Restaurer un bâtiment classé, mode d’emploi de part et d’autre du Rhin

Rédigé par

Amandine Martinet - Construction21

Journaliste

2105 Dernière modification le 20/06/2023 - 12:49
Restaurer un bâtiment classé, mode d’emploi de part et d’autre du Rhin

 

La Chambre Franco-Allemande de Commerce et d’Industrie organisait mercredi 14 juin 2023 un événement sur le thème de la réhabilitation des édifices classés datant du XXème siècle en France et en Allemagne. Voici ce que nous avons retenu de cette journée riche de conférences et d’échanges.  

Faut-il rénover un bâtiment labellisé, et si oui, comment faire ? Existe-t-il des spécificités inhérentes à chaque pays concernant la classification des édifices contemporains et leur réhabilitation ? Quelle place occupent les préoccupations environnementales dans ces opérations de restauration ? Voici autant de questions auxquelles a souhaité répondre la conférence « Conservation et restauration des bâtiments classés du 20ème siècle en France et en Allemagne », qui a eu lieu le 14 juin dernier à l’ambassade d’Allemagne en France. 


De quels bâtiments parle-t-on ? 

En France, plus de 45 000 bâtiments sont protégés au niveau national grâce à leur classification « monuments historiques ». Environ 4 000 d’entre eux sont situés en Ile-de-France et 500 ont été construits au cours du XXème siècle. 

Cette période donnée – sur laquelle s’est concentrée la Chambre Franco-Allemagne de Commerce et d’Industrie pour son événement – possède d’ailleurs un autre certification propre créée en 1999, « patrimoine du XXème siècle », rebaptisée « label d’architecture contemporaine remarquable » en 2016. Elle distingue les édifices de moins de 100 ans qui ne sont pas protégés au titre des Monuments historiques. La liste des édifices concernés est consultable sur le site du ministère de la Culture. Pour être classifiés de la sorte, les productions doivent présenter un intérêt artistique et historique, être singulières, originales, issues des mains d’un architecte de renom, exemplaires en termes de participation citoyenne… Les critères peuvent varier. En Ile-de-France, 223 lieux sont labellisés « architecture contemporaine remarquable ». Parmi eux, on peut notamment citer le musée du Quai Branly par Jean Nouvel, le siège du Parti Communiste français par Oscar Niemeyer, ou encore l’ensemble de l’Axe majeur à Cergy-Pontoise, œuvre colossale de plus de 3000 mètres de long conçue par Dani Karavan à partir de l’année 1980. 

La question de la préservation et de la réhabilitation de ces constructions particulières du XXème siècle se pose depuis plusieurs dizaines d’années. La décennie 1980 marque notamment en France un éveil de l’intérêt pour le patrimoine industriel existant sur le territoire. Plusieurs exemples de transformations sont à relever, à l'image de la manufacture des œillets à Ivry-sur-Seine, anciennement spécialisée dans la métallurgie, devenue centre culturel en 2016. 

Il n’existe pas d’équivalent à ces différents labels en Allemagne, où la protection des bâtiments est encadrée de façon moins stricte, comme l'a indiqué le Dr. Christoph Rauhut, Conservateur général du patrimoine à Berlin. La question de la durabilité et du renouveau des édifices originaux en date du XXème siècle s’y pose cependant très largement, et les opérations de réhabilitation – plutôt que de démolitions – sont nombreuses, à l’image de l’aéroport Otto-Lilienthal de Berlin-Tegel, définitivement fermé, qui accueille aujourd’hui deux écoles, un centre sportif et une maison de la jeunesse. 


Les modalités d’une réhabilitation réussie

Dans ce type d’opération de rénovation, tout le défi est de « préserver la forme du bâtiment tout en lui attribuant des usages profondément transformés », comme l’indique Laurent Roturier, directeur régional des affaires culturelles d'Île-de-France. Réhabiliter un édifice classé, c’est donc parvenir à conserver son identité, mais aussi assurer le lien avec ses futures fonctions

Autre élément à prendre en compte : les matériaux employés en majorité au XXème siècle ne sont plus forcément les mêmes aujourd’hui, ou ne se retrouvent plus toujours sous la même forme. Les matières plastiques, le béton traditionnel et les grandes façades vitrées chers aux décennies précédentes ne seront plus restaurés de la même façon de nos jours, notamment à l’aune des nouveaux enjeux énergétiques et écologiques que connaissent la France et l’Allemagne. Comme l’explique Simon Texier Secrétaire général de la Commission du Vieux Paris, « on ne va pas aujourd’hui remplacer de vieilles fenêtres avec du PVC ! »

Tout le défi est de préserver la forme du bâtiment tout en lui attribuant des usages profondément transformés

Pour exemple, les tours Nuages à Nanterre recouvertes d’un parement en pâte de verre et en céramiques, soulèvent à ce jour encore des questionnements quant à leur rénovation. Autre exemple donné ce mardi 14 juin, l’immeuble UFO dans le 2e arrondissement de Paris, construit en 1970 en béton armé, a été rénové par l'agence Axel Schoenert architectes en 2020 à l’aide d’un béton préfabriqué, plus fin et plus élégant, et surtout désamianté et déplombé. 

Pour assurer ces différents défis, la formation des professionnels, architectes en tête, est essentielle. Aussi, les métiers et les compétences évoluent au gré du besoin de réhabilitation des bâtis classés. 


Et les préoccupations écologiques dans tout cela ? 

Nous avons interrogé Laurent Roturier, Directeur régional des Affaires culturelles en Île-de-France, à ce propos. 

 

C21 : Pouvez-vous donner un exemple de réhabilitation vertueuse écologiquement d’un bâtiment classé du XXème en France ?

Laurent Roturier : Le lycée Camille-Corot de Savigny-sur-Orge (91), labellisé ACR [architecture contemporaine remarquable, ndlr], constitue un  exemple intéressant de réhabilitation d’un édifice existant pour l’adapter à l’évolution des usages en respectant une démarche écologique .

Le château de Savigny-sur-Orge a d’abord été transformé à la fin des années 1940 pour devenir un lycée, puis une réhabilitation s’est avérée nécessaire un demi-siècle plus tard. Les architectes Fabrice Dusapin et François Leclercq avec l’agence TER l’ont mise en œuvre dans le cadre du programme HQE (prenant en compte gestion de l’énergie, de l’eau, choix des matériaux, chantier vert avec tri sélectif des déchets, réduction des nuisances acoustiques, visuelles, de trafic et préservation contre la pollution). Le bois massif brut éco-certifié est au centre du chantier, au service de constructions qui s’adaptent à l‘existant comme au paysage. Ce projet, achevé en 2009, a été nominé au prix de l’Equerre d’argent en 2008.
 
D'autres édifices labellisés ACR ont notamment fait l’objet d’une isolation thermique qualitative par l’extérieur, permettant de répondre aux besoins énergétiques en essayant de respecter l’aspect général d’origine : l’ensemble des Courtillières d’Emile Aillaud à Pantin ; la cité Auguste-Delaune d’André Lurçat à Saint-Denis. Ces solutions adoptées au cas par cas sur des ensembles de grande ampleur ne constituent pas une dénaturation,  et le label leur a été conservé. L’agence RVA, maître-d’œuvre de ces deux opérations, parle de « réhabilitation patrimoniale ». Cette approche se fait ainsi toujours au cas par cas.

 

Quelles sont les principales difficultés à dépasser pour réhabiliter ce type de bâtis tout en respectant les normes environnementales ? 

Les normes environnementales dans la construction sont établies selon des critères généraux qui sont parfois difficilement applicables dans les cas particuliers d’architectures contemporaines dont il faut le plus possible respecter le caractère remarquable. Les matériaux d’origine, la composition et l’épaisseur de la façade, ses couleurs, le gabarit et le dessin des huisseries par exemples peuvent être mis à mal par une isolation thermique par l’extérieur ou un changement d’huisseries, qui trouvent leur sens d’un point de vue énergétique, mais qui peut  porter atteinte à une conception architecturale.

C’est l'un des enjeux du label ACR notamment (les MH bénéficiant d’exemptions légales) que de tenter de trouver des solutions qui prennent en compte à la fois l’usage et la qualité architecturale dans l’évolution des édifices, dans un cadre financier souvent contraint. La sensibilisation et la mise en avant d’exemples vertueux sont à ce titre importantes. Les difficultés à dépasser seraient donc principalement culturelles (reconnaissance de l’architecture contemporaine), techniques (avoir des solutions adaptées) mais aussi financières (financement d’études préalables, surcoût du chantier dans certains cas, absence de subventions publiques par exemple dans le cas d’isolations thermiques par l’intérieur, etc).

 

Quelles solutions ont été trouvées pour parvenir à les dépasser ?

Pour valoriser en encadrer des démarches moins polluantes, le ministère de la Transition écologique a défini un label ‘’bâtiment biosourcé’’ (complété par deux labels privés sur les produits biosourcés) prenant en compte la masse utilisé, la gestion durable de la ressource, ou encore la présence de composés organiques volatils.

Il faut également privilégier les matériaux biosourcés, organiques et renouvelables : bois, chanvre, paille, ouate de cellulose, liège, lin, chaume... Il existe également la terre crue, dite géo-sourcée.

Favoriser la rénovation ou la réhabilitation à une démolition/construction neuve, réemployer des matériaux, choisir des ressources locales et les diversifier participent également d’une démarche vertueuse. Certains matériaux comme le béton font aussi l’objet de recherches pour réduire leur impact environnemental (par exemple du béton sans ciment, comprenant des résidus de production industrielles telles que les cendres, ce qui existait dès les débuts de l’utilisation du béton dans la construction).

La Drac organise des séminaires sur ces questions d’isolation thermique par l’extérieur ,avec les autres services de l’état et les bailleurs , comme celui mis en œuvre avec l’école d’architecture de Paris Belleville à l’automne 2022.

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