Intensifier les usages des bâtiments : d’une pratique marginale à une démarche de bon sens ?

1512 Dernière modification le 28/08/2023 - 00:00
Intensifier les usages des bâtiments : d’une pratique marginale à une démarche de bon sens ?


Bâtiments vacants, friches, équipements sous-occupés…comment faire pour mobiliser ces mètres carrés en dormance ? L’intensification des usages apparaît comme une des solutions mais concrètement, de quoi s’agit-il ? Quels en sont les avantages et les difficultés ?

Le Cerema a mené un travail exploratoire afin d’éclaircir cette notion et de l’illustrer par des retours d’expériences.

L’intensification des usages est l’un des fondements de l’urbanisme circulaire. Développé par l’urbaniste Sylvain Grisot dans son Manifeste de l’urbanisme circulaire, ce modèle transpose les principes de l’économie circulaire à la manière de "faire la ville", en réponse à l’artificialisation des sols.

L'intensification des usages, une notion large 

Il identifie alors quatre boucles pour encourager une circularité au sein de la fabrique urbaine : recycler, densifier, transformer, intensifier.

Ces notions concernent deux échelles : 

  • L’échelle urbaine avec la densification des espaces et le recyclage des sols
  • L’échelle du bâtiment, avec la transformation de l’existant et l’intensification des usages mobilisées afin de "répondre à de nouveaux besoins sans construire" 

La transformation de l’existant consiste à trouver un nouvel usage à un bâtiment devenu inadapté. Le changement d’usage peut être pérenne ou provisoire. L’occupation temporaire permet d’investir un bâtiment le temps qu’un projet soit défini ou finalisé. Sa dégradation est ainsi limitée et différents usages peuvent alors être expérimentés, de façon immédiate et peu coûteuse.

Cette pratique peut également concerner les bâtiments à forte valeur patrimoniale, vernaculaires ou sacrés. Les difficultés de ce type de projet ne sont pas à négliger : autorisation d’urbanisme, sécurité incendie, conformité réglementaire, exigences environnementales...

Des dispositifs juridiques expérimentaux se sont succédé pour lever ces verrous : les permis d’innover et d’expérimenter par exemple, permettent aux acteurs de la construction de déroger aux règles en vigueur s’il existe des alternatives donnant des résultats similaires.

La démarche expérimentale d’urbanisme La Preuve par 7  promeut la "programmation ouverte", construite progressivement avec les usagers, afin de rendre une valeur par l’usage aux espaces aujourd’hui délaissés. Il s’agit de ne pas figer les usages en phase de programmation, mais "de les éprouver à "échelle 1"  afin de tester et d'expérimenter des activités et des disciplines impensées".

Un cadre d’intervention est établi entre les différents acteurs (architectes, collectivité, Etat) dans un objectif de préservation du site, "pour remettre progressivement le patrimoine en usage par de menus travaux en parallèle de travaux de gros œuvre, dans l’anticipation de ce qui serait, dans tous les cas, nécessaire quelle qu’en soit la programmation future". L’intelligence collective et la coopération permettent ainsi de dépasser les obstacles et de promouvoir l’innovation pour utiliser du bâti existant. 

L’intensification des usages peut se traduire par une densification de l’occupation dans l’espace (plus d’usage au mètre carré en même temps) ou dans le temps (usage supplémentaire dans les périodes habituellement non utilisées). 

La première solution vise à augmenter la densité spatiale de locaux (salle de classe, bureaux…). Cela est rendu possible grâce à du mobilier moins encombrant ou par la " chasse" aux mètres carrés inutiles (dans les circulations par exemple) en phase de programmation et de conception. 

La seconde option a été jusqu’alors moins exploitée mais est de plus en plus étudiée, et c’est celle qui retient le plus notre attention. Elle renvoie au concept de chronotopie, une notion formée de deux mots grecs : chronos (le temps) et topos (le lieu). Elle consiste à travailler sur la temporalité d’un lieu pour y faire cohabiter différents usages et/ou occupants de façon alternative. 

En s’appuyant notamment sur les définitions de Ville et Aménagement Durable et de Bouygues Construction, le Cerema distingue deux sous-genres à l’intensification d’usage : 

  • La mutualisation consiste à partager un espace pour des usages identiques à des heures différentes. Par exemple, un gymnase partagé entre une école et des associations sportives, ou encore une cantine mutualisée entre une école et un EHPAD.
  • L’hybridation signifie le partage d’un espace pour des usages différents, rendu possible par "une liberté de l’espace" et une "indétermination des usages". On peut citer par exemple une cantine dans une école pensée pour servir également de salle de réunion pour des associations le soir. Cette notion d’hybridation concerne également des usages différents et simultanés dans le cas des tiers-lieux. Présents en ville comme dans les espaces ruraux et périphériques, ils "mutualisent les espaces et hybrident les activités pour favoriser la coopération". Les tiers-lieux s’élevaient au nombre de 3 500 en 2022 (France Tiers Lieux), dont la majorité était des coworkings. L’hybridation est permise par la polyvalence du lieu. 

L’intensification des usages pour répondre aux enjeux actuels 

Les collectivités sont aujourd’hui confrontées aux enjeux de sobriété foncière (ZAN) et énergétique, alors que dans le même temps, on observe une occupation des bâtiments qui pourrait être largement optimisée. Dans les écoles, le temps d’occupation sur une année s’élèverait par exemple à seulement 20 %. 

La transformation des méthodes et des espaces de travail dans le tertiaire (télétravail, flex office...) vient conforter cet état de fait. Ces enjeux nécessitent de trouver des alternatives à nos modes de vie et pratiques actuels dans les bâtiments. 

L’intensification des usages apparaît alors comme une solution porteuse. En diminuant les besoins de construire des mètres carrés supplémentaires, des économies substantielles pourraient être réalisées : sur les coûts de construction, sur le besoin en ressources (matériaux, énergie...), sur les dépenses de fonctionnement, notamment en termes d’énergie, mais aussi en termes d’émissions de GES. En outre, c’est éviter une artificialisation supplémentaire des sols naturels ou agricoles, aujourd’hui devenus précieux. 

Du point de vue social, comme le dit Sylvain Grisot, intensifier les usages serait une manière d’encourager le partage, la création de liens et de nouvelles formes de solidarités qui implique "un changement de paradigme de l’ensemble des acteurs" (...) 

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