Quels maillons forts pour massifier les isolants biosourcés ?

Rédigé par

magali castex

1796 Dernière modification le 30/01/2024 - 00:00
Quels maillons forts pour massifier les isolants biosourcés ?

Les matériaux biosourcés jouent un rôle clef dans tous les scénarios d’atténuation carbone. Massifier les filières afin qu’isolation rime avec biosourcé implique de s’intéresser aux différents maillons de la chaine, de la ressource initiale jusqu’au financement des bâtiments. 

Dans la diminution de l’empreinte carbone, l’isolation biosourcée impacte la réduction des besoins énergétiques et le poids carbone de la construction. Une perspective bas carbone nécessite de généraliser des matériaux qui stockent le carbone dans une conception qui rende les bâtiments plus robustes face aux vagues de chaleur prévues et aux hivers qui restent froids.

Le projet Maillons a étudié une dizaine de systèmes constructifs biosourcés de la Vallée de la Seine en neuf et en rénovation (dans le cadre d’une aide des Régions Île-de-France et Normandie et de l’ADEME). Ils mettent en évidence les défis variés tout au long de la chaine :

  • Le défi de notre image mentale de ces programmes et projets
  • Le défi du corpus technico-règlementaire applicable
  • Le défi économique qui nécessite d’optimiser les coûts autant que de repenser les budgets
  • Le défi du chantier qui rebat les compétences 

Le défi programme/projet

Les morphologies de bâtiment auxquelles nous sommes habitués sont modelées par le béton, matériau extrêmement approprié par concepteurs et entreprises, malléable à l’envie et peu sensible aux écarts de mise en œuvre. Dans le domaine des matériaux biosourcés, géosourcés ou issus du réemploi, la matière devient première dans le travail de conception, et invite à une réflexion sur la forme du bâtiment.

La compacité limite la consommation de matière, et donc le coût, et simplifie les systèmes de façade. Ainsi la pose de panneaux ou de rouleaux de fibres, de bottes de paille ou de caisson de fibres se fait usuellement sur des surface planes, et tout décrocher est une complexité nécessitant des ajouts de structures support. De même, les éventuels espaces extérieurs sont rapportés pour éviter les discontinuités d’isolant. La réduction des surfaces vitrées laisse de la place aux isolants biosourcés. Le prototype du bureau tertiaire étudié, initialement en mur rideau, évolue vers un mur avec ouverture pour intégrer le remplissage en botte de paille.

Réinvestir le coût des parkings enterrés dans le biosourcés

La réduction du nombre de sous-sol réduit le coût carbone en construction et en fonctionnement. La place de parking au travail impacte le taux de voiture possédée et oriente à la fois vers la mobilité comme un service et vers la réduction de taille des bassins de vie. Cette adaptation du programme libère des moyens pour la façade. 

Vers une nouvelle esthétique

Tous ces choix changent l’architecture, son esthétique et donc les références mentales des investisseurs, utilisateurs etc. Il y a donc un nouvel imaginaire à partager sur ces immeubles de bureaux. 

Le défi du corpus technico-règlementaire applicable

Le corpus disponible à date a été construit autour d’une production manufacturière conjoncturellement alors peu soucieuse des enjeux de décarbonation. Les matériaux de cette production présentent, d’une façon générale, peu de vulnérabilités en étant par exemple souvent incombustibles et résistants au feu, d’une part et relativement inertes vis-à-vis de l’humidité, d’autre part. Les écosystèmes de conception et de mise en œuvre se sont ainsi globalement organisés autour de ces caractéristiques structurantes.

Sur ces paramètres, la plupart des procédés constructifs composés de matériaux biosourcés en prend l’exact contrepied : ces modes constructifs sont en effet exigeants. 
Face à ce changement de paradigme à bas bruit, il est donc nécessaire de réexpliciter l’implicite pour éviter la survenance de pathologies contreproductives à un développement que l’on souhaite durable. 

L’accélération en reconnaissance technico-règlementaire voulue pour ces matériaux pourra être atteinte lorsque les actions scientifiques menées seront rendues parfaitement intelligibles vis-à-vis des critères de reconnaissance qui ont cours pour évaluer leur aptitude à l’emploi dans un environnement bâtimentaire.

Bien utiliser le corpus disponible

A ce titre, les référentiels, qu’ils relèvent du domaine traditionnel (Recommandations ou Règles Professionnelles acceptées par la C2P) ou non traditionnel (Avis Techniques, ATEx, etc.), tiennent bien compte de ces spécificités et l'étude Maillons a souhaité restaurer une bonne compréhension de ces sujets à travers les prototypes étudiés.
Au-delà, une bibliographie abondante mais sous-utilisée existe. Citons par exemple l’outil d’aide au choix CODIFAB qui permet entre autres de choisir des isolants biosourcés en restant dans le domaine de la technique courante.

Le défi des coûts de construction

Les simulations du projet Maillons sur les prototypes étudiés permettent d’atteindre une forte diminution des émissions carbone réglementaires, mais sont associées à des surcoûts significatifs, même s’il apparait quelques « bons plans » à iso coût, notamment sur le bâtiment tertiaire avec le passage du mur rideau à un mur percé.

Une concurrence faussée des matériaux usuels

Nous n’avons pas pu montrer qu’une optimisation de conception pouvait permettre d’annuler ou de limiter ce surcoût. Les impacts sanitaires ou environnementaux n’étant pas intégrés au coût, le faible coût de l’énergie et des transports maillés permettent une production industrielle très compétitive. 

Même des simulations sur les augmentations prévisibles du prix de l’énergie ne remettent pas fondamentalement en cause cet état de fait, car même en doublant les prix, la laine de verre, par exemple, reste moins cher que des isolants comme la paille ou la fibre de bois (graphique 1). 

Le signal prix est ainsi à la fois incertain dans sa temporalité et dans son ampleur, et donc dans ses effets attendus. 

De la même manière, le fait d’appliquer un coût aux émissions carbone n’est pas une perspective à court terme : même en prenant la valeur tutélaire du carbone à horizon 2030 préconisée par le rapport Quinet, la laine de verre reste plus intéressante économiquement.

C’est donc un changement d’approche qui doit advenir : stocker du carbone dans la construction et relocaliser la ressource au niveau territorial nécessite d’opérer un changement rapide et massif, quelles qu’en soient les conditions économiques au niveau du bâtiment. La réglementation environnementale crée un premier garde-fou qui doit s’affermir sans doute sur d’autres critères socio-économiques pour confirmer cette tendance vers le biosourcé.

Consolider l’équation carbone

Maillons a évalué les émissions réglementaires sur 4 prototypes, déclinés en 3 variantes chacun, représentant des optimisations carbone attendues de plus en plus marquées, et des enjeux de reconnaissance technico-règlementaires.   

Exemple sur un prototype d’immeuble de logements collectifs neuf : 

Les résultats ne sont pas conformes à l’attendu qui visait une diminution progressive de l’empreinte carbone au fur et à mesure des variantes. Cela souligne le manque de données optimisées pour les systèmes les moins répandus actuellement comme le chaux/chanvre. Cela souligne aussi un certain nombre d’incertitude, notamment sur la fin de vie, encore très impactante pour les matériaux biosourcés. Celle-ci, dans les exemples du tableau 1, émet presque autant de carbone que celui stocké pendant la production. Des circuits de réemploi plus développés permettraient notamment de réduire ce poids, où une meilleure évaluation de la transformation en matière organique pour les sols.

Ce travail de prototypage se heurte à nouveau à la pertinence des indicateurs actuels pour ces matériaux. Par exemple, la résilience du bâtiment face aux fortes chaleurs, via des phénomènes inertiels et hygrothermiques, a priori observés dans les bâtiments utilisant les biosourcés, reste encore peu décrite, éprouvée et partagée. La dimension sanitaire ou la réparabilité à long terme ne font pas partie de notre lecture de la performance.

Le défi du chantier : réinventer les process de qualité, S’adapter à chaque filière

Les conditions de la phase chantier peuvent mettre à mal les matériaux biosourcés, plus sensibles. A ce titre, une nouvelle culture inspirée des process qualité du monde industriel, pourrait accélérer l’usage de ces matériaux. Elle nécessite une montée en formation collective très importante.

Ces singularités sont donc à anticiper dès la phase conception mais aussi à adapter à chaque filière. La question de la temporalité : disponibilité de la ressource en paille, séchage du chaux/chanvre… de la vulnérabilité : à l’eau, à l’hygrothermie… varieront selon les matériaux et les systèmes constructifs.

La généralisation des procédés constructifs utilisant des matériaux biosourcés ne se fera pas sans une impulsion coordonnée de tous les acteurs depuis la ressource jusqu’à la commande pour lever les freins associés à chaque maillon de la filière. Créer ces communautés qui portent des systèmes constructifs biosourcés identifiés et placés doivent permettre d’atteindre les volumes de commande capables d’avoir un effet transformateur. 

Un article signé Magali Castex, chef de projet chez Zefco, Florian Dupont, Dirigeant-fondateur de Zefco, Eric Dibling, Dirigeant-Fondateur d'INGENECO Technologies, appuyés sur tout le travail de l’équipe Maillons, et en particulier pour cette phase d’évaluation : Elisabeth Boscher, Yvan Okotnikoff, Louise Lafage, Sylvain Deletraz, Nolwenn Hervé, Elie Durand, Laurent Mouly, Corentin hubert. 


Article suivant : « La préfabrication, outil indispensable pour le développement des isolants biosourcés », Julien Brisebourg, Référent Construction bas carbone, Bouygues Immobilier


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