Villages : retisser la trame du vivant

1288 Dernière modification le 17/10/2023 - 15:00
Villages : retisser la trame du vivant

L’attention actuelle portée à l’intégration de la biodiversité se concentre sur les métropoles. L’effort mérite aussi d’être porté sur les agglomérations en milieu rural, souvent entourées par des monocultures qui laissent peu de place à la diversité du vivant. Dans ce cadre, le village et le bourg peuvent contribuer à la continuité des corridors écologiques et retisser des liens avec leur milieu. 

Quelle biodiversité subsiste dans la campagne (du mot campus, « espace ouvert » en latin) aujourd’hui ? Car désormais, cet espace ouvert consiste, depuis quelques décennies, à faire table rase du vivant par les remembrements, la monoculture, les pesticides, les coupes rases… Le village, élément fragmentant, recèle néanmoins un potentiel certain pour retisser la trame du vivant, et des solutions existent à différentes échelles. 


Le point de départ de notre réflexion repose sur le fond blanc de ce schéma, qui illustre la continuité écologique et la sous-trame forestière :
 


Au sein de terroirs meurtris par l’homme, les villages peuvent en outre assumer un rôle de refuge pour la faune et la flore. L’indispensable révision des modes de production agricole s’inscrit dans des temps longs, alors que des plantations ciblées, au cœur des villages, peuvent se réaliser plus rapidement. Naturellement, cette biodiversité au sein des petits bourgs et villages dépendra dans une certaine mesure des habitants et des élus. Les bourgs peuvent devenir un modèle en adoptant une plantation par strates d’une flore locale et résiliente et une vision globale. 

Relancer les « communs » et les spécificités de l’espace public villageois

Dans le film L’Arbre, le maire et la médiathèque, d’Éric Rohmer (1993), une fillette s’adresse au maire d’un village en dénonçant le manque d’espaces verts publics, un plaidoyer qui fait écho à l’effondrement actuel de la biodiversité. 
Après sa disparition en 1789, que reste-t-il de la propriété collective, ces « communs » villageois, bois, landes et prairies à usage collectif ? Aujourd’hui, dans les petits bourgs, les prairies, pâturages ou vergers sont rares. Paradoxe, alors que des agglomérations expérimentent la plantation de fruitiers (à l’image des « stations gourmandes » à Nantes) ou le pâturage pour l’entretien des espaces verts.

 

Arbres remarquables, lavoirs, fontaines, mares, puits et fours portent pourtant la mémoire d’une ancienne sociabilité villageoise. Aujourd’hui, ces espaces sont souvent réinvestis par les habitants à travers le fleurissement et font perdurer une appropriation collective. Ces initiatives spontanées pourraient être encouragées et canalisées pour devenir plus efficaces pour la biodiversité.

Services écosystémiques : un potentiel à développer 

Dans les petits bourgs, la végétalisation peut offrir des « services écosystémiques » de plusieurs ordres. Elle est une réserve de diversité génétique, génère un impact positif sur le climat, une meilleure gestion de l’eau pluviale, du bien-être psychologique, de l’attractivité et de l’alimentation. 

On ne peut développer l’ensemble du potentiel écosystémique qu’à travers des interventions réfléchies, ce qui implique une diffusion des connaissances en amont. Alors que des métropoles comme Berlin expérimentent les strates superposées des forêts-jardins, nos villages restent sur un fleurissement décoratif lié à des modèles touristiques, type « village fleuri ».

Dans les expérimentations liées à l’indicateur de CBS harmonisé, qui vise à comparer le potentiel biodiversitaire de différentes formes de plantation, une configuration multi-strate est valorisée, combinant l’herbacé, l’arbustif et les arbres. Le potentiel nourricier de cette combinaison n’est pas limité à la consommation humaine, mais inclut la faune (entomofaune dont insectes pollinisateurs, avifaune, petits mammifères) et le sol (azote).

Flore locale et bouleversement climatique

La flore et la faune locales ont coévolué et des plantes indigènes répondent mieux aux besoins des pollinisateurs. Les propositions commerciales des pépinières peuvent ainsi avoir des effets délétères et, de surcroît, les espèces locales, quoique souvent mieux adaptées et plus résistantes (y compris à la sécheresse), finissent par être perçues comme des mauvaises herbes. Les collectivités ont donc tout intérêt à promouvoir la diffusion de connaissances botaniques, et encourager en parallèle des expérimentations cadrées sur l’introduction d’essences méditerranéennes résistantes à la sécheresse.


Stratégie point-ligne-surface : d’aires délaissées à de nouvelles centralités

Une fois ces constatations énoncées, des propositions concrètes peuvent être schématisées dans une stratégie par surfaces (tâches), lignes (trames) et points (pas japonais). Préserver les surfaces et les sols implique une sobriété foncière. Mais il s’agit aussi de repenser les surfaces communes résiduelles, comme parkings ou cimetières. Les jardins privatifs représentent des surfaces significatives, menacées par la minéralisation. Parmi les surfaces, il faut enfin citer le manteau noir du ciel nocturne.

Lignes : des limites séparatives à la trame verte et bleue

Les espaces linéaires, fins ou épais, peuvent être conçus comme des corridors biodiversitaires. Tracer des limites plantées reviendrait, paradoxalement, à ouvrir les frontières aux espèces vivantes. Comme supports de plantations, on peut identifier les bordures de voirie ; les façades et clôtures (murales ou légères) ; une ceinture maraichère et bande où l’épandage de pesticides est interdit entre cultures et bâti ; les cours d’eau. 

 
Le jardin liminaire : plantations linéaires en bordure de voirie

Par le passé, il existait dans le monde rural, un art de végétalisation des bâtiments sous forme de plantes grimpantes et d’arbres en palissage. Des espèces n’affectant pas les fondations, comme les poiriers, étaient choisies, en régulant aussi les excès d’eau et le climat (ombrage, protection du vent…). Ces pratiques installaient une relation symbiotique bâti-biodiversité face aux agressions climatiques : la création d’un microclimat s’opérait du bâti à la végétation et inversement. 

Les bandes de terrain à la limite entre bâti et voirie, que nous nommerons « jardins liminaires », sont souvent investis par le jardinage participatif. Leur aménagement encourage la promenade, recrée du lien social, et ils sont depuis peu mis en avant par certaines collectivités et des CAUE (conseil d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement). Cette pratique débouche même sur une revalorisation de la valeur à l’immobilier et une dynamisation du tourisme. Orienter les riverains-jardiniers dans des cultures multi-strates en cohérence avec un projet global pourrait passer aussi par la mise à disposition de plans et de semences. 

Potentiels du « bocage pavillonnaire »

Les lotissements sont souvent bordés par des « murs végétaux », caractérisés par une uniformité d’aspect et d’espèces. Cette esthétique du périurbain se diffuse largement dans nos campagnes. Pour enrayer ce phénomène, une concertation avec les promoteurs et les habitants pourrait ouvrir de nouvelles perspectives dans le choix des plantations, ainsi que le démontre l’action de l’association néo-aquitaine Prom’Haies. 
Le long de la voirie, il vaudrait mieux laisser s’installer des arbustes locaux, liés aux espaces boisés environnants. Une pratique déjà mise en œuvre par des habitants, en concertation avec les services d’entretien municipaux. 
 
Points : acupuncture biodiversitaire

Dans le bâti, il est important de conserver, ou de créer, des aspérités qui permettent l’installation de la faune, et les bâtiments publics peuvent ici donner l’exemple. On peut intégrer des hôtels à insectes ou, simplement, ne pas complètement jointoyer un mur. Dans les clôtures, les instruments de planification peuvent encourager des percées pour le passage de la petite faune. La gestion de l’eau à la parcelle peut enrayer la disparition des mares et des batraciens.

L’enchevêtrement nature-bâti, vers une trame territoriale

Le village est un paysage culturel issu d’un travail conjoint de l’homme et de la nature. Reflet des campagnes d’antan, le village reste un repère dans l’horizon monotone de cultures mécanisées. Il ne peut pas compenser la perte de biodiversité des champs autour, mais en accueillant le vivant, en privilégiant la flore locale, l’agroécologie et la diffusion de connaissances, le village regagnera en attractivité et en habitants, et pourra s’ériger en modèle de réconciliation avec la nature. Un changement qui vise le long terme se fait par la concertation, incorporant la dimension écologique, économique, sociale et culturelle. 

Un article signé Viviana Comito, architecte (co-fondatrice de Latitude 48°), enseignante-chercheuse à l’École nationale supérieure d’Architecture Paris-La Villette (ENSAPLV)


Article suivant : Vers un urbanisme inspiré par la vie, pour la vie


Revenir à la page d'accueil du dossier

 


 


 

Partager :