Cradle-to-Cradle : la data au coeur de la conception des bâtiments circulaires

Rédigé par

Eric Allodi

2548 Dernière modification le 30/09/2022 - 09:00
Cradle-to-Cradle : la data au coeur de la conception des bâtiments circulaires


Aujourd’hui nous construisons des bâtiments jetables qui représentent, en France, 70% de nos déchets (source ADEME), consomment 35% de nos matières premières, et produisent 33% de nos émissions carbone (dont 7% issus des processus de fabrication). Alors même que 75% des constituants d’un bâtiment (dans le tertiaire) sont remplacés durant sa vie, et certains plusieurs fois.


 

Le patrimoine français étant d’environ 1 milliard de m2, les chiffres précédents nous rappellent à quel point ce secteur peut être source de gaspillage, et de destruction de valeur, tant écologique qu’économique. Et c’est sans parler de notre santé, puisque la qualité de l’air intérieur d’un bâtiment non éco-conçu est, généralement, 7 à 8 fois moins bonne que celle de l’air extérieur (source OQAI).

Se pose alors la question de l’intention. Est-on inconscient ou cupide au point de négliger la préservation de la santé et la planète ? 

Beaucoup d’experts pensent qu’il s’agit d’un mélange de cynisme (« j’ai des objectifs à tenir et mes clients ne me demandent rien ») et d’inertie (« on a toujours fait comme ça et, de toute façon, j’ai pas le temps »), mais il s’agit surtout d’un défaut de connaissance et d’information.

Car s’il est vrai que le sujet est complexe et récent, de nombreuses solutions existent déjà.
 

Solution #1 : Cradle to Cradle® & Empreinte positive

Commençons par le Cradle to Cradle® (du Berceau au Berceau), la norme internationale de l’économie circulaire pour les produits. Elle date des années 90 et s’appuie sur une philosophie biomimétique (inspirée de la nature) d’éco-conception et de gestion des ressources, selon laquelle la notion de déchet n’existe pas. Les produits sont éco-conçus pour être sains, et intégrer des cycles biologiques ou techniques de régénération en fin d’usage. Aujourd’hui des dizaines de milliers de produits sont certifiés selon à cette norme, et des dizaines de bâtiments inspirés du Cradle to Cradle sont référencés.
 


Le cœur de cette philosophie est de concevoir des produits et des bâtiments qui auront une empreinte positive sur l’air, l’eau, les ressources, la biodiversité, l’humain et le territoire. 

Tout repose donc sur l’intention de créer des objets qui auront des impacts positifs sur la santé et l’environnement. Avec le Cradle to Cradle®, les bâtiments sont conçus comme des arbres, et les villes comme des forêts.
 

Solution #2 : Vision écosystémique & Big Data 

Tendre vers la neutralité carbone est impossible, en dehors d’un écosystème de transformation du carbone. Par exemple, admettons que le CO2 émis par un bâtiment soit capté et réinjecté, comme en Hollande par exemple, dans des serres où il est métabolisé en oxygène par des champs de fraises. Il est difficile de dire que le bâtiment en lui-même est neutre en carbone, indépendamment de l’écosystème qui va « neutraliser » ce carbone. Ce principe écosystémique s’applique à tout type de ressource, qu’il s’agisse de carbone, de béton, de bois, ou de tout produit de construction. 

En économie circulaire, pour qu’un bâtiment soit source de revenus plutôt que de déchets, il est indispensable de connaître les performances environnementales des produits qui le constituent, d’avoir répertorié et caractérisé les besoins en produits usagés (ou en matières premières secondaires), ainsi que les acteurs qui sont capables de transformer ces gisements de ressources usagées dans la qualité et les conditions attendues par ceux qui ont les besoins (cf. figure 2). La collaboration de ces parties prenantes constitue un écosystème de régénération des ressources qui crée une survaleur écologique (ou upcyclage) et économique. C’est cette survaleur économique qui rend résilients la ville et les bâtiments circulaires qui la constituent.

Un outil comme myUpcyclea® permet de créer de tels écosystèmes, en important les résultats issus de diagnostics ressources ou PEMD, puis en corrélant automatiquement les gisements inventoriés avec des besoins en réemploi ou en matières premières secondaires.
 


 

Le Big Data est un élément indissociable de la vision écosystémique. En effet, la réalité d’un écosystème suppose la gestion d’une masse significative d’informations pour caractériser les ressources et les acteurs, et nourrir des algorithmes intelligents – de type « système expert » ou « machine learning » – qui proposeront les meilleurs écosystèmes, c’est-à-dire ceux qui éviteront le plus de déchets, qui émettront le moins de CO2, qui économiseront le plus d’eau, et offriront les meilleurs rendements économiques.

Par exemple, grâce à une telle approche, on répondra à un besoin en nylon régénéré (d’un fabricant de bas, de cordages ou de moquettes) en traitant un gisement de moquettes en nylon usagées, par une série de transformations de type dépose, séparation surcouche nylon, transport et dépolymérisation du nylon. Évidemment dans le cas d’un simple réemploi de moquette, l’écosystème est beaucoup plus simple. myUpcyclea®, le système de gestion circulaire des ressources d’Upcyclea, le permet déjà.
 

Solution #3 :  Structuration des données & Passeport Circulaire®

La digitalisation d’un écosystème implique de mettre en place des structures de données qui vont permettre aux parties prenantes d’interagir, via les technologies d’IA mentionnées plus haut. Une chose primordiale est de caractériser les ressources par un passeport circulaire®. 

Les passeports circulaires® sont les fiches d’information environnementale des produits. Ils incluent les ACV des FDES/EPD, sont remplis par les fabricants eux-mêmes, et décrivent : la composition du produit (sur la base d’une nomenclature universelle des matériaux), s’il existe des molécules toxiques (par rapport à la norme Cradle to Cradle®), la part de recyclé ou de biosourcé dans le produit, les prochaines vies du produit (par exemple, un système de reprise), ses empreintes de production (au niveau carbone, énergie, eau et social), ainsi que des informations complémentaires (lieu de production, dimensions, prix, …).

Ces passeports sont consignés dans une librairie multilingue de milliers de passeports (disponible dans le portail upcyclea.cloud ou dans l’application myUpcyclea®), après avoir été vérifiés et notés (via 5 pictogrammes) sur la base des preuves présentées, afin de rassurer les utilisateurs sur la qualité et la véracité des informations déclarées (cf. figure 3).
 

 

Les passeports sont utilisés pour caractériser les produits qui constituent un bâtiment, mais aussi les besoins en réemploi ou en matières premières secondaires. De la même façon, les transformations s’appuient sur la nomenclature des matériaux pour indiquer les entrées et les sorties de leurs traitements, ainsi que les rendements matière, CO2 et hydrique associés.

Ce sont l’ensemble de ces données qui permettent aux algorithmes de la plateforme myUpcyclea® de faire des propositions d’écosystèmes de réemploi/upcyclage/recyclage des ressources à un gestionnaire de patrimoine, qu’on appelle le Ressource Manager®.


Solution #4 :  Éco-conception & Bâtiments « banques de matériaux »


L’éco-conception et la gestion des ressources en fin d’usage sont les deux faces de la même pièce. En effet, si un bâtiment n’est pas conçu pour être démonté facilement, ou si les produits ne sont pas contentieusement choisis, alors il n’existera pas de modèle économique valable de régénération, et la ville ne sera pas résiliente puisqu’elle générera plus de déchets qu’elle ne régénérera de ressources. 

Pour remédier à cela, il existe le modèle d’éco-conception de bâtiment appelé « banque de matériaux ». Ce modèle repose sur les 3 principes suivants (cf. figure 4) :


 

Ce modèle permet de livrer au propriétaire un Bâtiment Circulaire (ou « Circular Ready »), avec sa Banque Digitale des Matériaux, qui permettra à son Ressource Manager® de gérer les ressources usagées via des écosystèmes de réemploi, d’upcyclage ou de recyclage (cf. Solution #6).

Solution #5 :  Banque Digitale des Matériaux & Signature Circulaire®

La Banque Digitale des Matériaux du bâtiment constitue son jumeau numérique des matériaux, et consigne toutes les informations relatives aux gisements de produits (neufs ou issus du réemploi) qui le constituent, de la conception à l’exploitation. Elle peut être synchronisée avec un outil BIM GEM, s’il existe. Ces gisements de produits, qualifiés par leurs passeports circulaires et dont on connaît les quantitatifs, suffisent à mesurer la performance environnementale et circulaire du bâtiment ou d’un patrimoine. C’est la Signature Circulaire®.

Le Tableau des matériaux comprenant le résultat d’un diagnostic ressources ou PEMD, des produits neufs, ou un mix des deux, est d’abord importé, puis la signature peut être calculée.
 

 

La Signature Circulaire® comprend :

  • L’empreinte carbone de production, l’« embodied carbon », l’ICComposant et l’ICConstruction (RE2020) du bâtiment,
  • Le degré de circularité, le taux de réemploi en pourcentage massique, le degré de démontabilité, le potentiel de prochaines vies des constituants et le degré de fiabilité des passeports utilisés, … au niveau du bâtiment,
  • Le degré de santé (au niveau COV, CMR et molécules toxiques bannies par le Cradle to Cradle®),
  • La survaleur du bâtiment, calculée à partir des coûts de revente des produits et matériaux usagés qui le constituent.

Solution #6 :  Neutralité carbone, Réemploi & Ressource Management

La Signature Circulaire® permet de simuler des combinaisons de produits et de livrer au propriétaire une performance circulaire maîtrisée, qui tend vers une neutralité carbone (attendue pour 2050 au niveau européen)... à condition de gérer correctement les futures ressources usagées dans un écosystème régénératif. 

En effet, on aurait du mal à imaginer que le carbone qui est séquestré dans des bâtiments en ossature bois et à base de produits biosourcés, soit relargué lors de la prochaine déconstruction, parce que le bois serait incinéré ou enfoui. C’est pourtant ce qui se passe trop souvent.

En l’absence d’une gestion des ressources dans le temps qui se traduirait en fin d’usage par une valorisation de type réemploi, upcyclage ou recyclage, toute éco-conception s’avérerait inutile. C’est pour cette raison que cette gestion, qu’on appelle encore Ressource Management, est un complément indispensable à l’éco-conception.

Le Ressource Manager® du propriétaire (ou son Property/Facility Manager délégué) s’appuie sur les fonctions de la Banque Digitale des Matériaux, pour identifier et suivre des écosystèmes rentables de valorisation, par le réemploi, l’upcyclage ou le recyclage, et faire en sorte qu’un bâtiment soit source de revenus et non de déchets. Les premiers retours d’expérience font espérer un ROI allant jusqu’à 15% du coût d’acquisition des produits (source Upcyclea), sachant que la raréfaction des ressources et certains événements pandémiques ou géopolitiques risquent d’augmenter inévitablement la valeur des produits « placés » dans les bâtiments. C’est pour cela que l’on parle de « banque digitale » et de « banque des matériaux ».
 

Là encore, la digitalisation et les données déclarées par les parties prenantes permettent de générer des indicateurs écosystèmes qui mesurent le volume de déchets et de CO2 évités, le bilan hydrique et le bilan économique de chaque écosystème (cf. figure 6). 

Conclusion

Pour être résiliente et répondre aux objectifs « Net-0 Emissions » de 2050, la ville doit maîtriser les ressources qu’elle utilise et industrialiser ses processus de déconstruction, de construction et de gestion des bâtiments pour régénérer ces ressources. La digitalisation des informations et des processus est un préalable indispensable pour gérer la complexité du modèle circulaire, et permettre la mise en place d’écosystèmes pauvres en carbone… et rentables. Car en l’absence de rentabilité, pas d’économie circulaire, et sans économie circulaire pas de résilience ni de neutralité carbone

Plus qu’un levier, le numérique est devenu une nécessité pour passer à une ère post-industrielle qui combine harmonieusement écologie et économie.


Un article signé Éric Allodi, Cofondateur et DG de Upcyclea. 


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