Bâtiment et biodiversité, comment habiter la nature ?

Rédigé par

Pierre DARMET

1514 Dernière modification le 13/10/2023 - 11:15
Bâtiment et biodiversité, comment habiter la nature ?

La biodiversité connait, comme le climat, une crise sans précédent. Les effets de ce dérèglement global sont exacerbés dans les villes, où vivent la majorité des citoyens. Le secteur de l’aménagement urbain, qui porte une part importante de responsabilité dans cet effondrement du vivant, dispose de leviers d’action pour endiguer le phénomène, adapter la ville au dérèglement climatique et concrétiser le désir de nombreux citadins d’un contact plus étroit avec le vivant, préalable à sa protection.

Le bâtiment, de l’investissement à la gestion, en passant par la conception, est une échelle clé. Habiter la nature est un projet de société, aussi urgent qu’enthousiasmant !

Si le mot vivant est utilisé par nombre de scientifiques et celui de nature le plus universellement employé (« nature en ville »), le concept de biodiversité, défini par les scientifiques dans les années 1980, est le plus englobant. La biodiversité est le « tissu vivant de notre planète. Cela recouvre l’ensemble des milieux naturels et des formes de vie (plantes, animaux, champignons, bactéries…) ainsi que toutes les relations et interactions (coopération, prédation, symbiose…) qui existent, d’une part, entre les organismes vivants eux-mêmes, d’autre part, entre ces organismes et leurs milieux de vie. Nous, les humains, appartenons à une espèce – Homo sapiens – qui constitue l’un des fils de ce tissu¹» . La biodiversité est structurée autour de trois niveaux interdépendants (diversité des gènes, des espèces et des écosystèmes).


La biodiversité s’effondre, et nous regardons ailleurs !

C’est un sujet complexe et multiforme, notamment compte tenu de son hétérogénéité spatiale, de la variabilité de sa réponse face à une perturbation et de son évolution dans le temps. Si sa mesure en est certes rendue plus ardue, ses bénéfices sont aussi multiples et les arguments en faveur de sa meilleure intégration à la ville d’autant plus nombreux.

« La nature décline globalement à un rythme sans précédent dans l'histoire humaine - et le taux d’extinction des espèces s’accélère, provoquant dès à présent des effets graves sur les populations humaines du monde entier », alertait en 2019 la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES)², surnommée parfois le « GIEC de la biodiversité ».


Au-delà de la nécessaire préservation de la nature pour elle-même, la biodiversité est indispensable à la survie de l’espèce humaine : elle assure l’habitabilité de la Terre. Les services rendus par la nature, dits services écosystémiques, définis par le Millenium Ecosystem Assessment en 2005, sont nombreux. Les services dits de régulation (filtration de l’air, infiltration et épuration de l’eau, stabilisation des sols, régulation de la température, rafraîchissement de l’air, etc.) sont l’objet d’un intérêt croissant, l’augmentation de la fréquence d’événements climatiques extrêmes, annoncée par le GIEC (inondations, sécheresses, méga-feux, canicules) étant une réalité de plus en plus perceptible. L’importance des services à caractère culturel (bien-être, sport, liens sociaux, etc.) a été mise en relief par la crise sanitaire de la Covid-19, face à la privation de contact avec la nature lors du premier confinement. Quant aux services d’approvisionnement, les réflexions sur la dépendance alimentaire des villes a mis au jour les conflits d’usage autour du foncier périurbain.

Chiffres clés de la biodiversité dans le monde
-    1 million d’espèces menacées (IPBES, 2019) 2 millions inventoriées sur un total estimé à près de 10 millions, soit 1/5 des espèces décrites seulement !
-    Parmi 18 services recensés comme des contributions de la nature aux populations (Nature’s contributions to people, NCP), 14 sont en déclin (IPBES).
-    L’humanité dépend de 50 000 espèces non domestiquées menacées d’extinction, utilisées dans les secteurs de l’alimentation, de l’énergie, de la médecine, des matériaux ou encore des loisirs (IPBES, 2022)
-    La diversité génétique, 1re des 9 frontières planétaires à avoir été franchie, sur les 6 désormais dépassées (Stockholm resilience center)


Le bâtiment, un secteur clef pour la préservation et la reconquête de la biodiversité³

Comme en matière de dérèglement climatique, la responsabilité de l’espèce humaine dans l’effondrement du vivant non humain est attestée. Parmi les cinq grandes causes identifiées par l’IPBES, deux portent la marque de l’urbanisation : la destruction des habitats (changement d’usage des sols) et la surexploitation des ressources (prélèvement de matières premières). Responsable d’un quart des émissions de gaz à effet de serre, le secteur du bâtiment participe au dérèglement climatique, autre facteur d’érosion de la biodiversité. L’urbanisation n’est non plus pas étrangère aux deux autres pressions que sont l’introduction d’espèces invasives et la pollution.

L’impact de l’urbanisation sur la biodiversité est de deux ordres :

  • Impacts in situ : c’est la biodiversité du site
  • Impacts ex situ ou biodiversité grise : ce sont les impacts engendrés tout au long du cycle de vie du projet immobilier (fragmentation du paysage, empreinte biodiversité des matériaux de construction)

Encadré : l’urbanisation et la destruction des écosystèmes
-    75 % de la surface terrestre est altérée de manière significative
-    En France métropolitaine, 1/10 du territoire est artificialisé
-    Les milieux urbanisés regroupent 77 % de la population et continuent de s’étendre
-    Entre 2006 et 2015, l’artificialisation a progressé de 1,4 % par an
-    L’équivalent d’un département tous les 10 ans⁴


En réduisant ses impacts, le secteur du bâtiment peut être « un acteur majeur dans la préservation et la restauration de la biodiversité »⁵. Mieux, il peut combiner le développement de la nature en ville et la lutte contre le dérèglement climatique, au bénéfice de la santé des habitants et de l’émergence d’un nouveau rapport à la nature.


Un outil d’adaptation au changement climatique et un facteur de bien-être et de cohésion sociale

Dans un rapport remis le 29 juin 2022, le Haut Conseil pour le Climat interpelle les décideurs politiques sur la lenteur de la réduction des émissions de gaz à effet de serre et s’alarme du fait que la France « n’est pas prête » à faire face à la crise climatique, notamment sur les impacts des vagues de chaleur, des sécheresses ou des inondations qui s’aggravent⁶.

En ville, les effets du dérèglement climatique sont exacerbés et affectent l’ensemble des êtres vivants. La mobilisation des solutions fondées sur la nature (SFN, ou Nature based solutions, NBS), lorsqu’elles se traduisent en infrastructures vertes, aux côtés d’autres leviers, est une impérieuse et urgente nécessité, dans une logique d’adaptation à court terme, complémentaire aux travaux d’atténuation. « L’enjeu biodiversité et les solutions basées sur la nature doivent être partie intégrante des stratégies d’adaptation des villes au changement climatique », plaidait ainsi en 2018 le Conseil économique, social et environnemental (CESE)⁷. Une étude du Forum Économique Mondial démontre que « les solutions [pour les infrastructures] fondées sur la nature » sont 50 % moins chères que les solutions grises⁸ et apportent une valeur ajoutée de 28 %⁹  en termes d'avantages directs et d’externalités environnementales, bien que ne représentant que 0,3 % des investissements en 2021¹⁰. Un premier Plan de renaturation a été annoncé par le gouvernement français en juin 2022, avec une enveloppe, modeste, de 500 millions d’euros, préalable au déploiement de « mesures structurelles pour adapter plus rapidement les villes aux conséquences du changement climatique »¹¹ .

Les effets bénéfiques du contact avec le vivant en matière sociale et sociétale sont par ailleurs avérés. De nombreuses études attestent de l’impact des expériences de nature sur la santé mentale et physique des citadins¹². Un penchant instinctif pousserait même les êtres humains à entrer en contact avec le vivant : c’est l’hypothèse de biophilie¹³. Des jardins ouvriers du XIXe à leur version moderne, les jardins partagés, les expériences relatant les effets positifs d’espaces de nature en ville sur la cohésion sociale sont également nombreuses à travers le monde¹⁴. Les professionnels de l’immobilier considèrent la nature comme partie intégrante de la valeur immatérielle des bâtiments (projet Vibeo), qualifiée par certains de « valeur d’usage biophilique ».

La demande sociale est d’ailleurs très forte et ne se dément pas depuis une dizaine d’années : 92 % des Français estiment ainsi qu’il n’y a pas assez de nature en ville (NewCorp Conseil, 2018).

Enfin, la déconnexion des humains avec le reste du vivant, dont ils font partie, expliquerait pour une part l’apathie environnementale¹⁵. La découverte de l’extraordinaire richesse du vivant, dans son quotidien, participe d’un émerveillement, d’un rapport sensible préalable à la prise de conscience et à un nouveau rapport, plus harmonieux, à son environnement¹⁶ .

Chiffres clés : le poids économique de la biodiversité
-    42 % du montant des actions et obligations détenues par des institutions financières françaises est émis par des entreprises fortement ou très fortement dépendantes d’au moins un service écosystémique (Banque de France, 2021)
-    44 trillions de dollars, soit plus de la moitié du PIB mondial dépend modérément ou fortement des services écosystémiques (World economic forum)
-    150 trillions de dollars : la valeur annuelle combinée de ces services (BCG, The economics of Ecosystems and Biodiversity TEEB)
-    5 trillions de dollars, coût estimé du déclin du vivant chaque année (BCG).

 


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