#14 - Construire en Afrique : techniques et formations inclusives

Rédigé par

Thomas Granier

Directeur Général Association la Voûte Nubienne

10226 Dernière modification le 05/09/2019 - 11:33
#14 - Construire en Afrique : techniques et formations inclusives

En réponse à la problématique de l’habitat en Afrique[1], l’Association la Voûte Nubienne (AVN) promeut depuis bientôt 20 ans le concept technique Voûte Nubienne (VN) en Afrique Soudano-Sahélienne, une solution constructive complète, adaptée[2] et durable. Afin d’accompagner au mieux l’émergence de cette nouvelle filière, AVN propose des techniques et parcours de formations inclusifs portés par une méthodologie de diffusion innovante. 

 

Le concept technique VN : une solution constructive inclusive

Les utilisateurs du concept technique VN, tant clients qu’acteurs de la construction, sont majoritairement issus du monde rural, et évoluent dans des dynamiques de marché largement informelles et soumises à des fragilités économiques et d’éducation prononcées. Afin de permettre la diffusion à grande échelle de cette solution constructive nouvelle en Afrique Subsaharienne, AVN a fait le choix de la simplification et de la systématisation de la technique originelle de la Voûte Nubienne[3]. Il s’agissait ainsi de la rendre facilement reproductible et donc plus largement accessible : facilité de transmission, rapidité d’apprentissage, réduction des risques…

Le concept technique VN fait essentiellement appel à des matériaux locaux largement disponibles (terre crue sous forme d’adobes et de mortier pour l’ensemble de la structure hors-œuvre) ne nécessitant ni cuisson, ni stabilisation (pas de compression, ni d’ajout de liants hydrauliques) ; et à un outillage basique et des compétences techniques relativement simple.

 

 Dessin technique VN / crédit photo © AVN

 

Les principaux atouts du concept technique VN résident dans son excellente performance environnementale, mais aussi et tout particulièrement dans son potentiel de « transversalité socio-économique » : habitat populaire dans les économies paysannes et informelles, habitat social en périphérie des villes, habitat haut standing, infrastructures de base et équipements divers peuvent tous être produits à partir du même système constructif, permettant l’accès des populations vulnérables à des bâtiments abordables, confortables et adaptés aux changements climatiques. Ces forces font de cette solution constructive une réponse particulièrement efficace et adaptée aux principaux besoins d’habitats de la région soudano-sahélienne.

 

Maison VN paysanne / crédit photo © Mathieu Hardy

Bâtiment  VN haut standing / crédit photo © Mathieu Hardy

 

«  Le Sahel est une région sous pression extrême des changements climatiques, des conflits et de la pauvreté. Les Voûtes Nubiennes offrent aux populations une meilleure façon de vivre dans cette région fragile, pour un coût modeste et quasiment aucun impact environnemental. » David Ireland, Directeur World Habitat, Fondateur et Coordinateur du World Habitat Awards (dont AVN est lauréat en 2016-2017).

 

Supports et méthodes d’apprentissage, de renforcement et d’accompagnement des métiers VN : principes d’une pédagogie inclusive adaptée au contexte soudano-sahélien

AVN postulait dès les prémices de son programme que l’apprentissage de la technique devrait prioritairement se faire sur des chantiers réels en situation de marché, sur un modèle assez proche du Compagnonnage[4]. En vigueur jusqu’à ce jour, le modèle assure aux apprentis une pleine immersion qui les confronte aux conditions qu’ils rencontreront plus tard comme artisans « responsables » ; il induit et permet par ailleurs l’émergence d’un réseau de Maçons Formateurs aux compétences techniques et pédagogiques reconnues et d’acteurs de développement (AVN et partenaires) capables de l’accompagner et de le faire croître.

La stratégie d’AVN a toujours été de privilégier les acteurs du plus grand nombre, qui constituent la base de la pyramide sociale. L’accompagnement du métier de maçon VN sur des marchés informels principalement ruraux a donc été, et reste, le point focal des activités déployées par le programme. Toutefois, le succès de cette solution constructive originale et la diversification des marchés qu’il induit entraine l’élargissement du champ des métiers au sein de la filière VN et des besoins de formation : maîtrises d'ouvrages publiques, techniciens, architectes et ingénieurs, entreprises bâtiments « formelles » en capacité de répondre à des appels d’offres publics, etc.

Ces nouveaux intervenants s’insèrent progressivement dans les activités d’AVN, au niveau des opérations, depuis leur conception jusqu’à leur réception. L’enchâssement de ces métiers est en progression ; méthodes et supports technico-pédagogiques inclusifs sont en constant développement et conservent leur vocation à participer de la création d’une offre formative adaptée à des populations dont les niveaux d’alphabétisation et d’accès aux formations classiques restent très faibles : formation "sur le tas" et renforcements pratiques et théoriques ;

 

Chantier avec formation sur le tas / crédit photo © Mathieu Hardy

 

Session en académie de formation / crédit photo © AVN

 

… supports technico-pédagogiques facilement compréhensibles, sans obligation de lecture des textes.

 Extrait du « Manuel Maçon Nubien » / crédit photo © AVN

 

Extrait du « Livret du parcours de l’apprenant VN » / crédit photo © AVN

 

Par cette approche, AVN promeut un mode de formation professionnelle adapté aux réalités locales, et de façon particulièrement intéressante, au secteur du bâtiment. Eu égard à ses résultats encourageant, cette approche est actuellement proposée à certains acteurs publics nationaux et locaux de la formation professionnelle, dans une logique de création d’un cursus en alternance  permettant l’élargissement de la dynamique globale de marché : informel/formel ; rural/urbain ; privé/public.

Vision de développement, maillage territorial et partenariats locaux comme vecteurs de diffusion

Autour de la solution technique et de l’offre formative, l’émergence et la pérennisation des savoir-faire et du marché de la filière VN s’articulent à travers trois axes d’actions complémentaires :

  • UN TOIT – Faire émerger une demande de bâtiments adaptés à l’échelle locale ;
  • UN MÉTIER – Former une filière autonome d’artisan-maçons VN ;
  • UN MARCHÉ – Générer un soutien politique et économique à la croissance du marché VN.

Ces actions s’inscrivent dans un modèle de développement innovant, fondé sur le principe « d’apprendre à pêcher plutôt que de donner du poisson », et étendu à la structure entière du marché et de la filière bâtiment. S’il vaut mieux apprendre à construire plutôt que de donner des maison, il s’avère encore plus profitable de partager avec l’ensemble des parties prenantes les compétences nécessaires pour dynamiser un marché endogène et porteur de changement.

 

image 09 - Schéma du modèle de développement d’AVN / crédit photo © AVN

L’approche opérationnelle repose d’une part sur un travail de maillage territoriale s’imbriquant à plusieurs échelles, allant du pays à la commune ; et d’autre part sur des acteurs locaux partenaires légitimes appuyés par AVN qui assurent le portage opérationnel des activités sur leur territoire. Chaque zone de diffusion s’articule autour d’Unités d’Implantation (UI), synthèse méthodologique du programme.

 

 Carte d’implantation du programme d’AVN / crédit photo © AVN

 

 

Les résultats du programme au 31 juillet 2018

  • 2 900 chantier réalisés depuis le début du programme en 2000 (soit +/- 104.000 m2) avec 21% de croissance annuelle moyenne sur les 10 dernières années ;
  • 840 apprentis, maçons, artisans et entrepreneurs actifs ;
  • 31 600 bénéficiaires directs ;
  • 85 300 tonnes de CO2 potentiellement économisé (construction + efficacité énergétique) ;
  • 3 millions d’euros générés en circuit local ;
  • 16 régions de déploiement réparties dans 5 pays.

Recommandations

  • Considérer le marché comme un des principaux vecteurs de validation et de large diffusion de nouvelles solutions constructives. C’est dans ce cadre de production « réel » que la pertinence des propositions peut être pleinement appréciée, que les forces, faiblesses et voie d’amélioration peuvent être identifiées.
  • Rechercher prioritairement des solutions techniques simples, afin de répondre aux besoins les plus urgents du secteur du bâtiment en Afrique Soudano-Sahélienne. En plus d’apporter des réponses adaptées aux besoins des ménages les plus vulnérables (logement et services de base), cette approche « par le bas » offre le potentiel de toucher de larges marchés, tout en facilitant les processus de formation professionnelle de base.
  • Agir sur l’offre et sur la demande, car la promotion efficace de nouveaux produits d’habitat ne peut se faire qu’en agissant simultanément sur les deux.
  • Prendre en compte le secteur « informel », qui domine encore largement le secteur du bâtiment d’Afrique Soudano-Sahélienne. Il s’agit tout particulièrement d’être en mesure d’adapter les méthodes et outils d’information et de formation à cette réalité.
  • Développer prioritairement des supports techniques et pédagogiques adaptés aux réalités soudano-sahéliennes, qui répondront notamment aux besoins et capacités des acteurs « peu instruits » qui dominent le secteur.


[1] « L’Afrique subsaharienne compte 199,5 millions de personnes vivant dans des bidonvilles », http://fr.unhabitat.org/urban-themes/logement-et-amelioration-des-bidonvilles/ ; « l ’accès à un habitat abordable est devenu l’un des plus importants problèmes mondiaux et c’est en Afrique que la problématique est des plus préoccupantes.», Dr Clos, Directeur Exécutif de l’ONU-Habitat, 28 Octobre 2014 à Nairobi

[2] Le Concept Technique VN est adapté aux conditions climatiques d’Afrique Soudano-Sahélienne, marquées par une saison sèche dominante et des précipitations annuelles maximales n’excédant pas 1.200 mm. Cette solution constructive est de fait également potentiellement adaptée à toute autre région à climat similaire.

[3] La technique originelle de la voûte nubienne est née en Nubie (actuelle Haute-Égypte et nord du Soudan) il y a plus de 3.500 ans. Elle était inconnue en Afrique Subsaharienne jusqu’au début des années 80.

[4] « Le compagnonnage a pour double but de former des hommes en même temps que des professionnels qualifiés. Il permet à chaque individu l’accomplissement de ses possibilités culturelles et professionnelles, grâce à l’exercice de son métier et à la transmission des savoirs. Le compagnonnage est un outil de promotion sociale, de formation et d’éducation. Autour du métier et de son apprentissage, il s’agit pour le jeune itinérant de se construire au mieux de ses capacités, pour devenir un bon professionnel et un acteur de la cité, sûr de sa valeur et de ses valeurs. »,

http://compagnonsdutourdefrance.org/pages/qu-est-ce-que-le-compagnonnage

 

Propos recueillis par Hassan Abouzid

Dossier soutenu par

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