[Interview] "Les métropoles doivent soutenir la rénovation des ascenseurs"

Rédigé par

Stéphanie Obadia

Directrice de la rédaction

3115 Dernière modification le 31/01/2024 - 17:54
[Interview]

Alors que la rénovation des bâtiments est au cœur des enjeux de décarbonation du secteur, les ascenseurs semblent avoir leur rôle à jouer pour faire descendre les consommations d'énergie des immeubles. Entre écoconception, lowtech et réemploi, Philippe Boué, président de la Fédération des ascenseurs, confie les hauts et les bas de la filière.

Quelles aides existent aujourd'hui pour inciter à la rénovation des ascenseurs ?

Après concertation par la Région Ile-de-France (via l’Institut Paris Région) de l’ensemble des acteurs (ascensoriste, bureau de contrôle, bailleur privé et public, administration régionale…), la région a décidé d’aider les copropriétés en difficulté (des conditions d’éligibilité financières et en termes de quartier sont précisées) pour la rénovation d’ascenseurs anciens et vétustes. Les syndics et/ou administrateurs provisoires peuvent en faire la demande sur le site de la Région Ile-de-France. Des bénéfices sont exigés quant aux économies d’énergie des ascenseurs. L’amélioration de l’accessibilité fait l’objet d’une attention sur les projets proposés. La région participe à hauteur de 50 % de l’investissement plafonné à 60 k€. Le lancement de ce soutien a été réalisé début 2023. Celui-ci reste relativement récent et nous sommes en contact avec la Région Ile de France pour suivre son déploiement. Ce type de soutien doit être répliqué dans les principales métropoles pour faire face au vieillissement, à la vétusté et la dégradation des équipements. Nous rencontrons les acteurs institutionnels à cet effet.

Existe-t-il une stratégie nationale de rénovation des ascenseurs ?

La stratégie de rénovation des ascenseurs est propre à chaque ascensoriste au regard de son parc en maintenance, des demandes et attentes des bailleurs et propriétaires. Pour autant, de façon macro, il est important d’inciter à la rénovation ou remplacement des équipements les plus énergivores, à savoir : 

  • les appareils hydrauliques (quel que soit l’âge de l’installation). Pour ce type d’entraînement, c’est le remplacement par un ascenseur électrique qui seul permet d’apporter une efficacité énergétique ;
  • les appareils électriques les plus anciens équipés de treuil avec réducteur qui consomment entre 4000 et 4400 Kwh/an et pouvant après rénovation apporter jusqu’à 70 % d’économie d’énergie. Le groupe de traction étant alors remplacé par une solutiongearless (sans réducteur) auquel sont associées une nouvelle armoire de commande et une variation de fréquence.

En termes de typologie d’immeubles, ceux des copropriétés font partie des moins rénovés, très anciens et très vétustes. Il est important aussi de cibler les appareils installés avant 2000 mais après 1983 (cette génération d’appareil n’était pas intégrée aux travaux de la loi SAE ; les appareils concernés n’ont donc pas connu d’investissements potentiellement associés à la mise en sécurité des installations, comme cela a pu être réalisé avec certains autres équipements plus anciens). Les appareils post-année 2000 sont souvent avec des technologies gearless plus économes en énergie. Toutefois, il convient de s’assurer de leur état de fonctionnement et de leur usage. 

Enfin, le parc d’ascenseur est souvent plus dégradé dans les Quartiers Prioritaires de la Ville et les réponses des bailleurs sont très différentes en fonction de leur capacité budgétaire et de leur gestion patrimoniale. Les copropriétés dégradées sont celles qui doivent être accompagnées le plus urgemment pour faciliter les investissements aux bénéfices immédiats en termes d’usage, de disponibilité et de consommation énergétique.

Quels sont les plus gros postes d’émissions pour les ascenseurs : production, maintenance, usage ?

La fabrication de l’ascenseur et l’extraction des matières premières représentent de l’ordre des deux tiers de l’ensemble du cycle de vie de l’ascenseur. 

Sur 25 ans, période prise en compte pour l’ACV ascenseur, l’ascenseur pèse 700 kg de CO²/an.

L’écoconception est donc la piste majeure en termes de réduction carbone. Economie circulaire, matériaux recyclés, comme par exemple les guides, sont des axes développés aujourd’hui par les industriels. Le recyclage permettant d’avoir un impact positif sur la fabrication des ascenseurs, le réemploi a un impact sur l’usage. 

Comment la filière s’organise par rapport au recyclage, au réemploi ?

Les industriels adhèrent aux éco-organismes qui eux-mêmes travaillent avec les déchetteries et les points de collecte pour assurer un maillage et une mise en œuvre opérationnelle pertinente. C’est le principal enjeu. Les entreprises sont sollicitées pour adhérer, pour autant le service doit être conforme aux exigences réglementaires. 

La spécificité de l’ascenseur dans le cadre des REP est la gamme de matériaux très diverse. Matériaux qui sont aussi à forte valeur ajoutée, notamment les métaux.

Si le réemploi est une pratique existante dans le cadre de la D3E avec la réparation de cartes électroniques par exemple, son extension à d’autres organes de l’ascenseur commence à être expérimentée à travers des appels d’offre publics en rénovation, mais également sous l’impulsion de clients ayant des parcs importants. C’est le cas de Paris Habitat et de la solution Tracklift qui ont reçu le Trophée RSE cette année. Toutefois, un des freins principaux identifiés aujourd’hui est le réemploi des composants de sécurité qui est abordé de façon très prudente par l’ensemble de l’écosystème (assureur, industriel, juriste…), tant pour des questions de fiabilité que de responsabilité.

On estime que les matériaux pour la fabrication de produits pour la rénovation, la réparation et la maintenance représentent 50 % des GES.

Comment les architectes et la maitrise d’ouvrage peuvent contribuer à baisser l’empreinte carbone des ascenseurs (design, matériaux…) ?

L’empreinte carbone de l’ascenseur dans un projet de bâtiment neuf est marginale, pour autant, la filière et les fabricants développent régulièrement de nouvelles solutions pour réduire l’empreinte des ascenseurs. Par exemple : diminution des masses en mouvement qui sont de plus en plus faibles, technologie permettant la mise en veille des installations, réinjection dans le bâtiment de l’énergie produite par l’ascenseur, optimisation du trafic via le système de prédestination. 

Au-delà de l’ascenseur lui-même, le design de l’immeuble doit faciliter la mise en place d’équipement sobre, et la densification raisonnée doit répondre à une exigence de moindre artificialisation des sols.

Comment associer innovations technologiques et lowtech, désormais incontournable ? Et dans quel but ?

Le lowtech est une réponse au juste besoin essentiel de déplacement vertical, sans suréquiper les appareils d’options qui ne répondent pas à cette utilité première. L’ensemble des industriels sait répondre à cette nouvelle attente. L’ascenseur est une technologie abordable pour tous – le prix d’une petite berline – et un équipement durable.

Lors des Trophées des Ascenseurs le 17 octobre 2023, vous avez souhaité récompenser des surélévations, une démarche RSE et de traçabilité. Quel message souhaitiez-vous faire passer ?

Nous sommes acteur et partie prenante du développement des villes sobres et résilientes. Aussi la Fédération des Ascenseurs a souhaité mettre en avant les démarches RSE des entreprises et de leurs clients à travers une catégorie dédiée dans le cadre des Trophées. Le projet de traçabilité et de ses perspectives (réemploi facilitant la pérennité des équipements) a ainsi été retenu par le jury. Ce dernier a aussi, au-delà de la catégorie dédiée, souhaité reconnaître une démarche patrimoniale forte d’un bailleur (création de nouveaux logements sans empreinte foncière avec la mise en accessibilité de l’immeuble) come exemple vertueux de la transformation des villes face à des contraintes d'ordre écologique et environnementale fortes.

Partager :