« Des mesures désirables pour faire évoluer les mobilités dans le sens de la décarbonation »

Rédigé par

Amandine Martinet - Construction21

Journaliste

1841 Dernière modification le 09/11/2023 - 11:32
« Des mesures désirables pour faire évoluer les mobilités dans le sens de la décarbonation »


« Décarboner les mobilités quotidiennes : enjeux et leviers pour l’action territoriale » : tel est l’intitulé d’un cahier récemment publié par le Cerema. Ce document accessible gratuitement en ligne parcourt le thème crucial du « se déplacer sans polluer » : tout un programme, donc, dont nous avons parlé avec Pierre Chaniot,  directeur adjoint du département Mobilité au Cerema Méditerranée et Patrice Morandas, adjoint au directeur du département mobilités au sein de la direction technique territoires et villes du Cerema (basée à Lyon). 

 

Qu’est-ce qu’une mobilité décarbonée ? Quelles sont les solutions à privilégier aujourd’hui en ce sens selon vous ? 

Pierre Chaniot : Une mobilité décarbonée est une mobilité qui a peu recours aux énergies fossiles. Concrètement, cela revient à limiter les distances parcourues en voiture thermique ou en avion, favoriser des modes de déplacement sobres : vélo, transports collectifs… mais aussi choisir des énergies moins intenses en carbone, telles que les voitures électriques par exemple. 

Alors que la consommation croissante de pétrole a permis une augmentation de la vitesse des déplacements au cours des dernières décennies, la décarbonation des mobilités suppose au contraire un certain ralentissement et une certaine sobriété des modes de déplacement. 

L’acceptabilité de ce nouveau paradigme sera d’autant plus forte que la décarbonation s’accompagnera de mesures désirables pour l’usager. Par exemple, la fermeture d’une voie de circulation est d’autant plus acceptable que le réaménagement de l’espace qui lui était dédié propose des aménités à l’usager : végétalisation, aménagement qualitatif de l’espace public, voie verte…

Patrice Morandas : Il faut abandonner le réflexe systématique de prendre la voiture – essence ou diesel – dès que nous avons un déplacement à faire, pour trouver les bonnes alternatives. 

PC : Les chiffres actuels indiquent que l’écrasante majorité (80 à 90 %) des kilomètres parcourus en France le sont en voiture. Par exemple, la ligne d’autocar entre Aix et Marseille a beau être la plus fréquentée d’Europe, elle ne représente que 12,5 % de part modale sur ce trajet. Il faut donc garder en tête que la voiture occupe une place prépondérante dans nos déplacements et que ce sera toujours le cas demain. Pour l’heure, l’idée n’est donc pas d’en finir avec ce mode de transport, mais de l’adapter avec des modèles plus légers, de mieux le remplir via le covoiturage, de revoir l’urbanisme pour diminuer les kilomètres parcourus… 

PM : En d’autres termes, nous partons de si loin que nous avons déjà de considérables marges de progression sans nécessairement arriver au sans voiture. Ce qui est important à nos yeux, c’est d’avoir des véhicules et des pratiques adaptés aux usages et aux besoins. Cela nécessite des évolutions dans les mentalités, dans le modèle économique, et dans la réglementation. 

Pensez-vous que l’enjeu des mobilités décarbonées est aujourd’hui suffisamment compris par les collectivités ? 

PC : Il existe une certaine hétérogénéité dans cette compréhension. Tendanciellement, les villes du Nord ont semblé mieux avancer sur le sujet. Par exemple, à Strasbourg, la mairie est engagée dans une démarche de décarbonation des transports de façon continue depuis une trentaine d’années, et ce au-delà des diverses alternances politiques. La structuration de l’urbanisme et du territoire compte pour beaucoup dans la décarbonation des mobilités : il est plus simple de décarboner les mobilités dans les « villes du quart d’heure » (centralité marquée et réseau de transports en commun développé). A l’inverse, une zone commerciale située loin des centres urbains, telle que la zone de Plan de Campagne aux abords de Marseille, ne favorise pas l’usage du vélo ! 

Désormais, il s’agit de pousser le curseur plus loin en termes de décarbonation pour atteindre les objectifs européens du « Fit for 55 ». Cela revient à contraindre plus fortement l’usage de la voiture individuelle, ce qui nécessite toujours une meilleure acceptation politique. En d’autres termes, est-on prêt à aller vers une tarification plus élevée du stationnement ? Restreindre davantage la place des véhicules motorisés en centre-ville ? Encourager le covoiturage et d’autres alternatives jusqu’à supprimer des voies de circulation pour mettre en place des voies réservées sur les axes structurants ? C’est à ces différentes questions que doivent répondre les collectivités aujourd’hui. 

Désormais, il s’agit de pousser le curseur plus loin en termes de décarbonation pour atteindre les objectifs européens du « Fit for 55 ».

 

Des exemples d’initiatives vertueuses sur le territoire ?

PC : Pour reprendre l’exemple de Strasbourg, il est très intéressant d'observer que cette ville a su faire rimer décarbonation avec qualité de vie. La contrainte sur la voiture individuelle – fermetures de voies ou piétonisation d’espaces de stationnement comme la place Kléber ou la place de la Cathédrale – a été accompagnée d’aménagements urbains à valeur ajoutée pour l’expérience des usagers : zones apaisées, végétalisation, fontaines, mobilier urbain… Plus largement, la question du stationnement est traitée finement, avec une tarification dissuasive, mais adaptée au cas par cas (les métiers de la santé en sont exemptés notamment). 

Autre cas, celui de Grenoble. Pour des raisons géologiques, cette ville est presque totalement plate, ce dont elle a tiré profit par le biais d’aménagements cyclables qualitatifs et capacitaires. Ainsi, la commune de Sassenage, éloignée d’environ sept kilomètres de Grenoble, compte une part modale du vélo très importante sur cette distance. 

Quels sont les acteurs à mobiliser en priorité sur les questions de mobilités décarbonées ? 

PC : Trois grands groupes d’acteurs se distinguent. En 2019, la loi LOM (Loi d'orientation des mobilités) a créé les AOM, Autorités organisatrices des mobilités. Il s’agit généralement des intercommunalités, agglomérations et métropoles, qui représentent un public majeur auquel s’adresser. Elles définissent et mettent en œuvre les services de mobilité et notamment l’offre de transports collectifs. Les gestionnaires d’infrastructures et de voiries constituent le deuxième grand type d’interlocuteur sur ces questions, parfois confondu avec les premiers. Ils entretiennent, aménagent et exploitent l’infrastructure, qui est le support des mobilités. Enfin, le troisième grand pan, ce sont les citoyens. À terme, nous devrons tous changer nos imaginaires, accepter de ralentir,   prendre davantage de temps [voir la thèse d’Aurélien Bigo  « Les transports face au défi de la transition énergétique. Explorations entre passé et avenir, technologie et sobriété, accélération et ralentissement »]. 

À terme, nous devrons tous changer nos imaginaires, accepter de ralentir,   prendre davantage de temps.

PM : Le Cerema se tourne en premier lieu vers les acteurs publics, mais tout le réseau des acteurs privés a un rôle important à jouer : la presse pour sensibiliser, les employeurs – avec toute une réflexion autour des trajets entre le domicile et le travail –, ou encore les entreprises dans leur activité de logistique urbaine notamment. La question de la mobilité décarbonée concerne donc l’ensemble des acteurs de nos sociétés
 

Lire aussi : Le guide des mobilités décarbonées vues par le Cerema
 

Parlons de cette publication Décarboner les mobilités quotidiennes : Enjeux et leviers pour l’action territoriale : pouvez-vous la présenter ? A quel public s’adresse-t-elle, et quels sont les outils qu’elle peut fournir ? 

PC : La publication a été structurée selon trois axes : éviter (comment limiter le nombre de déplacements parcourus en voiture ou en avion ?) changer (quels moyens de déplacement sobre privilégier ?), améliorer (quelles innovations technologiques pour limiter l’impact sur la planète ?). 

PM : Le Cerema édite plusieurs collections de produits éditoriaux. Parmi eux, le Cahier, sur un format de 48 pages A5 au maximum et doté d’illustrations concrètes, a pour vocation d’expliquer un sujet d’actualité de façon pédagogique, de sorte de pouvoir toucher potentiellement aussi bien les techniciens ou les élus locaux que le grand public (même si nous nous adressons en priorité aux représentants des collectivités). 

Cette ressource traite dans un premier temps des enjeux liés à la décarbonation des mobilités, pour ensuite présenter huit leviers opérationnels aux mains des collectivités – mais mobilisables également par d’autres acteurs – pour y parvenir. À noter que ces leviers ne sont pas hiérarchisés dans l’ouvrage. Ils sont tous utiles et complémentaires et chaque territoire a ses propres spécificités et moyens en la matière. 

PC : Ce Cahier cherche à démontrer comment les différentes actions en termes de mobilités peuvent être cohérentes au service de la décarbonation.  

Plus largement, quelles sont les actions quotidiennes du Cerema en faveur des mobilités décarbonées ?

PM : Le Cerema a pour rôle de produire et diffuser des connaissances via ses publications et des webinaires dédiés notamment, mais aussi d’accompagner au quotidien les collectivités sur le terrain, d’œuvrer pour l’innovation, en matière de mobilités décarbonées comme dans ses autres domaines d’action. 

Concrètement, parmi les diverses actions que nous proposons, on peut citer : veiller à ce que les documents de planification et leurs déclinaisons sur le terrain soient propices à un moindre usage de la voiture, proposer des services et aménagements en faveur de la marche et du vélo, mener des incitations auprès des agences de mobilité pour qu’elles donnent leurs recommandations auprès des citoyens et des employeurs, effectuer du conseil aux collectivités en termes de coûts pour mettre en place un réseau de transports en commun, coconstruire des offres périurbaines autour des grandes métropoles (RER, TER, cars express), participer à des plans nationaux tels que celui sur le covoiturage, organiser la logistique urbaine… 

PC : Il nous faut également gérer les pôles générateurs de déplacements et promouvoir un urbanisme encadré et densifié pour garder une sobriété d’ensemble – éviter le mitage urbain, en somme, qui génère une montée de fréquentation des infrastructures et à terme des problèmes de congestion et de pollution. 

PM : De même, nous souhaitons mettre en avant les pôles d’échange multimodaux autour desquels structurer l’urbanisation et dans lesquels convergent les modes de transports collectifs, les modes actifs… Il s’agit de favoriser ces nœuds de connexion. 

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