléments. Cela va rééquilibre les coûts d’investissement et ce qui fera la différence ce n’est pas le matériau avec lequel on construit mais la manière dont on construit. Nous réfléchissons en coût global du bâtiment sur toute sa durée de vie : donc sa qualité de confort et énergétique pour réduire les coûts de fonctionnement et de maintenance ; ainsi qu’à son adaptabilité au changement pour réduire ses coûts de travaux ; et finalement à sa fin de vie, pour réduire les coûts de démolition voire générer des recettes de reventes d’éléments constructifs !

Un des freins principaux sur la question du coût global est le manque d’intégration du facteur de réutilisation d’éléments dans les différents référentiels et labels du bâtiment. Par exemple, nous avons souhaité faire une analyse de cycle de vie. Mais les référentiels sur le marché ne prennent pas en compte le réemploi des matériaux dans le bâtiment, ce qui est pourtant central. Alors que les bâtiments que nous proposons remplissent tout à fait les normes de la RE2020. Il est essentiel que les différents référentiels adoptent une vision globale du bâtiment. Des acteurs comme le CSTB travaillent à intégrer le réemploi dans les référentiels, ainsi que la notion de coût global sur des immeubles réversibles en changeant d’usages (logement / bureaux), c’est un début.

 

7. Comment encourager les acteurs du secteur à se tourner vers ce type de bâtiment ?

A. Maréchaux : Il y a trois leviers principaux pour mobiliser les acteurs d’un secteur :

  • Le premier levier, le plus efficace, c’est celui de la loi. Ce levier peut réellement contraindre tous les acteurs du bâtiment à adopter une démarche réversible et évolutive. La loi ALUR, par exemple, oblige les logements à être évolutifs pour les personnes à mobilité réduite ainsi qu’à réduire les déchets de la construction. Il est donc nécessaire d’avoir une politique forte du gouvernement sur ce sujet.
  • Ensuite, il y a le levier économique. C’est souvent celui qui motive le plus. Il s’agit de montrer que la réversibilité et l’évolutivité permettent de sécuriser les investissements dans un bâtiment, et d’éviter les coûts liés à la démolition ou aux gros travaux de restructuration
  • Enfin on aurait souhaité que l’engagement environnemental des acteurs de la construction soit une motivation suffisante. Cela peut soutenir les politiques RSE dans les entreprises.

La plupart de nos clients sont volontaires et audacieux soit par sensibilité environnementale soit par pragmatisme économique : il s’agit de construire durable dans un monde en évolution et un contexte incertain.

 

 Article signé Aline Maréchaux, présidente de la start-up Agilcare Construction dans le cadre de Build & Connect

 

 

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