Quel impact de la norme FDES NF EN 15804+A2 sur les matériaux biosourcés ?

Rédigé par

Guillaume Delannoy

Adjoint Responsable Développement Industriel et Etude

3472 Dernière modification le 26/01/2024 - 10:11
Quel impact de la norme FDES NF EN 15804+A2 sur les matériaux biosourcés ?

La révision de la norme NF EN 15804 mise en application en France en Novembre 2022 a un impact notamment sur les filières biosourcés, en ne prenant plus en compte le stockage de carbone biogénique long terme dans le calcul. L’impact sur les matériaux biosourcés hors bois peut avoir un impact non négligeable sur ces filières et sur le maintien des objectifs de neutralité carbone du Bâtiment en 2050.

Le carbone biogénique est le fruit de la photosynthèse des plantes : le CO2 atmosphérique et de l’eau forment les briques unitaires de la plante et relargue du dioxygène. 1 kg de bois sec provient du captage de 1,6 kg de CO2 atmosphérique. Au-delà de la fixation du CO2 dans les sols lors de la phase agricole, le CO2 fixé dans la plante peut être :

  • rapidement réémis (combustion dans nos poêles, consommation d’aliments, …) 
  • « stocké » pendant une phase plus ou moins longue dans les matériaux et notamment ceux du Bâtiment. 

Il pourrait contribuer en partie à la décarbonation du secteur. Limiter la quantité de CO2 présent dans l’atmosphère dans la période charnière de bouleversement à engager d’ici à 2030 sur tous les secteurs peut être utile pour tenir les objectifs de la COP21. Les plantes à croissance rapide (chanvre, paille, bambou, …) ont notamment un rôle à jouer comme décrit dans l’article de Guillaume Habert de 2020.

Les ACV dans le Bâtiment

L’Analyse de Cycle de Vie (ACV) est un outil normalisé (ISO14040) d’évaluation environnementale multicritère et globale. Elle est :

  • Multiétape : « du berceau à la tombe » ou de la production des matières premières jusqu’à la fin de vie
  • Multindicateurs : Contribution au changement climatique, épuisement des ressources, …
  • Systémique : Prise en compte de l’ensemble du système (emballage, palettes, produits associés, …). 

Le Bâtiment a été pionnier dans l’utilisation de l’outil d’ACV pour mesurer et réduire l’impact environnemental du secteur. 

A l’échelle des produits de construction, les premières Fiches de Données Environnementales et Sanitaires (FDES) datent de 2006, la norme européenne NF EN 15804+A1 est publié en 2014, sa révision +A2 en 2019 avec une mise en application en France en 2022. 

A l’échelle du Bâtiment, la méthodologie E+C- a permis de préfigurer la Règlementation Environnementale 2020, RE2020, qui fixe des seuils d’émission de CO2 équivalent par m².

La méthodologie appliquée sur la NF EN 15804+A1

Sur les FDES des matériaux biosourcés sous format 15804+A1, le carbone biogénique est compté lors de l’étape de fabrication de matériau. Il est possible que le CO2 biogénique stocké soit plus important que les émissions lors de l’extraction des matières premières, leurs transformations et la fabrication du produit. La valeur de l’impact sur le réchauffement climatique sera négative. 

En fin de vie, il y a différents scénarios possibles (enfouissement, valorisation matière, énergétique ou organique – article sur la fin de vie des produits biosourcés). Pour justifier d’un scénario en fin de vie, il faut une réalité économique de filière. C’est-à-dire que s’il est techniquement possible de recycler, composter, brûler le matériau en fin de vie, mais qu’il n’y a pas de gisement, de dépose, de collecte et de valorisation, il n’est pas possible d’utiliser dans la FDES ce scénario. Il faut alors utiliser les scénarios par défaut inscrits dans le complément national. Tous les matériaux innovants avec une longue durée de vie, et par définition pas encore déconstruits peuvent difficilement optimiser ce scénario de fin de vie. Pour les isolants biosourcés, le scénario par défaut est l’enfouissement. 

Les matériaux biosourcés hors bois s’appuyaient sur le scénario de fin de vie du rapport CODIFAB de la filière bois de 2012, qui indiquait que seulement 15% du bois en enfouissement se décomposait en méthane et en dioxyde de carbone, et que le méthane était notamment capté ou brulé. 85% du carbone biogénique était donc stocké indéfiniment. Il est alors possible d’avoir des FDES avec une valeur finale sur l’indicateur réchauffement climatique qui reste négative.

L’ACV Dynamique dans la RE2020

Dans la RE2020, le calcul ACV à l’échelle du Bâtiment applique l’ACV dynamique. Un facteur de pondération est appliqué en fonction du temps. Plus une émission est tardive, moins elle sera prise en compte dans le calcul Bâtiment. A 50 ans, l’émission en fin de vie est pondérée d’un facteur 0.57. Cela permet de moins pénaliser les matériaux innovants n’ayant pas encore de solutions en fin de vie ou ne pouvant pas l’inclure dans le calcul en absence de gisement. Cela est vu également comme un avantage pour les matériaux biosourcés, avec un stockage de carbone biogénique au début, et une forte émission en fin de vie qui sera « réduite » via le calcul.
 
Le passage à la NF EN 15804+A2. 

Depuis novembre 2022, les FDES doivent se faire avec le nouvel amendement A2. Les FDES étant valables pendant 5 ans, il y aura coexistence des FDES A1 et A2 jusqu’à fin 2025. Au-delà, toutes les FDES seront au format A2.

Il y a deux évolutions à remarquer dans le changement de la norme : le changement de règle sur la prise en compte du carbone biogénique et l’obligation du calcul du module D.

Dans la nouvelle version de la norme, l’impact sur le réchauffement climatique est décomposé pour séparer les émissions de CO2 équivalent fossile et biogénique. Néanmoins, la ligne biogénique doit être neutre. Cela signifie que quel que soit le scénario de fin de vie, et la possibilité de stocker sur du très long terme le carbone biogénique, il doit être réémis à 100% lors de l’étape de fin de vie au bout de 50 ans. Cela impact donc fortement les FDES des produits biosourcés. Avec un scénario de fin de vie en enfouissement, il faut donc réémettre les 85% de CO2 qui étaient jusque là stockés indéfiniment. Sur un exemple de FDES vérifiées d’un même produit isolant biosourcé, cela fait multiplier par 3 l’impact de la fin de vie affichée sur la FDES en +A2 (2.7 au total). Il est à noter qu’avec la RE2020, l’ACV dynamique à l’échelle du Bâtiment va pondérer cette hausse issue du changement de version de la norme. Le changement de la norme et application de l’ACV dynamique fait multiplier par 1,56 l’impact réchauffement climatique total en fin de vie sur l’exemple de l’isolant biosourcé.

Le Module D calcule les impacts au-delà des frontières du système. Par exemple, si en fin de vie on utilise le matériau comme combustible pour produire de la chaleur, l’énergie produite ou la substitution de ressources fossiles peuvent être valorisées. Néanmoins, si l’on doit suivre le scénario par défaut qu’est l’enfouissement, il est impossible de valoriser quelque chose sur le module D. 

Le cas du bois

La filière bois du fait de son antériorité et les gisements important en fin de vie peut justifier de scénario de fin de vie pour ses différents produits. Cela passe par du recyclage, de la valorisation énergétique, de la combustion en cimenterie, et une part très faible en enfouissement. L’impact de la réémission en fin de vie de la totalité du carbone biogénique est en ordre de grandeur compensé d’une part par la valeur négative du module D grâce aux nombreuses valorisations au-delà des frontières du système, et d’autre part par l’ACV dynamique. Ainsi, par le travail de la filière bois, rendu possible par le gisement important de matériaux en fin de vie, n’est que peu impacté sur ce point par l’amendement A2 de la norme. 

Les autres matériaux biosourcés

De nombreux matériaux biosourcés hors bois se développent et sont présents sur le marché (article de 2022). C’est le cas notamment des isolants à base de chanvre, de paille ou de balles de céréales, de lin, d’herbes, de coton recyclé, de bambou, de roseau, de miscanthus, de bagasse, … Ces filières plus ou moins récentes (100 ans pour la paille, 40 ans pour le béton de chanvre, 15 ans sur les isolants semi-rigide) n’ont que très peu de bâtiments déconstruits, et donc aucun gisement en fin de vie pour retenir un autre scénario que l’enfouissement par défaut. Dans ce cadre-là, aucun gain sur le module D, et l’ACV dynamique de permet pas de compenser totalement la non prise en compte d’un stockage plus long terme que 50 ans du carbone biogénique. 

Ce sujet est donc un risque potentiel important pour les filières biosourcés hors bois, qui vont voir leurs FDES augmenter significativement, limitant l’un des atouts de ces matériaux. Ces filières ne sont pas aussi robustes que les acteurs industriels présents de longues dates. Malgré des volontés fortes des acteurs publics de développer ces matériaux, de massifier des matériaux locaux et renouvelables, de valoriser des co-produits agricoles renforçant le revenu des agriculteurs, les filières peuvent être fragilisées par un frein à l’utilisation de ces solutions pour tenir les seuils d’émissions de CO2 équivalent / m² demandés dans la RE2020.

Un article rédigé par Guillaume Delannoy, Responsable Développement Industriel et Etude à FRD-CODEM


Article suivant : « Biosourcés et RE2020 : Quels résultats un an et demi après ? », Victor Mercier, Chargé de mission Relations Institutionnelles, Ordre des architectes d'Ile-de-France (26/01)


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