Pour résoudre la crise de l’accès à l’eau, il faut prendre le problème à la source

Rédigé par

Philippe Dumont

3543 Dernière modification le 17/01/2024 - 10:20
Pour résoudre la crise de l’accès à l’eau, il faut prendre le problème à la source

Alors que l’accès à l’eau est une préoccupation pour des centaines de millions d’individus, le dérèglement climatique va aggraver la situation dans les années à venir, en particulier en Afrique. Face à l’urgence, les institutions internationales et les ONG sur le terrain tentent d’innover et de trouver des solutions.

Le chiffre est sans appel : 2,2 milliards. C’est le nombre d’individus qui, sur la planète, n’ont pas un accès domestique à de l’eau salubre. Sur ce total, près de 850 millions n’ont pas même un accès proche – souvent plusieurs kilomètres- à des services de base en eau assainie et 160 millions s’approvisionnent encore en eaux de surface. L’Afrique est la principale victime de cette catastrophe : un paradoxe alors qu’elle contient d’abondantes ressources en eau. En 2022, un rapport UNICEF/OMS pointait la lenteur des progrès des objectifs de développement durable sur l’eau et l’assainissement sur le continent et en rappelait l’urgence humanitaire.

Chaos d’eau

Comment en est-on arrivé là ? Au banc des accusés, un déficit d'infrastructures dédiées, mais aussi des facteurs environnementaux comme la mauvaise gestion des déchets et des eaux usées. Chaque année, près de 2,6 millions d’individus, dont des centaines de milliers d’enfants, le payent de leur vie. La situation devrait empirer comme le rappelle le Global Water Security, un rapport publié en mars 2023 à l’occasion de la conférence des Nations Unies sur l’eau à New-York. Ce rapport insiste notamment sur l’impact délétère du changement climatique pour l’accès à l’eau.

Le réchauffement entraine en effet une augmentation des phases de sécheresses, spécifiquement en Afrique de l’Ouest et du nord et dans la Corne de l’Afrique. Combinée à la pression démographique, l’aggravation des épisodes secs provoque la compétition pour l’accès aux ressources puis dégénère en conflits intercommunautaires. Ce n’est pas un hasard si les pays du Sahel, en plein chaos sécuritaire, sont aussi parmi les plus sujets à l’insécurité hydrique : comme le Niger, le Burkina-Faso, le Tchad, le Soudan et le nord du Bénin et de la Côte d'Ivoire. Selon l’ONU, les attaques de points d’eau se sont d’ailleurs démultipliées aux Burkina-Faso, passant de trois en 2020 à 58 en 2022. De fait, l’eau risque d’y devenir aussi convoitée qu’une des principales ressources du pays, l’or.

Vulnérables à ces chocs (sécheresses, mais aussi inondations) car peu équipés, les pays africains ont précisément besoin d’eau pour accompagner leur développement. Un cercle vicieux que les acteurs internationaux veulent briser. En effet, « l’eau est un besoin fondamental, et c’est la condition première et nécessaire du développement. Une fois que vous créez un point d’eau dans un village, vous libérez de la corvée d’eau dans les villages les femmes et les enfants. Les enfants peuvent se rendre à l’école, et les femmes peuvent avoir d’autres activités : agroforesterie, agriculture, artisanat, gestion du foyer, éducation des enfants…», résume ainsi Tarek Elkahodi, président de l'ONG LIFE. La pompe à eau ou le puit amorcent le cycle vertueux du développement, au-delà de permettre simplement la vie. Mais la démarche nécessite tout de même de disposer des financements nécessaires en amont, d’autant plus importants que l’urgence est là.

Vague de capitaux

Première conférence intergouvernementale sur l’eau depuis 1977, l’évènement onusien du mois de mars donne la mesure de la gravité de la situation. Comme l’a rappelé Audrey Azoulay, directrice-générale de l’UNESCO : « Il est urgent d’établir de solides mécanismes internationaux pour éviter que la crise mondiale de l’eau ne devienne incontrôlable ».

Pour répondre à l’urgence, l’ONU mise sur la coopération internationale : seule à même d’harmoniser la gestion des ressources en eau douce de la planète, notamment les aquifères transfrontaliers. Il s’agit aussi de mobiliser des capitaux substantiels afin de financer l’installation d’infrastructures d’adduction, de stockage et d’assainissement de l’eau dans les régions les plus dépourvues.

Comment financer la riposte ? Selon l’UNICEF, la résolution de la crise nécessiterait 114 milliards de dollars par ans. A l’ONU, les « fonds pour l’eau » sont envisagés comme une solution. Leur modèle s’appuie sur le rassemblement des acteurs locaux (services publics, entreprises, communes, agriculteurs) pour anticiper les problématiques liées à l’eau tel le fond du Haut Tana de Nairobi ou celui de Monterrey au Mexique.

De leur côté, l’Union Européenne et les Pays-Bas ont lancé en 2017 le Water Sector Fund, destiné à lancer des projets d’infrastructures hydriques dans les pays à revenus faible. Le monde de la finance s’investit également, à l’image du fond Thematics Water, ou d’Alliance GI. Selon le journal le Monde, ces fonds se conforment régulièrement aux ODD fixés par l’ONU. Des capitaux bienvenus au moment où la filière humanitaire souffre de graves problèmes de financement.

Des ONG comme Water.org se sont spécialisées sur le segment du financement. Présente dans onze pays sur trois continents, l’organisation cofondée par l’acteur Matt Damon s’est spécialisée dans les micro-crédits destinés à aider les familles à accéder à l’eau potable en prenant en charge, par exemple, les frais de raccordement. Très médiatisée, Water.org organise des campagnes publicitaires où elle affiche ses partenariats, comme Stella Artois ou Crypto.com en 2021.

Les ONG en pointe

Les Nations-Unis insistent sur la nécessité d’inclure les populations locales dans l’identification et le suivi des besoins. On retrouve ainsi dans certaines zones des comités de l’eau élus par les populations, comme à Gedo en Somalie. De plus en plus d’organisations ont recours à ce type de gestion localiste comme IRC Wash, WaterAid ou bien l'ONG LIFE. 

Depuis des années, les humanitaires travaillent sur le terrain afin d’appuyer des populations fragilisées par le manque de ressources hydriques. De grandes ONG comme Oxfam ou Action contre la Faim sont très actives sur le segment de l’eau. Mais depuis un peu plus d’une décennie, de nouveaux entrants, très connectés et très ouverts aux nouvelles technologies, émergent. C’est le cas de l’ONG LIFE. L’organisation, présente dans 25 pays, se signale par son approche très intégrée qui lie l’accès à l’eau au développement local : éducation, reforestation, etc.  Proche des prescriptions de l’UNCTAD en matière d’usage de la technologie pour favoriser l’accès à l’eau, LIFE favorise l’emploi de capteurs hydriques dans ses puits. Elle peut ainsi inspecter ses forages à longue distance et ainsi optimiser leur maintenance ; mais aussi récolter des données précieuses permettant de mieux cerner les besoins des communautés. En outre, LIFE déploie une stratégie de financement novatrice, basée sur les réseaux sociaux et la personnalisation de sa communication vers ses donateurs.

On peut aussi citer « The Water Project », fondé en 2007.  L’organisation a pour but de fournir un accès à l’eau à des communautés locales en Afrique subsaharienne. Elle met l’accent sur la transparence, la durabilité de ses projets et le caractère local de ses projets. L’ONG, très présente en Afrique de l’Est, tâche de doter les communautés locales d’eau potable via des puits, des systèmes de collecte de l’eau de pluie, mais aussi la protection des sources. L’enjeu sanitaire est en effet fondamental dans des pays où la défécation à l’air libre est encore répandue et la gestion des déchets insuffisante, voire inexistante. 

Cela sera-t-il suffisant ? Seul l’avenir pourra le dire. Il n’en demeure pas moins que la prise de conscience est réelle et que les acteurs se mobilisent. Les risques humanitaires mais aussi géopolitiques posés par une mauvaise gestion du capital d’eau douce de la planète sont suffisamment sérieux pour que l’affaire soit à l’agenda des grandes organisations internationales. Même les pays développés, à l’image de la France et de l’Australie, sont maintenant concernés. Et d’ici 2050 leurs populations pourraient elles aussi être touchées par le stress hydrique.

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