[Urgence climatique] 3 questions à Sébastien Maire, Délégué général de France Ville Durable
Suite de notre série d’interviews consacrée à l’urgence climatique. Découvrez les états des lieux dressés par des acteurs engagés et institutionnels, ainsi que leurs préconisations pour atténuer les effets du changement climatique, s’adapter à ses conséquences et tirer parti des opportunités engendrées par ces évolutions.
Aujourd’hui, nous vous proposons l’interview de Sébastien Maire, Délégué général de France Ville Durable, qui présente :
- son constat relatif à l’urgence de la situation actuelle vis-à-vis du changement climatique et à la nécessité de changer de paradigme, notamment en matière de gouvernance des territoires, pour y faire face ;
- ses recommandations pour accélérer l’action des collectivités dans ce domaine : appréhension des enjeux et du fonctionnement du territoire de manière holistique et application de la sobriété aux politiques publiques et économiques ;
- les missions de l’association : « mise à jour » des enjeux de la ville durable ; organisation d’ateliers dans les territoires ; diffusion à l’international de certaines spécificités de la ville à la franco-européenne.
Quel est votre constat de la situation actuelle vis-à-vis du changement climatique dans le secteur de la construction, de l’immobilier ou plus généralement du cadre de vie ? Où en sont les territoires ?
1er constat, les émissions de gaz à effet de serre continuent d’augmenter au niveau mondial et stagnent ou augmentent moins vite en France mais ne baissent pas. De plus, on réalise de plus en plus que les logiques de développement durable, qui laissaient croire qu’on pourrait verdir notre économie sans en changer les fondamentaux, ne fonctionnement pas ou pas suffisamment. 2ème constat, depuis les accords de Paris, deux nouveaux enjeux sont apparus : l’adaptation au changement climatique et la résilience. En effet, il faudra s’adapter, car même si les gaz à effet de serre baissaient drastiquement à partir d’aujourd’hui, les conséquences sont d’ores et déjà dramatiques pour les 30 prochaines années. Il y a, d’autre part, bien d’autres enjeux que le climat qui sont également préoccupants (terrorisme, crises sanitaires, inégalités croissantes, perte de biodiversité, artificialisation des sols, pollutions et acidification des océans, etc.) et qu’il faut tout autant prendre en compte dans la planification urbaine. 3ème constat : malgré cette situation, on continue de penser que nous pourrons fonctionner de la même façon en 2050 qu’aujourd’hui, grâce à quelques optimisations et aux avancées technologiques, indépendamment de la réalité des limites physiques de la planète, en particulier dans le domaine de l’énergie .Où en sont les territoires ? Beaucoup ont compris l’urgence mais peu d’actions dépassent le cadre de chaque collectivité, et de chaque secteur d’intervention, pour embrasser la logique plus holistique et systémique des enjeux et solutions, qui seule peut avoir des impacts significatifs. La gouvernance fonctionne encore trop en silos alors qu’elle devrait être plus transversale au sein des administrations, mais aussi entre secteurs public et privé, et impliquer davantage les habitant.e.s, les scientifiques et les acteurs économiques. Réunir les bonnes parties prenantes autour de la table est le préalable à l’identification et à la mise en œuvre des meilleures solutions. Autre enjeu : passer des actions symboliques à un changement global de politique pour appréhender les problèmes. Enfin, en matière de bâtiment, l’enjeu principal concerne peut-être l’évolution nécessaire du modèle économique actuel de la construction et de l’aménagement, qui est principalement basé sur le neuf. En effet, dans le domaine de l’habitat par exemple, 80 % de celui qui sera là en 2050, quand les canicules pourront durer un mois et atteindre 50°, est déjà construit. C’est là que se situe le principal enjeu de transition et d’adaptation, pas sur les 20 % qui seront construits d’ici là et qui seront, de toutes façons, déjà beaucoup plus vertueux. Il faut donc trouver un modèle qui rende la rénovation plus viable économiquement.
Quels sont les leviers d’action des territoires vis-à-vis de l’urgence climatique ? D’après-vous, le Plan de relance va t’il accentuer la prise de conscience des collectivités locales ?
Les méthodes et outils nécessaires existent mais pour agir, il faut un consensus sur le constat et le paradigme dans lequel s’inscrire, à savoir la prise en compte des limites physiques de la planète. Des outils très intéressants ont été développés par l’État, ou organismes associés comme l’Ademe, par certaines collectivités et par des bureaux d’études. Mais ces initiatives restent minoritaires. Les méthodes et solutions se multiplient pourtant afin d’appréhender les enjeux et le fonctionnement du territoire de manière holistique. Quelques exemples : la « boussole de la résilience » du Cerema, pour penser le développement du territoire dans les limites de ses vulnérabilités ; la « théorie du Donut » de l’économiste Kate Raworth, appliquée notamment à Amsterdam, transformée en méthode de planification et de prévision budgétaire qui ajoute un plafond environnemental aux ODD (Objectifs de Développement Durable) ; le « shift project », think tank qui œuvre en faveur d'une économie libérée de la contrainte carbone et qui développe des outils de calcul d’ACV (Analyse de cycle de vie) intéressants pour la sobriété numérique, etc.. Autre levier d’action : l’application de la sobriété aux politiques publiques et économiques. Dans le public, la démarche est favorisée par la nécessité d’opter pour les solutions les plus vertueuses financièrement. Rendre soutenable pour l’économie les logiques de sobriété constitue un défi plus grand ; il s’agit d’un savant équilibre à trouver, « ne pas faire » étant parfois plus judicieux en termes d’émissions de carbone et de consommation d’énergie que « faire vert ». Quant au Plan de relance, il peut et doit bien sûr constituer un levier ; il place par exemple en priorité la massification de la rénovation énergétique. La RE2020 donne par ailleurs une feuille de route qui est plus exigeante pour le secteur du bâtiment, mais qui est dans le même temps plus conforme aux objectifs d’atténuation et d’adaptation au dérèglement climatique. Puisqu’il y a urgence, il est primordial de ne plus se tromper de paradigme. En somme, le cadre logique suivant lequel seront réalisés les travaux et sera financé le développement de nos filières doit être à présent plus raisonnable et soutenable pour la planète.
Du bâtiment à l’aménagement, comment France Ville Durable promeut les projets exemplaires et le savoir-faire des acteurs français en matière de lutte contre le changement climatique ?
France Ville Durable, association regroupant les acteurs professionnels de la ville durable (Etat, collectivités, entreprises et experts) et qui valorise et diffuse les bonnes pratiques des projets exemplaires, finalise actuellement une « mise à jour » des enjeux de la ville durable dans ce nouveau contexte. Ce cadre logique plus adapté sera largement diffusé aux acteurs, notamment lors d’ateliers avec les exécutifs et directions générales des collectivités. Ces ateliers constitueront notamment une occasion de présenter et promouvoir les solutions proposées par ses membres, comme Construction 21 ou Certivéa. Le portail internet de France Ville Durable va également être entièrement remanié pour contribuer davantage à la massification des bonnes pratiques en France et à l’international, en mettant en avant les meilleurs projets. L’action internationale de France Ville Durable est par ailleurs en plein développement, avec l’objectif de promouvoir et diffuser certaines spécificités de la Ville durable à la franco-européenne, qui ne sont pas les mêmes que dans les modèles anglosaxons ou asiatiques par exemple. Régulation publique assumée pour l’intérêt général, fonctionnement et élaboration démocratique des projets, ou encore objectif systématique d’inclusion des plus vulnérables dans la transition urbaine en sont quelques exemples.
Télécharger l’interview - Accéder au site Certivea.