Réduction des émissions de gaz à effet de serre : l’action climatique de l’État reste insuffisante

Rédigé par

Mireille KLEIN

962 Dernière modification le 21/06/2023 - 11:15
Réduction des émissions de gaz à effet de serre : l’action climatique de l’État reste insuffisante

Le Conseil d’État a, le 10 mai 2023, ordonné au gouvernement de prendre de nouvelles mesures d’ici le 30 juin 2024, afin de permettre le respect non garanti à ce jour de l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre pris à l’occasion de l’Accord de Paris.  

En 2019, la commune de Grande-Synthe (Nord), au côté de La Ville de Paris et des associations Notre affaire à tous, Oxfam France, Fondation pour la nature et l'homme ainsi que Greenpeace France, avait saisi le Conseil d’État pour « inaction climatique », estimant que sa ville, située sur le littoral et voisine de Dunkerque, était menacée de submersion.
Le 19 novembre 2020(1), le Conseil d’État avait reconnu le non-respect par l'État de la trajectoire pour la période 2012-2018 (premier budget carbone), mais il avait sursis à statuer pour les années ultérieures dans l'attente de la production, dans les 9 mois, des éléments justificatifs par le gouvernement. 
Au terme de ce délai, le Conseil d’État avait la possibilité de décider de prononcer une astreinte (amende) à l’encontre de d’État. 
Le 4 mai 2022, le gouvernement avait publié une synthèse de sa réponse au Conseil d’État dans le cadre de cette procédure, où il indiquait avoir transmis un mémoire au Conseil d’État détaillant l’ensemble des mesures prises depuis juillet 2021.
Par une nouvelle décision, en date du 1er juillet 2021(2), la Haute Juridiction avait enjoint au Premier ministre de prendre des mesures supplémentaires avant le 31 mars 2022 pour respecter la trajectoire de réduction de 40 % des émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2030(3). 

Par sa 3e décision en date du 10 mai 2023(4), le Conseil d’État, désavouant le gouvernement, rejette le bilan transmis, le jugeant insuffisant et non conforme avec l’objectif climatique inscrit dans la Stratégie nationale bas carbone à l’horizon 2030. Il met en avant :

Une baisse constatée mais non structurelle et liée aux actions entreprises, plutôt liée à une combinaison de circonstances exogènes (pandémie de Covid-19, guerre en Ukraine, hiver doux notamment)
L’absence d’outils de suivi – modélisations - fiables 
Il estime qu’il n’est pas certain que la réduction des émissions puisse être accélérée de façon suffisante à partir de 2024 en vue d’atteindre la cible fixée par le législateur en 2030. 
Il s’appuie sur les conclusions du Haut Conseil pour le Climat (HCC), interrogé à l’occasion de cette nouvelle étape procédurale.   
Le d’État, dans son rapport 2022, a en effet estimé qu’il existe un risque avéré que l’objectif de réduction pour 2030 ne soit pas tenu : sur les 25 orientations de la stratégie de baisse des émissions établie par le gouvernement (Stratégie nationale bas carbone, SNBC), seules six ont bénéficié de mesures en adéquation avec la trajectoire de réduction fixée et quatre auraient même fait l’objet de mesures aux effets contraires, en particulier dans le secteur des transports, du bâtiment, l’agriculture et l’énergie. 

Le HCC a également constaté que malgré la création d’un Secrétariat général à la planification écologique, un véritable pilotage reposant sur des indicateurs pertinents et sur une évaluation systématique de l’incidence des politiques publiques sur le climat n’est toujours pas mis en œuvre. 

Le Conseil d’État estime que, si des mesures supplémentaires ont bien été prises depuis le 1er juillet 2021 et traduisent la volonté du gouvernement d’exécuter la décision, il n’est toujours pas garanti de façon suffisamment crédible que la trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre puisse être effectivement respectée. 

Il conclut à la nécessité d’accélérer la réduction des émissions dès 2024, sachant que l’UE a renforcé son objectif de réduction global pour 2030, en le faisant passer de -40% à -55% par rapport à 1990 (cf. règlement (UE) 2021/1119 ou loi européenne sur le climat). 

Etant donné que l’UE a rehaussé son objectif 2030, la France devra, à son tour, réajuster son objectif 2030 fixé par l’article L.100-4 du Code de l’ Énergie (en application de la loi n°2015-992 du 17 août 2015 (loi sur la transition énergétique), modifié par la loi n°2019-1147 du 8 novembre 2019 (loi énergie et climat), puis par la loi n°2021-1104 du 22 août 2021 (loi climat et résilience).

Le Conseil d’État estime en conséquence que sa précédente décision ne peut être regardée comme ayant été exécutée, et adresse une nouvelle injonction au gouvernement, en lui demandant de prendre, d’ici au 30 juin 2024 toutes les mesures nécessaires pour atteindre l’objectif de réduction des émissions de -40% en 2030. 

S’il n’assortit pas son injonction d’une astreinte, le Conseil d’État demande au Gouvernement de transmettre d’ici le 31 décembre 2023 dans un premier temps, puis au plus tard le 31 juin 2024 tous les éléments justifiant à la fois qu’il a pris ces mesures et qu’elles sont de nature à permettre de respecter cet objectif.
Le gouvernement se trouve donc devant un nouvel ultimatum, l’obligeant à rendre des comptes au Conseil d’État
Cependant, selon l’avocat spécialisé en droit de l’environnement, Arnaud Gossement, le Conseil d’État « (…) valide les promesses et l’argumentaire du gouvernement, rejette la demande d’astreinte et se borne à donner rendez-vous à la Première Ministre en juin 2024… quatre ans après le début de cette affaire. » 
Ce nouvel arrêt du Conseil d'État vient, en tout état de cause, enrichir la jurisprudence en pleine croissance sur les contentieux climatiques, forte des constats de changements climatiques aujourd’hui plus que visibles. 
« Cette décision s'inscrit dans la lignée des grandes décisions rendues par les cours suprêmes du monde entier pour contraindre les États, mais aussi les entreprises, à agir de manière efficace et à sortir de la communication en matière de lutte contre le dérèglement climatique », se félicite Corinne Lepage, avocate de la commune de Grande-Synthe, dans un communiqué.

 

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