MaPrimeRénov’ : « Passé le délai de 5 semaines, seuls 10 % de nos dossiers ont été payés par l’ANAH » (Femat Solutions)

Rédigé par

Grégoire Brethomé - Construction21

Responsable éditorial

4218 Dernière modification le 29/06/2023 - 10:58
MaPrimeRénov’ : « Passé le délai de 5 semaines, seuls 10 % de nos dossiers ont été payés par l’ANAH » (Femat Solutions)


Mandataire sur la partie administrative et financière de MaPrimeRénov’, Femat Solutions aide ses clients à monter leurs dossiers et réalise les paiements. Julien Feasson, Directeur Général de Femat Solutions et Alissa Mazza, Responsable du service Financement, réagissent aux accusations dont fait l’objet l’ANAH (Agence nationale de l’habitat) sur la durée des remboursements jugée parfois anormale et mettant en péril l’activité de certains professionnels. Ils appellent à donner plus de visibilité sur les paiements pour massifier les chantiers de rénovations globales.


En juin, l’ANAH annonçait une enveloppe supplémentaire de 300 millions d’euros en 2024, pour mieux accompagner les ménages qui souhaitent faire appel à MaPrimeRénov’. Une mesure plutôt bien accueillie par la profession qui fait toutefois un bilan sévère du système d’aide publique à la rénovation énergétique. Notamment sur la capacité de l’ANAH à rembourser dans les temps les bénéficiaires de MaPrimeRénov’. 

« Passé le délai de 5 semaines après la demande de financement, seulement 10 % de nos dossiers ont été payés par l’ANAH », témoigne Julien Feasson, Directeur Général de Femat Solutions. L’ANAH s’engage pourtant normalement à ne pas excéder ce délai de 5 semaines. Mais cela peut parfois prendre du temps… Voire beaucoup plus de temps ! « Une fraction de nos dossiers ne sont toujours pas payés au bout de 6 mois », indique encore le responsable. 

La conséquence ? Faire peser sur les entreprises et artisans – qui bénéficient du label RGE pour pouvoir réaliser les travaux de rénovation pris en charge – le risque d’avoir un trou dans leur trésorerie. « Même si vous avez une solide trésorerie, je ne connais aucune entreprise capable de travailler avec un an d’avance sur son paiement. Leurs fournisseurs doivent être payés sous 30 jours », détaille Julien Feasson.

Pour sa collègue, Alissa Mazza, les dossiers qui ont les meilleures chances d’être payés sont ceux « qui ont été effectivement réalisés, mais qui ont aussi été bien montés administrativement ». Découragés pour le manque de visibilité sur les délais de paiement des dossiers MaPrimeRénov’, nombre d’acteurs « se tournent vers le dispositif des CEE dont le process est mieux établi et est plus clair sur la manière dont le dossier doit être monté et les différents niveaux de contrôle qui peuvent intervenir au cours du dossier. »

Quand c’est flou…

« Certains dossiers sont similaires, sans réelles difficultés, pourtant l’un va mettre 15 jours à être remboursé par l’ANAH et l’autre 6 mois », relate Julien Feasson. Difficile à comprendre pour ces professionnels qui payent leurs clients installateurs et artisans « sous un délai moyen de 30 jours. »

Ce manque de visibilité touche également le contrôle sur site des dossiers. Celui-ci est réalisé a posteriori sur certains dossiers pour vérifier la réalité et la qualité du chantier de rénovation. Problème, « si pour les aides CEE, on sait que c’est soit 25 % soit 60 % des dossiers qui sont contrôlés, avec MaPrimeRénov’ c’est le flou artistique », déclare Alissa Mazza. « On constate simplement que plus un projet de rénovation est important, plus il a de chances d’être contrôlé ». Une attention particulière aux chantiers importants qui vient paradoxalement desservir les chantiers ambitieux et les rénovations globales, selon les deux professionnels. 

« Comme le contrôle sur site allonge facilement la procédure de 3 ou 4 mois, les mandataires sont réticents à financer ces dossiers d’envergure car ils savent qu’au final ils ne vont pas être payés avant 6 mois. C’est notamment pour ça que 86 % des chantiers restent du monogeste et c’est regrettable, car financer une VMC double flux dans une passoire thermique, c’est tout à fait inutile ! », regrette Julien Feasson.
Autre incohérence soulevée par les professionnels de l’organisme mandataire : le chevauchement de certains contrôles entre les dispositifs CEE et MaPrimeRénov’. « Pour un même chantier, vous pouvez avoir deux fois la même personne qui va se déplacer à deux dates différentes pour faire un contrôle COFRAC sur le même chantier pour les CEE puis pour MaPrimeRénov’. Les critères d’appréciation ne sont pas identiques, mais sont quand même très similaires. J’aimerais que le premier contrôle fasse foi pour le deuxième, par exemple sur l’installation d’une PAC », demande le directeur de Femat Solutions.

Payer, professionnaliser, crédibiliser

Afin d’amplifier et simplifier la mise en œuvre de Mon Accompagnateur Rénov’ (MAR), les conseillers censés inciter les bénéficiaires à entamer des rénovations plus globales, l’administration vient de présenter un nouvel arrêté mis en consultation publique jusqu’au 6 juillet 2023. Pour atteindre l’objectif fixé de 200 000 rénovations globales en 2024, l’accompagnateur rénov’ devrait être obligatoire pour toutes les aides dites de « rénovation globale » (en plus de MaPrimeRénov’ Sérénité, et du futur pilier « performance » de MaPrimeRénov’).

« Pour nous, ce n’est pas la bonne réponse qui est apportée » réagit Julien Feasson, « car cela va ralentir encore les instructions. Je crains que ça créé un goulot d’étranglement. On le voit actuellement dans les agences locales de l’énergie, les délais d’instruction sont déjà très longs alors que très peu de dossiers sont suivis aujourd’hui par Mon Accompagnateur Rénov’ ».

Les professionnels appellent en revanche à plus de fermeté vis-à-vis des fraudeurs. C’est-à-dire à l’encontre des entreprises labellisées RGE mais qui ne réalisent pas effectivement les travaux ou pas suffisamment qualitativement, tout en touchant les aides. « Je regrette que dans ces cas, il n’y ait pas de retrait de la labellisation RGE, ou que le gérant ne soit pas interdit de gérer une entreprise. Ça manque beaucoup de courage, et incite des acteurs peu vertueux à retenter leur chance et fait perdre confiance dans le dispositif MaPrimeRénov’ », interpelle Julien Feasson.

Le directeur de Femat Solutions défend d’ailleurs les structures de mandataires comme la sienne, une filiale d’un distributeur de matériaux pour la rénovation énergétique (isolation, chauffage, bois…), le groupe Femat. « Ainsi, et sans contrôle sur site, nous allons facilement pouvoir regarder quel matériel a été acheté et à quelle adresse de livraison. C’est un premier signe qu’un chantier a bien eu lieu. Cela ne signifie pas forcément qu’il est réalisé dans les règles de l’art mais au moins qu’il existe, tout comme le bénéficiaire que l’on a eu au téléphone. Je pense que des acteurs comme Femat ont vraiment une valeur ajoutée à faire valoir sur ce qu’on peut appeler la chasse aux fraudeurs. C’est déjà un premier niveau de contrôle », explique Alissa Mazza.   

« Ce qu’on attend désormais de la part de l’ANAH, c’est surtout un surcroît de visibilité et de garantie sur les délais de paiement », poursuit Julien Feasson. « Pour massifier les rénovations globales, il reste un gros travail à faire sur la professionnalisation de la filière des mandataires. Celle-ci est parfois très disparate. Crédibiliser notre profession, c’est une chance supplémentaire de pouvoir attirer des financements extérieurs, comme les banques qui pourraient être plus engagées sur le reste à charge et qui ont besoin de garanties pour le faire », enchérit Alissa Mazza. « Une des questions à traiter maintenant, c’est qu’est-ce qu’on finance avec les banques et comment on le finance, et il est urgent d’y répondre », conclut Julien Feasson.

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