La taxinomie européenne dans l’immobilier : premières tendances et perspectives d’évolution

Rédigé par

Benjamin Porte

1834 Dernière modification le 22/06/2023 - 10:00
La taxinomie européenne dans l’immobilier : premières tendances et perspectives d’évolution


Le 13 juin dernier, l’adoption des actes délégués sur les quatre autres objectifs environnementaux (gestion durable de l’eau, transition vers une économie circulaire, prévention de la pollution et préservation de la biodiversité) a clos la définition des critères techniques, du moins pour ce premier exercice de mesure de la durabilité des activités.  

Nouvelle étape dans la mise en application de la taxinomie européenne. Il est désormais possible de dresser le tableau de l’impact de cette nouvelle définition des activités « durables » sur le secteur de l’immobilier. Dans le même temps, les sociétés déjà concernées par les exigences de transparence ont publié leurs premiers chiffres. Dans quelle mesure l’immobilier va-t-il être impacté par la taxinomie européenne ? Quelles tendances peut-on observer en juin 2023 ?

Analyse selon les objectifs climatiques : où en est-on ?

La taxinomie européenne est construite selon une logique systémique forte. Déclinée selon six grands objectifs environnementaux, elle qualifie de durable toute activité pouvant justifier de contribuer substantiellement à l’un sans nuire à a l’autre, tout en respectant des garanties minimales sur les sujets de gouvernance. Jusqu’au 13 juin dernier, seuls les critères de contribution substantielle pour les deux objectifs climatiques (atténuation et adaptation au changement climatique) étaient règlementaires. Les acteurs de l’immobilier ont ainsi pu mener une première analyse de leurs flux financiers.

2023 marque en effet la première année de reporting pour les sociétés soumises à la Déclaration de performance extra-financière (DPEF). L’analyse de ces publications donne un aperçu du marché immobilier. Alors que 92% du chiffre d’affaires des Sociétés Immobilières Cotées est éligible sur l’exercice 2022, seuls 38%, en moyenne, est aligné.

Ceci témoigne bien de l’ambition de la taxinomie européenne : définir un référentiel élitiste qui permet de distinguer les activités d’ores et déjà durables. On observe toutefois de grandes disparités en fonction des caractéristiques des portefeuilles. L’alignement selon l’activité 7.7 Acquisition et Propriété est compris entre 27% et 65%, selon un benchmark sur cinq grandes Sociétés Immobilières Cotées françaises.

Les rapports extra-financiers publiés en 2023 montrent également les difficultés résiduelles d’interprétation des critères techniques. Plusieurs acteurs mentionnent avoir réalisé une analyse conservatrice de leur portefeuille au regard des critères techniques, en l’absence notamment de précisions sur les preuves attendues. Concernant les opérations de développement, construction et rénovation, ce sont les critères vérifiant l’absence de préjudice aux objectifs autres que l’atténuation du changement climatique qui représentent le plus grand défi. L’économie circulaire et le tri effectif de 70% des déchets pour valorisation matière sont souvent cités comme un frein. 

Autre tendance, la taxinomie européenne devient un risque à part entière, au même niveau que les risques financiers. Ce nouveau texte est identifié comme un risque règlementaire, s’inscrivant ainsi dans les risques de transition, et ce à plusieurs niveaux. Certains acteurs voient un risque de défaut face à la règlementation, d’autres identifient un risque de réputation en cas de taux d’alignement de leurs activités plus faible que la moyenne du marché. Enfin, certains anticipent une incidence sur leurs financements, craignant l’accélération de l’émergence d’une valeur verte.

Quelles sont les orientations offertes par les nouveaux textes règlementaires ?

Le 13 juin, la Commission européenne a adopté un nouveau paquet de textes pour une finance plus durable (le Sustainable Finance Package). Il comprend en particulier de nouveaux actes délégués sur la taxinomie européenne qui vont avoir un impact direct sur le reporting des sociétés immobilières. Ces textes définissent les activités éligibles et les critères de contribution substantielle pour les quatre autres objectifs environnementaux, aussi appelés Taxo4. Ils viennent également amender les actes délégués existants, sur les objectifs climatiques et sur les indicateurs taxinomiques. 

Le secteur du bâtiment n’est concerné directement que par l’objectif de transition vers une économie circulaire. Plus précisément, des critères de contribution substantielle sont définis pour les activités de construction, de rénovation et de démolition de bâtiments. 
Pour l’activité de construction neuve, les critères à respecter sont les suivants :
1.    Préparation d’au moins 90 % des déchets non dangereux pour réutilisation ou recyclage pour l’activité de construction, sauf certains matériaux naturels ;
2.    Calcul du potentiel de réchauffement planétaire du bâtiment à chaque étape du cycle de vie ;
3.    Intégration dans le design des concepts d’adaptabilité et de déconstruction ;
4.    Utilisation privilégiée de matières premières secondaires (i.e. recyclées, réemployées ou réutilisées). Le texte impose des seuils maximaux de matières premières primaires autorisées pour le béton, la pierre naturelle ou agglomérée, les briques, tuiles et céramiques, les produits biosourcés, le verre, les plastiques non biosourcés, les métaux et le plâtre (entre 30 et 80% pour la construction) ;
5.    Utilisation d’outils électroniques pour décrire les caractéristiques du bâtiment (dont matériaux et composants) et stockage numérique de ces informations pour une conservation à long terme des informations via des outils nationaux (cadastre ou registre public).

Les critères de contribution substantielle pour la rénovation de bâtiments existants sont similaires. Seuls les objectifs quantifiés diffèrent : 70% des déchets non dangereux seulement doivent être préparés en vue de leur valorisation matière, et les seuils à respecter en termes de matériaux primaires sont moins exigeants. De plus, au moins 50 % du bâtiment d'origine doit être conservé. Cette proportion doit être calculée sur la base de la surface brute de plancher conservée du bâtiment d'origine.

Les modifications apportées aux actes délégués existants, sur les objectifs climatiques, auront un impact mineur pour le secteur. Les investissements dans des logiciels ou missions de conseil relatives à l’adaptation au changement climatique pourront désormais être qualifiés de durables. Les modifications apportées aux templates règlementaires n’ont pas d’incidence notable sur les indicateurs à présenter.

Ces nouveaux textes règlementaires présagent donc d’un travail approfondi à réaliser par les sociétés immobilières afin d’inclure ces nouveaux critères dans leur champ d’analyse. Cela aura un impact particulier sur la collecte des données relatives aux déchets générés sur le chantier et aux matériaux utilisés. Il est à noter que le calendrier d’application a été légèrement modifié, laissant plus de temps aux entreprises pour appréhender ces nouveautés. Seuls les indicateurs d’éligibilité seront exigés en 2024 sur l’exercice 2023, pour un premier reporting taxinomique complet en 2025 sur l’exercice 2024. L’Observatoire de l’immobilier durable poursuit son accompagnement de la filière dans l’appropriation de ce texte. 

Retrouvez notre guide d’application pour le secteur de l’immobilier, les notices d’interprétation des critères techniques et bientôt un benchmark complet des premières publications.

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