Décarboner grâce au numérique : jusqu’où peut-on aller ?

Rédigé par

Amandine Martinet - Construction21

Journaliste

6298 Dernière modification le 25/01/2024 - 12:00
Décarboner grâce au numérique : jusqu’où peut-on aller ?

Retour sur la Grande journée de l’innovation, organisée par le CCCA-BTP et son incubateur le WinLab’ le 22 janvier 2024 à Paris. Un événement durant lequel il a notamment été question du rôle des nouvelles technologies telles que l’intelligence artificielle dans la nécessaire décarbonation des bâtiments en France. Avis croisés, retours d’expériences, extraits de conférences : on fait le point. 

L’avènement du numérique a posé – et pose toujours – bien des questions dans tous les secteurs d’activités que nous connaissons aujourd’hui. Le BTP ne déroge pas à la règle : GTB, BIM, pilotage à distance, domotique… On ne compte plus les innovations liées aux nouvelles technologies. Pour le meilleur ou pour le pire ? C’est la question à laquelle ont tenté de répondre les différents intervenants de l’annuelle Grande journée de l’innovation du CCCA-BTP. 

Franck Le Nuellec, Directeur du Marketing, du Développement et de l’Innovation Stratégique du WinLab’, l’a affirmé en guise d’introduction : la ville de demain ne sera pas que technologique, elle sera aussi sociale, décarbonée et au service des futures générations. L’objectif serait-il justement de lier toutes ces notions ? Autrement dit, s’inspirer du numérique et s’appuyer sur les nouveaux outils disponibles tels que l’intelligence artificielle, tout en gardant la part d’humanité qui nous caractérise ? 

Une chance à saisir…

Plusieurs intervenants ont souligné en ce lundi 22 janvier tous les atouts que peuvent comporter les nouvelles technologies pour opérer la transition écologique et énergétique du secteur du bâtiment. 

L’IA, c’est notamment l’automatisation des process qui peut soulager les salariés en leur enlevant certaines tâches difficiles ou contraignantes – administratives, par exemple, comme l’indique Karine Leveque Lhote, présidente de la commission IA à la FFB. De son avis, nombre de professionnels voient même l’arrivée des nouvelles technologies comme un quasi-miracle ! Sur le volet de la montée en compétences des acteurs, Franck Le Nuellec souligne pour sa part l’intérêt de formations sur mesure créées grâce aux outils numériques. 

L’intelligence artificielle représente aussi, de l’avis de Marc Decombas (référent IA France 2030), une opportunité de rationalisation des flux et d’optimisation énergétique. En effet, l’intelligence artificielle est une technologie qui peut permettre davantage de modulation et une meilleure adaptation des consommations d’énergie – aux usages notamment. 

S’adapter, oui, mais aussi anticiper ! Le pouvoir prédictif de l’IA est entre autres démontré par le projet BIM-BIS mis en place par l’école d’ingénieurs CESI. Ce modèle d’intelligence artificielle modélise des nuages de points par photogrammétrie sur l’extérieur d’un bâti par l’extérieur, et prévoit ainsi la capacité de production photovoltaïque dudit bâtiment. Avoir ce type d’informations en avance peut notamment permettre aux architectes de mieux se projeter en phase conception d’une réalisation. 

… mais des dangers à éviter

Miser sur les nouvelles technologies et les utiliser à bon escient, oui, mais attention à ne pas oublier certains écueils qu’elles comportent ! Albane Gaspard, animatrice de la prospective bâtiment et immobilier à l’ADEME, a rappelé lors de la Grande journée de l’innovation la grande quantité d’énergie consommée par les data centers. Elle affirme d’ailleurs que les scénarios les plus technocentrés établis par l’ADEME sont très énergivores, jusqu’à annuler les gains de la transition énergétique. Il est donc nécessaire de stabiliser le volume de données stockées dans les data centers et, plus largement, limiter les usages des nouvelles technologies pour garder ceux qui sont réellement utiles. En d’autres termes, « se positionner pour utiliser au mieux l’extraordinaire potentiel du numérique. » 

D’autres freins à l’avènement du numérique existent : on peut citer, entre autres, la peur de l’inconnu et le besoin de réassurance face à de nouveaux outils jusqu’alors inexplorés, ou encore un certain abaissement du niveau de connaissances face à l’émergence d’IA telles que Chat GPT [souligné par Youssef Jouane, enseignant-chercheur, sur les élèves du CESI]. 

Se positionner pour utiliser au mieux l’extraordinaire potentiel du numérique.

Enfin, comme évoqué en introduction, l’une des clés consisterait à remettre l’humain au cœur du système. Nombre d’intervenants se sont ainsi accordés à dire qu’il était essentiel de ne pas oublier les individus derrière cette révolution numérique galopante. Marjolaine Meynier-Millefert, présidente de l’association HQE-GBC, est sans appel sur le sujet. En rénovation énergétique notamment, elle indique qu’il ne faut pas tout miser sur la technologie et sur les équipements, mais plutôt mettre l’accent et investir dans la formation et la montée en compétence des professionnels. Vincent Legrand, gérant de l’institut négaWatt, est aussi de cet avis : pour lui, tout l’enjeu de la massification d’une rénovation globale et performante du parc immobilier en France repose non pas sur la technologie, qui est secondaire, mais plutôt sur sa coordination des corps de métiers dans le BTP. Jocelyn Gac, Directeur du Collège des Métiers des Compagnons du Devoir, abonde lui aussi en ce sens en précisant qu’une réhabilitation ne demande pas forcément plus de savoirs techniques que d’autres opérations, mais principalement du dialogue, de la communication et un apprentissage du faire ensemble. Autant de compétences qui sont éminemment humaines ! 

Un modèle intermédiaire à trouver 

Entre numérique tout-puissant et humanisme prépondérant se cache certainement une solution sous forme de juste-milieu. Cette dernière pourrait être représentée par Éric Cassar – architecte et ingénieur qui a clôturé le cycle de conférences de la Grande journée de l’innovation – sous le concept de « Smart city sensible »

Cette « ville intelligente et sensible » est vue comme une addition de tous les âges de la smart city (de l’hyper-rationalisation de l’avènement des nouvelles technologies à l’hyper-poétisation), un « territoire augmenté par le numérique », qui s’en nourrit tout en s’inspirant des êtres vivants – et en œuvrant pour eux. Dans ce modèle, le bâtiment devient actif, il produit des ressources et agit par et pour des utilisations intensifiées. En somme, il s’agit ici de ne plus voir les édifices comme des entités de surfaces à usages fixes, mais comme des supports capables d’endosser de multiples fonctions – selon la temporalité ou les personnes, par exemple. 

En d’autres termes, dans la « Smart city sensible », on se repose sur les innovations technologiques tout en injectant de la poésie et de l’humain à l’ensemble. Architecture, humanisme et numérique s’additionnent et cohabitent harmonieusement pour créer des espaces efficaces et augmentés.  

Cette vision théorique des plus intéressante vient conforter cette idée de faire cohabiter l’innovation technologique à l’inéluctable présence de l’humain. 
 

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