La gestion de l’eau, des solutions durables qui coulent de source

1738 Dernière modification le 14/03/2024 - 10:17
La gestion de l’eau, des solutions durables qui coulent de source

DOSSIER C21 - De la canicule marquante de 2023, qui a eu pour l’effet l’assèchement des sols et la fragilisation de la végétation et de la biodiversité, a émergé un constat sans appel : il est grand temps de repenser la manière d’utiliser la ressource eau ainsi que d’adapter les systèmes de récupération et de traitement, à l’échelle des bâtiments, des villes et des territoires.

La gestion passée des eaux pluviales par le « tout- tuyau » a en outre depuis longtemps montré ses limites avec des réseaux saturés, avec une aggravation des ruissellements et des inondations et une pollution accentuée des milieux naturels. Cette gestion se doit désormais d’être intégrée, en maintenant le plus possible le cycle naturel de l’eau à l’échelle du projet afin de l’infiltrer et la valoriser au plus proche de là où elle tombe.

Cette gestion à la source nécessite de connaitre le contexte pluviométrique du territoire et notamment sa dynamique par saison, sa topographie, son paysage, sa géotechnique et ses exutoires. Il existe de fortes disparités entre régions et en leur sein même, selon la présence de relief, des influences maritimes et des régimes de vent. Il faut rappeler que 80 % des pluies qui tombent sur le territoire sont des petites pluies fortement infiltrantes dans les sols. Par conséquent, quelle que soit la région et sa spécificité, la gestion intégrée des eaux pluviales se donne pour objectif de maintenir à l’échelle de la parcelle les pluies courantes au moyen de techniques alternatives.

Non artificialiser, renaturer 
Dans cette optique, l’une des premières dispositions est de ne pas artificialiser les sols, ce qui revient à accentuer la sobriété des aménagements. Autant que possible, les espaces de sol naturel doivent être retrouvés ou maintenus, les fonctions hydrauliques pouvant être associées à des usages variés, tels que les cheminements, les aires de loisirs ou les parkings. Il paraît également opportun de procéder à une renaturation des sols, terme nouveau qui rend compte du changement de paradigme dans la prise en compte des sols, de leur fonctionnement et de l’ensemble des services qu’ils rendent.

C’est notamment l’un des objectifs du programme « Cours oasis », visant à remplacer les revêtements goudronnés au sein d’établissements scolaires par une surface perméable et végétalisée. La perméabilité des surfaces doit être également optimisée. Si pour des considérations techniques (reprise de charge, arrachement, accessibilité PMR...) un sol construit est nécessaire, il existe néanmoins des aménagements perméables (pavages, platelages, dallages, bétons poreux...). Il convient de favoriser les revêtements avec les coefficients de perméabilité les plus élevés et les plus clairs possibles (albédo) pour atténuer le stockage des calories. Les circulations piétonnes et les aires de stationnement se prêtent facilement à cet exercice. 

L’une des solutions pour mieux gérer les eaux pluviales est de différer – voire éviter – l’envoi des eaux de pluie à un réseau de collecte. La plupart du temps, les eaux pluviales collectées sont renvoyées dans les réseaux, ce qui accroît les volumes d’eau à traiter, et peut causer la saturation en aval. Des solutions permettent de ralentir cette arrivée des eaux pluviales dans les canalisations (intéressant en cas d’épisode de pluies torrentielles), voire d’éviter complètement leur rejet au réseau. 


L’installation d’un couvert végétal permet par exemple la réduction des pluies envoyées au réseau, d’abord par tamponnage (phénomène d’éponge) puis par évapotranspiration (réduction des volumes). Le couvert végétal apporte d’autres bénéfices (amélioration du confort thermique estival, refuges pour la faune, revitalisation des rues…). Lors de la mise œuvre, il faut s’assurer que les végétaux bénéficieront d’apport en eau même en période sèche (études hydrauliques montrant la présence de réserves, accès à la nappe), et le cas échéant, créer des réserves (réservoir, mare...). La période de plantation doit aussi être étudiée et planifiée pour ne pas soumettre les végétaux à un stress hydrique lors de la période de reprise. Il semble aussi nécessaire de limiter les fortes déclivités qui accentuent le ruissellement et l’érosion, favoriser la végétalisation des parois (toitures & façades) et paysager le circuit de l’eau au sein du projet. 

Enfin, la récupération de l’eau pluviale et sa réutilisation vont permettre de préserver la ressource en eau potable, grâce à des systèmes de stockage aérien ou enterré. Des bacs de collecte peuvent être installés, ou bien des cuves souples, faciles à mettre en œuvre et à camoufler. On pensera également au concept du jardin de pluie adapté à l’échelle du bâtiment, dont le rôle est de récupérer les eaux de pluie dans le but de les réutiliser à toutes fins utiles, ou encore aux parcelles éponges, qui ont le double rôle de zone de rétention d’eau et de nouvelles entrées végétales sur le site renouvelé.

Minimiser, réutiliser et traiter les eaux usées 
L’une des sources de dégradation des eaux superficielles (cours d’eau, plans d’eau) et des eaux souterraines (nappes) est la pollution chimique ou physico-chimique provenant pour partie des eaux usées domestiques. Ces pollutions peuvent avoir des effets néfastes sur les écosystèmes aquatiques et sur la santé humaine. L’enjeu est donc en amont de minimiser la production d’eaux usées, de les réutiliser le plus possible en les valorisant sur site avant de les envoyer en cycle d’assainissement.

Il est possible de réduire les quantités d’eau à traiter, en séparant les eaux pluviales des autres eaux usées via des circuits déconnectés. Ensuite, il est nécessaire d’agir sur le bon usage des bâtiments pour réduire les consommations d’eau, limiter les eaux grises, et/ou alléger la charge polluante à traiter. Des écoles proposent par exemple des guides à l’attention du personnel et des élèves ainsi que des affichages liés aux bonnes pratiques dans l’utilisation de l’eau potable. Pour réduire la pollution, des produits d’entretien sains à faible impact sanitaire sont à prioriser. En remplacement des produits nocifs pour l’environnement et la santé humaine (javel, ammoniac).

Jusqu’à présent, la réutilisation des eaux grises visait principalement des usages extérieurs (arrosage, nettoyage). Désormais, elle englobe les usages intérieurs (alimentation des toilettes, nettoyage des sols) avec une précaution supplémentaire dans le cadre d’une expérimentation ou d’un accord préfectoral (depuis 2015, des travaux réglementaires sont en cours sur cette question). La partie des eaux grises mobilisable est celle issue des salles d’eau (baignoires, douches, lavabos et lave-linge). Celle de la cuisine, plus chargée en matières organiques, est généralement écartée. Les eaux grises collectées ne peuvent pas forcément être réutilisées telles quelles et doivent subir un traitement plus ou moins conséquent, via par exemple une microstation de traitement par filtrage. Avec une capacité de 100 litres, la station peut alimenter un WC à hauteur de 14 chasses d’eau journalières. Des dispositifs plus importants existent, tel que le bioréacteur à membrane qui permet d’atteindre une économie d’eau potable de 2 000 litres par jour.

Lorsque toutes les solutions possibles pour limiter l’utilisation d’eau potable et réemployer au maximum les eaux grises ont été mises en place, les eaux résiduelles polluées doivent être traitées avant d’être relâchées dans le milieu naturel. Selon la réglementation, pour tout bâtiment à usage domestique, si un réseau d’assainissement collectif est présent, il y a obligation de s’y raccorder. Le raccordement peut se faire de manière conventionnelle, ce qui nécessite des travaux de génie civil et une forte technicité de maintenance de l’équipement.

Il induit une consommation énergétique importante et un impact sanitaire lié aux produits physico-chimiques utilisés, notamment dans les Stations de Traitement des Eaux Usées (STEU). L’épuration peut toutefois être réalisée par phytoépuration, ou épuration par le vivant. Ce type de traitement est intéressant pour sa simplicité de mise en œuvre et d’entretien, une consommation énergétique faible voire nulle, l’absence d’intrants chimiques, la faible production de boues d’épuration, et l’installation de végétaux favorables à la biodiversité. Ce procédé permet de traiter des volumes d’eaux usées allant de la maison individuelle, jusqu’à plusieurs milliers d’équivalent-habitant (EH). 

Concevoir pour limiter les usages de l’eau dans les bâtiments
Afin de minimiser l’usage de l’eau et maximiser le recours à de l’eau ne provenant pas du réseau, un préalable est d’identifier finement l’ensemble des usages, leur intensité et leur temporalité. Des techniques alternatives et/ou des solutions plus économes en eau peuvent être envisagées en phase conception du projet, mais également en phase réalisation à travers le choix des assemblages de matériaux et l’usage de l’eau durant le chantier. Une fois que l’eau (très généralement potabilisée) entre dans le bâtiment, il faut limiter son besoin, la faire circuler le moins possible, maximiser son usage avant de l’évacuer, chasser les fuites, et la remplacer autant que possible par des eaux pluviales/brutes. Cela passe notamment par la réduction des points de débit, tels que des toilettes sans eau, y compris dans les établissements collectifs. Par ailleurs, la mutualisation des usages de l’eau en habitat collectif semble être une piste à suivre. 

Une pratique courante à l’étranger (Suisse, Suède, Australie, Singapour…) est de créer des laveries collectives. Cela permet de ne pas occuper une surface de plancher dans un volume isolé et chauffé, ne pas amener un apport de calories dans l’espace de vie en période estivale, minimiser les conduits d’arrivées et d’évacuation. L’avantage est également lié à la convivialité, la mutualisation d’équipements plus performants, dans une logique d’économie de la fonctionnalité. La circulation de l’eau doit être aussi optimisée, en visant la frugalité de matière mise en œuvre, en limitant les coudes et soudures. De plus, cette approche réduit le risque de fuite et perte de pression. Le circuit doit comporter des éléments de suivi et de facilitation de la maintenance. Outre les éléments matériels, en exploitation il est important de désigner des personnes pour suivre, piloter et intervenir sur les systèmes. 

L’eau en phase de réalisation, dite « chantier »  
En moyenne, 42 % de l’eau utilisée sur un chantier est gaspillée. Une construction neuve consomme 50 % d’eau en plus qu’une réhabilitation de bâtiment existant. Les enjeux principaux sont donc de réduire l’usage d’eau potable, éviter de la polluer, revaloriser sur site les eaux usées. Pour optimiser son utilisation, les assemblages secs et la préfabrication atelier sont à privilégier, mais aussi la limitation du nettoyage des équipements à l’eau claire et le recyclage des eaux collectées. Par exemple, certains assemblages de matériaux issus de filières sèches (bois, paille, métal, terre, pierre) permettent de se passer quasi complètement de l’eau en mise en œuvre.

Par ailleurs, ce choix réduit considérablement les problématiques liées aux temps de séchage sur chantier et aux pathologies qui peuvent en découler. Les fondations sèches (fondations cyclopéennes, fondations pneus, pieux battus ou vissés) réduisent également les besoins en eau. Pour limiter l’usage de l’eau durant le chantier, il est important d’optimiser le nettoyage à l’eau, installer des toilettes sèches et enfin collecter les eaux de lavage, notamment à travers la récupération des eaux de centrales à béton, des véhicules et des goulottes des toupies après décantation. 

In fine, des solutions faciles à mettre en œuvre existent pour un usage durable de la ressource en eau sur les opérations. Les associations professionnelles membres du Collectif des démarches quartiers et bâtiments durables ont un rôle à jouer pour collecter les expertises et les diffuser avec pédagogie en direction des professionnels du secteur. Les acteurs sont incités à la mise en œuvre de principes simples, allant de la conception à la maintenance du bâtiment, en se basant sur des exemples concrets et des retours d’expériences inspirants.

- Un article signé par le Collectif des Démarches Quartiers et Bâtiments Durables (Envirobat Occitanie, Ekopolis (IDF), Batylab (Bretagne), Terragilis (Bourgogne-France-Comté), Odéys (Nouvelle-Aquitaine) et EnvirobatBDM (PACA)

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