Quand l'approche santé s'invite dans l'urbanisme réglementaire

Rédigé par

La rédaction C21

1615 Dernière modification le 02/01/2024 - 16:20
Quand l'approche santé s'invite dans l'urbanisme réglementaire

Si les impacts de l’habitat sur la santé sont de plus en plus reconnus, les démarches d’intégration de la santé dans les documents d’urbanisme réglementaire, tels que les Programmes Locaux de l’Habitat et les Plans Locaux d’Urbanisme, restent relativement inédites et innovantes en France. Retour sur deux expériences récentes déployées avec le concours de NovaScopia.


Parmi d’autres critères, la sur ou sous-occupation du logement, ses performances thermiques ou son adaptabilité aux besoins et ressources des ménages ont un impact certain sur le bien-être. A ce titre, la qualité des espaces extérieurs, l’accessibilité du logement, la présence de services et la proximité avec l’emploi font partie des premiers leviers d’amélioration de la santé.  

Le cadre de vie et le logement constituent en effet des leviers au service de la promotion de la santé, en favorisant notamment les interactions sociales et la lutte contre l’isolement, le développement des compétences individuelles, la prévention des maladies chroniques, le recours aux mobilités actives ou l’accès à une alimentation saine. Pourtant, le déploiement de démarches intégrées alliant santé, bien-être et habitat au sein des documents d’urbanisme réglementaire semble toujours relativement inédit en France.

Des démarches encore peu développées en France

Si l’habitat constitue un vecteur majeur de santé, pourquoi ne pas l’intégrer systématiquement aux documents d’urbanisme réglementaire ? À ce constat plusieurs pistes.  

Tout d’abord, la santé reste trop souvent corrélée à l’offre de soin. Adopter une approche en santé (environnementale) au sein des documents d’urbanisme peut encore paraitre décorrélé des capacités d’action pour de nombreuses collectivités locales. 

La compétence « santé » étant transversale à plusieurs échelles décisionnelles (ville, EPCI, département, État central et déconcentré), il n’est pas toujours facile pour les collectivités locales de s’en saisir et d’établir le lien entre stratégies de santé et documents d’urbanisme. 

Ces démarches nécessitent également l’adoption d’une vision transversale des politiques publiques et un travail de décloisonnement des actions des différents services. Ce processus peut se révéler complexe pour certaines collectivités, notamment au vu des délais impartis pour la rédaction et le déploiement des documents d’urbanisme. 

Ces démarches paraissent en outre parfois incompatibles avec les règlements d’urbanisme et les normes juridiques. L’ajout d’une démarche « santé et bien-être », en plus des études obligatoires, peut alors faire craindre de complexifier, voire de déstabiliser l’approbation finale du document, ce qui limite son déploiement au sein de certains territoires.  Dès lors, comment faire ? Quels outils disponibles ? 

Le Programme Local de l’Habitat (PLH) « Santé » de la Communauté d’Agglomération du Pays de Saint-Omer (CAPSO)

Parmi les outils actuellement déployés, l’ajout d’un volet « Santé » au sein du PLH de la Communauté d’Agglomération du Pays de Saint-Omer (CAPSO) en 2021, semble intéressant. 

La CAPSO est une intercommunalité d’environ 100 000 habitants, située dans le Pas-de-Calais (62), qui accueille une population globalement jeune, dont une partie connait des difficultés financières et d’accès à un emploi stable. Si la situation varie selon les communes du territoire, un processus de vieillissement est à l’œuvre globalement, aussi bien chez les habitants que chez les professionnels de santé. 

Concernant le cadre de vie, le territoire intercommunal propose une bonne connexion aux axes de transport routier mais connait des enjeux de déploiement et de promotion des transports en commun et des mobilités actives. 

Habitat et de santé ont d’abord été associés dans le Contrat local de santé (CLS)

L’articulation habitat-santé s’est d’abord traduite dans un 1er CLS en 2014, puis de manière encore plus affirmée dans le 2e CLS en 2018. 

Les Contrats locaux de santé (CLS)
Les CLS sont conclus entre les Agences régionales de santé (ARS) et les collectivités locales, avec pour objectif la co-construction d’une stratégie de santé adaptée aux besoins des habitants du territoire. Déclinaison locale du Projet régional de santé (PRS), ils visent notamment à proposer et fédérer des actions en prévention et promotion de la santé, à agir sur l’offre de soin de proximité et à réduire les inégalités sociales et territoriales de santé. 


Différents éléments ont amené les techniciens et les élus de la CAPSO à travailler sur cette articulation habitat-santé :
L’intégration de la personne chargée de l’élaboration du 1er CLS au sein du service « habitat et développement social » 
La prise de conscience des impacts de la santé sur les parcours résidentiels et professionnels
« On s’est rendu compte qu’il fallait d’abord traiter les problèmes de santé avant de travailler sur les parcours résidentiels et l’insertion professionnelle. Les situations se complexifient et la santé devient un thème central dans les parcours résidentiels des ménages », souligne à ce propos Vincent Walzak, responsable de la Direction Habitat de la CAPSO. 

Les enjeux liés au vieillissement de la population ont constitué une première sensibilisation des élus et techniciens aux questions de santé dans l’habitat.

Une dynamique renforcée par l’intégration d’un volet « Santé » au sein du PLH

La CAPSO a alors souhaité intégrer une dimension « santé » dans son 4e PLH, traduite dans le cahier des charges, puis dans la méthodologie déployée, via :
-    L’élaboration d’un référentiel « Santé et qualité de vie », qui a permis de brosser un portrait de territoire au prisme de la santé et la formulation d’un scénario de territorialisation de la production de logement. 
-    La mobilisation de la chargée de mission « santé » de la CAPSO durant les ateliers et comités de pilotage.
-    L’organisation d’un atelier « santé, bien-être et qualité de vie », lors de l’élaboration du programme d’actions. Cet échange s’est appuyé sur une enquête en ligne et un micro-trottoir habitants.

Des actions concrètes

Si la dimension « qualité de vie » n’a pas été retenue comme fil directeur pour les objectifs de production de logements, l’articulation santé-habitat s’est concrétisée dans de nombreuses actions du PLH, telles que : 

  • La poursuite de l’action engagée par la CAPSO pour traiter l’habitat dégradé,
  • Le développement de partenariats avec l’APEI pour des personnes avec des troubles psychiques,
  • La révision du dispositif d’appui financier de la CAPSO afin d’abonder davantage la création de logements sociaux PMR
  • La création d’un appartement - témoin adapté aux handicaps et géré par l’APF France Handicap,
  • La mise en place d’aides dédiées à la sécurité et la santé dans le logement.

Des enjeux de pérennisation et d’amplification de la démarche 

L’intégration de la dimension « santé et qualité de vie » dans le PLH aurait pu aller plus loin mais elle a néanmoins permis de convaincre les élus de poursuivre dans cette voie, via la formulation d’actions concrètes telles qu’évoquées plus haut. 
Selon Vincent Walzak, « le PLH et ce qui a précédé a permis de semer des graines, le travail engagé sur le logement dégradé et insalubre a été de ce fait perçu naturellement par les élus comme une priorité ».

L’enjeu à moyen terme est que les élus et les techniciens s’approprient davantage le référentiel « santé et qualité de vie » afin de l’intégrer comme un fil directeur pour les choix à opérer dans les différentes politiques publiques. Plusieurs occasions y contribueront, notamment les bilans du PLH et du CLS et l’élaboration du nouveau « PLU-ID ». 
« L’intégration de la dimension santé dans le PLH a permis d’ouvrir de nouveaux horizons », conclut Vincent Walzak. 

Garges-Lès-Gonesse : un PLU favorable à la santé, avec un accent sur les enjeux d’habitat

Le PLU « santé » déployé par la ville de Garges-Lès-Gonesse (Val d’Oise) est un autre exemple particulièrement pertinent de déclinaison de la santé et du bien-être dans les documents d’urbanisme réglementaire.

Garges-lès-Gonesse, ville d'environ 43 000 habitants située dans le Val d'Oise (95), est l’une des communes les plus jeunes de France. La collectivité dispose d'importants espaces verts et équipements sportifs, qui constituent autant d'éléments favorables à la santé. Elle est cependant soumise à des enjeux d'exposition aux nuisances environnementales (qualité de l'air, nuisances sonores…) et présente des taux de prévalence relativement élevés concernant les maladies respiratoires et le diabète, à rapprocher d'indicateurs de fragilité socio-économiques.

Lancement d’une démarche inédite, un PLU « Santé »

En 2021, Garges-lès-Gonesse décide de renouveler son PLU, avec en cœur de projet la promotion d’un urbanisme favorable à la santé (UFS) et au bien-être de tous les Gargeois. Cette volonté politique s’est traduite dans le choix de l’AMO chargée de la révision du PLU, comprenant une structure dédiée au volet UFS et dans la démarche d’élaboration du PLU. L’approche UFS a fourni une ligne de conduite globale, déclinée dans les différents documents du PLU et a permis d’apporter un regard nouveau sur les enjeux d’habitat à deux stades précis de la démarche. 

Une OAP thématique « santé » au bénéfice de la qualité de vie

Le choix a ainsi été retenu de mettre en avant l’importance de la dimension « santé » en lui consacrant une orientation d’aménagement et de programmation (OAP) spécifique. Trois axes ont été développés : l’accessibilité à l’offre de soins, l’incitation à l’activité physique et sportive, et la limitation de l’exposition aux risques et nuisances environnementales, en s’attachant aux enjeux de bruit, de qualité de l’air et d’ICU. Pour ces trois axes, des orientations d’aménagement sont présentées et cartographiées, et des « zooms » précisent des orientations valables pour certains publics en situation d’inégalités sociales de santé (ISS), étant entendu que l’ensemble des orientations proposées contribuent à cet objectif de réduction des ISS.

Les axes de cette OAP « santé » visent tous à améliorer la qualité de vie résidentielle pour les actuels et futurs habitants. Ils pourront impacter les choix en matière d’offre d’habitat, par exemple en identifiant des secteurs qui seraient fortement exposés à des nuisances environnementales.

Une charte de construction durable 

La Ville a profité de cette démarche pour définir une charte de construction durable pour les nouveaux projets de développement de logements sur son territoire. Cette charte complète le PLU et fixe des objectifs qualitatifs à destination des opérateurs publics et privés de l’habitat (aménageurs, promoteurs et organismes HLM). Son contenu a fait l’objet d’ateliers de travail avec ces opérateurs, de manière à fixer un niveau d’ambition cohérent avec le contexte territorial gargeois. 

L’approche « santé » développée dans le PLU figure dans le contenu de cette charte, qui intègre notamment des objectifs sur la luminosité des logements et des parties communes, la qualité de l’air intérieur et du confort acoustique, et l’intégration d’espaces extérieurs fonctionnels privatifs ou collectifs pour l’ensemble des appartements.

Le PLU révisé a été adopté en juin 2023.

Des expériences réussies qui soulignent l’intérêt de démarches transversales et participatives au service de la santé et du bien-être

Si l’intégration d’une dimension « santé » au sein des PLH et PLU semble parfois complexifier des démarches au contenu obligatoire déjà vaste, le retour d’expériences telles que celles présentées ici montre au contraire qu’il peut s’agir d’une véritable valeur ajoutée. 

Cette approche constitue alors une trame transversale donnant un sens d’ensemble aux objectifs portés par ces documents et permet de traiter des impacts sur la santé de choix d’aménagement et de programmation. Elle peut également fournir une excellente manière d’intéresser les habitants via des dispositifs de concertation ; servir de première sensibilisation aux enjeux d’intégration de la santé-environnement au sein des stratégies locales ; favoriser les collaborations interservices, ou encore venir nourrir d’autres actions et politiques menées à l’échelle locale. 


Un article signé par l’équipe salariée de la coopérative-conseil NovaScopia (Ingrid Meunier, Yann Moisan, Lionel Rabilloud, Olivier Etheve, Ségolène Lainé, Lise Patron, Raffael Taieb, Salomé Theve).  


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