IA et efficacité énergétique des bâtiments : détection d'anomalies et optimisation des performances grâce aux données

Rédigé par

Tessa Hubert

Ingénieure de recherche

1233 Dernière modification le 15/03/2024 - 09:45
IA et efficacité énergétique des bâtiments : détection d'anomalies et optimisation des performances grâce aux données

Si le numérique s'est imposé dans le quotidien de chacun, le secteur du bâtiment entame sa mue, impulsé par différentes réglementations (décret tertiaire, décret BACs...) et par la hausse des prix de l'énergie.

Dans ce contexte, l'exploitation des données du bâtiment et de ces équipements par des méthodes d'intelligence artificielle peut permettre de relever les défis, garantir les performances énergétiques, ou détecter des défauts et des dérives de fonctionnement.

Alors que les professionnels du secteur cherchent des moyens d'optimiser l'efficacité énergétique, de garantir les consommations d’énergie, ou d'améliorer les performances des bâtiments, l'intégration du traitement des données et de l'IA émerge comme une solution prometteuse.

GTC, IA et M&V

Ces dernières années, les bâtiments ont été massivement équipés de GTC (Gestion Technique Centralisée), capables d’enregistrer et de stocker des données provenant de capteurs installés dans les bâtiments. La capacité de traitement des algorithmes alliée à la connaissance des systèmes CVC peut aider à construire des programmes, permettant :

  • De surveiller et de garantir le confort des occupants tout en maîtrisant les dépenses d’énergie
  • De détecter des dérives de fonctionnement des équipements CVC et d’identifier les signes avant-coureurs de défaillances et d'anomalies liées au bâtiment (étanchéité, ponts thermique, utilisation…) ou système. La détection d’anomalies systèmes permet notamment d'anticiper les pannes potentielles, de planifier la maintenance de manière préventive, réduisant ainsi les temps d'arrêt imprévus et minimisant les perturbations et les coûts associés.

Il est également possible d’utiliser de l’intelligence artificielle dans les procédures de M&V (Mesures et Vérification) des performances énergétiques. Dans ces conditions, des modèles d’IA, ou basés en partie sur des équations physiques, sont entrainés sur des périodes de référence et servent d’étalon pour comparer les consommations d’une période observée. Il est ainsi possible de détecter les déviations par rapport aux performances attendues et d'identifier les opportunités d'optimisation énergétique pour une mise en place d’actions correctives efficaces.

L’IA freinée dans le secteur du bâtiment ? 

Aujourd’hui, trois principaux obstacles se dressent devant une adoption plus massive de l’IA dans le secteur de l’exploitation des bâtiments. Le premier concerne la complexité et la diversité des données. La qualité et la disponibilité des données sur des périodes suffisamment longues représentent un défi majeur. Les données nécessaires pour former et valider les modèles d'IA doivent être précises, complètes et représentatives de la variabilité des conditions réelles des bâtiments. Or les défauts de capteurs, les erreurs d’acquisition, de stockage ou l’absence même de mesures peuvent compromettre la performance des modèles d'IA. 

Le second concerne la complexité et la diversité des systèmes et des architectures de bâtiment ainsi que les interactions entre composants qui rend difficile la modélisation précise de leurs performances. Il n’existe pas de modèle “agnostique” qui permettrait de répondre à l’ensemble des préoccupations avec un entrainement adéquat. S’il est possible de ré-utiliser des structures d’algorithme d’un projet/bâtiment à  un autre, la définition d’un modèle pour un bâtiment et des systèmes précis doit être réalisé au cas par cas par un ingénieur possédant une double expertise bâtiment/CVC et Machine Learning. Car c’est l’observation et la compréhension du fonctionnement systèmes associé à l’études des informations disponibles pour le caractériser qui permettra de construire des modèles appropriés.

Le dernier défi concerne la sélection des modèles et leurs interprétabilités. Les ingénieurs en charge de la conception des IA doivent faire un choix pour décrire le comportement des bâtiments, dans la vaste gamme de modèles. Celle-ci s’étend de la description physique détaillée du problème, jusqu’à l’usage de modèles purement mathématique telles que les réseaux de neurones, et chaque approche possède des forces et des faiblesses.

La première approche basée sur la physique permet d’interpréter plus facilement les résultats ou les erreurs obtenues. En contrepartie, elle demande un fort investissement de temps lors de sa mise en œuvre. L’ingénieur en charge sera amené à modéliser et à calibrer, avec un niveau de détail adapté le bâtiment et ses systèmes. Selon le niveau de complexité du modèle, il est possible qu'une partie des phénomènes physiques ne soit pas expliquée, ce qui peut mener à d’importantes erreurs de prédiction. 

La seconde approche se base sur une méthodologie d’apprentissage automatique (Machine Learning) classique. Une ou plusieurs valeurs surveillées (ex. consommation d’énergie, température, etc.) est calculée par un algorithme d’intelligence artificiel en fonction de données mesurées (réseau de neurones, forets aléatoire, arbres de régression, etc.). Ce type d’approche peut être mis en place plus rapidement et fournir des modèles précis offrant de très bonnes performances. Toutefois, ils peuvent être considérés comme des boîtes noires, ce qui signifie qu'il est difficile de comprendre comment ils parviennent à leurs prédictions. Cette opacité peut limiter la confiance des utilisateurs dans les résultats du modèle et rendre difficile l'identification des actions à prendre pour améliorer les performances énergétiques des bâtiments.

Faciliter l’usage de l’IA

Des efforts sont néanmoins en cours pour développer des solutions et des outils visant à surmonter les défis inhérents à l’intégration de l’IA dans le secteur du bâtiment. Le Building Information Modeling (BIM), notamment, joue un rôle crucial ; il fournit une plateforme collaborative pour la création et la gestion d'informations numériques sur les caractéristiques physiques et fonctionnelles des bâtiments. Cette approche permet d'intégrer les données sur les performances énergétiques et environnementales dans les processus de conception, de construction et de gestion des bâtiments, facilitant ainsi l'utilisation de l'IA pour optimiser l'efficacité énergétique et le confort des occupants.
En complément, des outils tels que les BOS (Building Operating System) s’ajoutent en support en simplifiant la mise en production des algorithmes. Ces systèmes permettent non seulement de connecter les algorithmes aux systèmes d'acquisition des données, mais également de les intégrer aux logiciels de GMAO (Gestion et Maintenance Assistée par Ordinateur), renforçant ainsi l'efficacité opérationnelle des bâtiments.

Parallèlement, l'industrie s'engage dans des initiatives telles que l'élaboration de lignes directrices et outils programmatiques, visant à promouvoir une utilisation efficace de l'IA dans le domaine du bâtiment. 
Dans ce contexte, NOBATEK/INEF4 propose CorrAI. Cette librairie python, conçue spécifiquement pour le traitement des données provenant de bancs d'essai ou de systèmes de gestion de l'énergie des bâtiments (BEMS) GTC, vise entre autres à simplifier des tâches telles que le nettoyage de données temporelles, la détection d'anomalies HVAC ou de lacunes dans les données.

En se basant essentiellement sur des librairies bien connues (scikit learn, TensorFlow, Pymc), elle propose un cadre simplifié pour la construction de pipelines et l’entrainement de modèles adapté aux problématiques du bâtiment. Elle dispose également de fonctionnalités telles que la calibration de modèles physiques, ou l’identification de paramètres. Les procédures d’apprentissage reposent sur l’usage d’algorithmes génétiques, inspirées de l'évolution naturelle. Elles permettent de trouver des solutions efficaces en croisant les solutions sélectionnées pour créer de nouvelles solutions (comme le croisement génétique dans la biologie…).

Un engagement en faveur de l'open source

Si les approches proposées permettent une meilleure précision et fiabilité dans la modélisation et la gestion des bâtiments, offrant ainsi aux professionnels du secteur des outils efficaces pour optimiser l'efficacité énergétique, il est essentiel de garder à l'esprit que l'expertise humaine reste primordiale. Malgré les avancées de l'IA, une compréhension approfondie du domaine du bâtiment et de la physique est nécessaire pour interpréter correctement les résultats des modèles et prendre des décisions éclairées.
De plus, la qualité des données utilisées reste cruciale pour garantir la fiabilité des analyses et des prédictions. Ainsi, bien que notre librairie soit une ressource précieuse, il est important de l'utiliser avec discernement et de combiner son utilisation avec l'expertise humaine et une diligence appropriée dans la sélection et la validation des données.
En rendant son code accessible à tous, l'équipe de développement encourage la collaboration et l'innovation collective et ouvre la voie à une adoption plus large de l'IA dans le secteur, tout en garantissant la transparence et la reproductibilité des résultats.

Article co-rédigé par Baptiste Durand-Estèbe et Tessa Hubert et soumis par NOBATEK/INEF4.

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