La formation au service du réemploi

Rédigé par

Aurélie Da Silva

Responsable communication

4000 Dernière modification le 23/05/2023 - 12:30
La formation au service du réemploi


Chaque année, 230 millions de tonnes de déchets sont produites en France par le secteur du BTP. Au même moment, les matières premières et les ressources naturelles nécessaires à la fabrication des matériaux de construction se raréfient. Face à cette situation, l’économie circulaire, et notamment les pratiques de déconstruction et de réemploi, représentent une alternative réelle. 

Sauver les matériaux de la benne a déchets

Malgré un cadre législatif encourageant, les tentatives de faire évoluer les pratiques se heurtent à la faiblesse de tri à la source, à une réglementation assurantielle complexe mais aussi à la méconnaissance des acteurs du BTP quant à ces nouveaux process, aggravée par l’absence de circuit de remise en circulation efficace. 

Depuis 2018, l’association IDRE travaille à la structuration d’une filière locale de la déconstruction et du réemploi dans la région Nouvelle Aquitaine. À ce titre, elle a été amenée à sensibiliser, former et échanger avec un grand nombre d’acteurs du BTP, depuis la maitrise d’ouvrage public jusqu’aux petit artisans. L’association IDRE trouve son origine dans le chantier, élément fondamental du BTP, et a développé ses formations autours du lien entre concevoir et construire.

De son côté, l’entreprise Agyre, se positionne comme outil opérationnel pour accélérer le développement de l’économie circulaire dans la construction. Au moyen d’une approche globale s’appuyant sur les 7 piliers de l’économie circulaire, Agyre accompagne l’ensemble des acteurs de la construction, tout au long du cycle de vie du bâti, au moyen de trois champs d’action : l’opération, l’innovation et la formation.

La formation locale pour massifier les pratiques d’économie circulaire

La formation constitue un des leviers pour la massification du réemploi et de la déconstruction. Pour être efficace, la structuration de l’offre de formation doit répondre à trois problématiques principales : son aspect quantitatif, son aspect qualitatif, et les méthodes pédagogiques à mettre en œuvre. 
Ce que l’on appelle encore aujourd’hui les « déchets du BTP » se comptent en millions de tonnes. Ils sont générés à un rythme soutenu (35 Permis de démolir /jour en France, hors rénovation) et répartis sur tout le territoire, mais pas de manière homogène. 

Pour avoir du sens et rester cohérent face aux enjeux environnementaux, le réemploi doit être réalisé localement, dans un rayon proche du site de déconstruction.
Ces deux éléments impliquent que les acteurs du changement soient répartis sur tout le territoire, en proportion des besoins. De fait, les besoins sont plus nombreux sur les territoires très urbanisés, mais ils existent également dans les zones peu denses.

De plus, la diversité des acteurs et de leurs missions au sein d’un projet en déconstruction et réemploi, implique un large panel de formations visant chacune des objectifs spécifiques : repérage et analyse des matériaux, dépose et remise en état, qualification et assurabilité, mais aussi programmation et conception en réemploi ou encore gestion et entretien du patrimoine immobilier.
Le nombre de professionnels à former est donc à conjuguer avec la diversité de leurs missions respectives. 

Lier la théorie et la pratique

Mais si la formation en déconstruction et réemploi doit rapidement toucher un grand nombre d’acteurs, cela ne peut se faire au détriment de la qualité. Plus encore que pour la construction neuve, la DCR intègre une forte proportion d’artisanat. La dépose soignée des matériaux se fait le plus souvent manuellement, et des savoirs et savoir-faire spécifiques sont nécessaire pour y arriver. 

De ce fait, le chantier-école est un des outils majeurs de la formation des compagnons. L’expérience en formation de l’association IDRE a en effet montré que si une présentation théorique des outils et méthodes de dépose était nécessaire au développement des compétences, elle devait s’accompagner obligatoirement de pratique sur chantier. Cette pratique permet d’une part de démontrer par l’action les possibilités de dépose des matériaux, et d’autre part de transmettre les gestes techniques spécifiques, inconnus des artisans et entreprises du BTP classiques.

L’exemple de la plaque de plâtre est à ce titre illustratif : elle est l’icône du matériau jetable, et la démonstration théorique de sa dépose soignée se heurte à l’idée qu’un tel matériau ne peut faire l’objet de DCR. La démonstration par l’exemple et l'entraînement sur chantier permettent de faire changer ce point de vue. C’est aussi une illustration des savoir-faire spécifiques à acquérir. La dépose soignée ne présente pas de difficulté majeure, mais elle nécessite de bien maîtriser la méthode et les outils sur l’ensemble du processus et plus particulièrement sur le repérage et la dépose des vis. Mal maîtrisée, cette étape fait perdre une grande partie de l’intérêt économique de la dépose.

Ces deux problématiques, que sont la quantité et la qualité des formations, ont pour corollaire la question des méthodes pédagogiques à mettre en œuvre. Pour être efficace dans le temps imparti, les formations en DCR doivent s’orienter avant tout vers les acteurs déjà en place, c’est à dire des adultes, en poste ou en reconversion, ayant des habitudes de travail souvent incompatibles avec ces pratiques. Il ne s’agit pas seulement de leur fournir de nouveaux outils qu’ils pourraient intégrer à leurs pratiques quotidiennes, mais bien de leur faire revoir, parfois fondamentalement, leurs méthodes de travail et leur perception des matériaux qui constituent un bâtiment.

Ici, c’est l’exemple des menuiseries (portes, fenêtres…) qui illustre le mieux ce propos. Dans un système de production du cadre bâti, où de plus en plus d’entreprises se limitent à la pose de produits manufacturés par d’autres, une menuiserie est souvent perçue comme un matériau en tant que tel, c’est à dire « homogène » et devant être considéré comme un ensemble indivisible. Et de fait, la pratique de la DCR a pour objectif premier de pouvoir réemployer les menuiseries complètes. Or, cet objectif évacue alors du réemploi toute menuiserie ne répondant pas aux normes actuelles, ou celle présentant des dégradations incompatibles avec leur réemploi. Ces menuiseries sont alors considérées comme des déchets finissent alors en déchets.

L’un des objectifs de la formation est donc de faire comprendre qu’une menuiserie est un ensemble composé (vitrage, quincaillerie, structure, étanchéité, appuis…), dont les éléments pris individuellement peuvent faire l’objet d’un réemploi, même si l’ensemble ne répond pas aux exigences de la construction. C’est probablement le sujet le plus transversal de la formation, puisqu’il impact l’ensemble de la filière de production du BTP, depuis le service comptable jusqu’à l’installateur, en passant par le fabricant et le concepteur. 

Intégrer l’économie circulaire à la formation initiale

En parallèle de la formation continue, l’évolution des formations initiales des métiers techniques du bâtiment ne peut être ignorée. D’autant plus qu’une tendance de fond s’observe et montre que les métiers du BTP intéressent de moins en moins les jeunes générations. Sur la période 2010-2021, le nombre d’élèves en formation initiale a diminué de 11%. 

Les raisons qui expliquent ce désintéressement croissant peuvent être multiples : faible attractivité « apparente » des métiers, pénibilité du travail, difficulté à trouver des entreprises d’accueil lors de l’apprentissage, impact environnemental de l’activité, etc. 
Dès lors, l’économie circulaire présente un double objectif en formation initiale par apprentissage : 

  • Attirer plus de jeunes, de milieux diversifiés, dans les métiers techniques du bâtiment ; 
  • Permettre aux entreprises d’accueil de bénéficier de compétences et de connaissances « économie circulaire » par l’intermédiaire de l’apprenti. 

CCCA-BTP x AGYRE

Forts de ce constat, le CCCA-BTP, acteur n°1 de l’apprentissage en France, et Agyre ont signé un partenariat national en 2021 pour intégrer l’économie circulaire dans les parcours de formation des apprentis. Ce partenariat s’étend sur une durée de 3 ans et ambitionne d’accompagner 7 promotions de brevet professionnel (BP) tout au long de leur formation. 

Sur l’année 2021/2022, ce sont 10 sessions thématiques “économie circulaire” qui ont été coanimées par Agyre et les formateurs du BTP CFA de la Marne (Reims) auprès d’une promotion de BP Maçon 1ère année. Les sessions d’économie circulaire se sont donc intégrées dans les cours d’atelier technologique, d’histoire-géographie, de sciences ou encore de dessin, sans pour autant se substituer aux exigences du référentiel métier du BP Maçon. Ces cours permettent d’aborder les notions fondamentales de l’économie circulaire appliquées au métier de la maçonnerie, comme les granulats de béton recyclé, la dépose soignée d’éléments maçonnés en vue d’un réemploi, la maçonnerie à la chaux pour améliorer la récupération des matériaux utilisés lors des ateliers ou encore le tri sur chantier. Les différents supports de formation utilisés ont été coconstruits avec les formateurs et l’intégralité des sessions « économie circulaire » ont été animées en binôme. Par ailleurs, afin d’ancrer l’économie circulaire dans une réalité territoriale, plusieurs visites ont été organisées autour de Reims notamment dans l’écoquartier Réma’vert et dans le centre de tri de déchets ménagers Trivalfer. 

Cette première expérience constitue un véritable succès pour l’intégration de l’économie circulaire dans les parcours de formation des apprentis. Face à cette réussite, la formation est ainsi prolongée pour la promotion initiale, répliquée pour les nouveaux arrivants et étendue auprès d’une toute nouvelle promotion : le BP Climatique. 
En raison de leur statut, les apprentis bénéficient de connaissances adaptées qu’ils peuvent d’ores et déjà mettre en pratique auprès de leurs maîtres d’apprentissage respectifs, c’est-à-dire directement sur le terrain. Ils font donc office d’ambassadeurs d’une construction plus vertueuse auprès d’acteurs qui peuvent déjà avoir un impact significatif et dont les pratiques tendent à évoluer.

Reste maintenant à étendre ces formations auprès des centres et écoles spécialisés dans le bâtiment et les travaux publics et de les adapter à toutes les typologies de métiers (de l’architecte au maçon), le tout, sans négliger la pratique, la mise en situation au réel, afin que la formation s’inscrive dans une réalité opérationnelle et ne reste pas simplement au statut de « connaissance » affilié à une utopie difficile à mettre en place.

La massification des pratiques de déconstruction et de réemploi passe par la massification des formations continues et initiales. Cela implique de développer des formations à l’attention de toute la filière du BTP. La question est alors de savoir comment prolonger les objectifs de transformation de la filière. La sensibilisation, plus courte mais plus accessible, la communication grand public, la transformation profonde des organismes de formations, notamment ceux concernés par la formation initiale, mais aussi la mise à disposition d’outils pédagogiques et techniques en libre accès permettant l’auto-formation sont des pistes à explorer et à déployer. 

Un article signé Raphaël Fourquemin (Association IDRE) et Antoine Boudon (Agyre)


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