Pousser le curseur de l’adaptation en intégrant les coûts

Rédigé par

DOLQUES GUILLAUME

I4CE

776 Dernière modification le 11/03/2024 - 10:59
Pousser le curseur de l’adaptation en intégrant les coûts

Les bâtiments n’ont pas été conçus pour faire face aux épisodes de fortes chaleurs. L’introduction des normes thermiques (en 1974) visait surtout à réduire la consommation énergétique et à améliorer le confort en hiver. Le confort d’été n’est apparu dans la règlementation qu’à partir de la RE2020 avec un indicateur critiqué depuis. 


Ainsi, pour la majorité du parc en France métropolitaine, la question de l’habitabilité et de l’exploitation des bâtiments lors des fortes chaleurs n’a jamais été posée. Cette réalité contribue, dans une proportion difficile à estimer, au bilan économique, sanitaire et social des canicules. Une étude de Santé publique France (2021) a estimé le coût des impacts sanitaires liés aux fortes chaleurs. L’étude conclut qu’entre 2015 et 2020, les impacts étudiés (surmortalité, passages aux urgences, consultations médicales, perte de bien-être) représentent, selon la méthode choisie, entre 22 et 37 milliards d’euros. 

Des bâtiments plus exposés, des conséquences plus sévères
Conjointement avec l’Observatoire de l’Immobilier Durable (OID), l’I4CE a réalisé une évaluation de l’exposition des bâtiments aux fortes chaleurs selon plusieurs niveaux de réchauffement. Ainsi, pour +2 °C de réchauffement en France (qui pourrait être atteint dès 2030) près de la moitié des bâtiments seront exposés à un risque fort et très fort (90 % pour +4 °C, figure 1). 
Avec un nombre de nuits anormalement chaudes qui devrait globalement doubler en 2050 et si rien n’est fait pour s’y adapter, l’OID estime entre 44 et 74 milliards d’euros le coût des impacts sanitaires sur la période 2045-2050. Au-delà de ces impacts, des pertes d’exploitation et des baisses d’activité déjà observées devraient s’accroître.  

La réponse tendancielle entraîne des coûts peu objectivés 
La climatisation arrive loin devant les autres options d’adaptation. Face aux fortes chaleurs, ceux qui habitent, gèrent et exploitent les bâtiments, ne demeurent pas passifs. Ils s’engagent déjà dans une forme d’adaptation, le plus souvent en s’équipant de climatisation. S’agissant du logement, une enquête TREMI (2020) dévoile que l’installation de la climatisation représente plus de 90 % des gestes d’adaptation loin devant les autres solutions (brise-soleil, brasseur d’air...). 

Une réponse qui pose néanmoins question
Cette forme d’adaptation est dite « réactive » car l’acte de s’équiper intervient le plus souvent juste avant ou en réponse à une crise. Plusieurs exercices prospectifs (ADEME et Coda stratégie 2021, RTE 2022) anticipent une poursuite voire une accélération de cette tendance. S’il est difficile d’imaginer exclure totalement ce système, sa généralisation non organisée pose néanmoins question au regard des externalités qu’il génère : consommation énergétique, émissions de GES, effet d’îlot de chaleur urbain (ADEME et Coda Stratégie 2020). 

Des coûts peu objectivés pourtant bien réels
Si les coûts associés à cette tendance sont peu documentés, c’est notamment parce qu’ils sont absorbés par des acteurs privés (surtout des ménages) lors d’un phénomène climatique d’ampleur sans vision d’ensemble des coûts. Pourtant, ceux-ci sont bien réels, de l’ordre de plusieurs milliards d’euros par an (hors exploitation), et seront précisés dans une étude à paraître (I4CE 2024).

Vers une adaptation plus proactive des bâtiments
Des actions autres que la climatisation existent. Il s’agit par exemple de limiter les apports solaires en évitant les surfaces vitrées sur les façades exposées ou d’installer des dispositifs de protection solaire à des coûts très variables (figure 2). Si certaines de ces solutions sont spécifiques à l’adaptation, elles sont nombreuses à pouvoir être mutualisées avec d’autres lots de travaux énergétiques. Trois catégories sont distinguées (figure 3). 


Agir sur l’environnement du bâtiment, à l’échelle du quartier et de la ville par exemple, en végétalisant les espaces publics ou en changeant la morphologie des rues est aussi un puissant levier d’adaptation. Comme il dépasse le bâtiment, nous ne l’abordons pas ici. 
Les solutions présentées ci-dessus permettent d’accroître la performance estivale et d’éviter la surchauffe en les intégrant au bon moment dans les projets. En d’autres termes, il s’agit de réaliser : 

  • Des constructions neuves qui vont au-delà de la réglementation en activant plus de leviers pour le confort d’été ;
  • Des rénovations globales plus ambitieuses sur la question du confort d’été. 

Ce raisonnement a été appliqué aux investissements prévus dans les opérations neuves et de rénovation. Cet investissement pour l’adaptation proactive atteint un niveau similaire en ordre de grandeur à celui estimé dans le scénario tendanciel réactif précédent. 

Différer et limiter l’usage de la climatisation qui pourrait devenir incontournable. Des simulations récentes réalisées dans des conditions prospectives (ADEME 2023) montrent que pour des niveaux de réchauffement élevés, même des combinaisons d’adaptation ambitieuses ne suffisent pas à supprimer entièrement le besoin de climatisation mais permettent de limiter largement son utilisation. Le défi à venir est donc de différer et limiter au maximum le déploiement de la climatisation. Deux raisons : ces niveaux élevés de réchauffement sont incertains, et s’engager d’abord dans une adaptation plus proactive permet de limiter les externalités de la climatisation et de profiter des évolutions des systèmes à venir.

Des choix d’ordre politique et économique
Finalement, ne rien faire de plus c’est déjà choisir la manière dont nous réagissons (et réagirons) face aux vagues de chaleur. C’est privilégier une forme d’adaptation réactive et non anticipée et subir des impacts d’ordre sanitaire et économique de plus en plus importants. Changer de trajectoire ne coûterait pas nécessairement plus cher mais ne se fera pas tout seul. Cela nécessite de réinterroger les normes, les objectifs énergétiques, de renforcer les connaissances et le savoir-faire des filières, d’accompagner les acteurs…

Ces questions revêtent un aspect politique plus qu’économique : quelle forme d’adaptation souhaite-t-on favoriser pour nos bâtiments et nos villes ? Considère-t-on désirable d’avoir des bâtiments fortement climatisés et une chaleur exacerbée en ville ? Privilégie-t-on plutôt une approche plus sobre avec d’autres leviers d’adaptation ? Espérons que ces enjeux seront soulevés autour du troisième Plan national d’adaptation au changement climatique. 

Cet article fait partie de notre dossier Adaptation & Résilience des bâtiments que vous pouvez retrouver ici.

www.depositphotos.com 

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