Croiser les données géographiques pour mieux identifier les risques

Rédigé par

Alice BLONDEL

Chargée d'étude

555 Dernière modification le 11/03/2024 - 11:02

Le rapport méthodologique cherche à répondre au manque de documentation technique dédiée à la réalisation de diagnostic pour l’adaptation au RGA des biens existants non sinistrés, comme il en existe depuis plus de dix ans pour la prévention du risque inondation. 


Évaluer les risques climatiques d’un bâtiment, d’un quartier ou d’un territoire, se réduit encore souvent à une analyse contextuelle binaire : est-il oui ou non en zone inondable, soumis au retrait-gonflement des argiles ou encore en zone basse submersible sur le littoral ? La réalité du risque est toutefois bien plus complexe. Elle met d’une part en jeu de multiples facteurs liés à l’exposition du site aux aléas – qui peut évoluer avec le changement climatique ; et à sa sensibilité physique et fonctionnelle d’autre part. Ce constat nous amène aujourd’hui à développer de nouvelles approches méthodologiques multifactorielles, fondées sur le croisement de données géographiques contextualisées. Ceci pour appréhender correctement les risques climatiques auxquels sont et seront soumis nos actifs et ainsi proposer des solutions idoines de gestion des risques en évitant de sous-réagir, ou au contraire de surréagir.

L’exemple des risques associés au phénomène de retrait-gonflement des argiles (RGA) est révélateur : il est coutume de penser qu’un bâtiment situé en zone d’aléa fort du fait de la nature du terrain sur lequel il est construit (présence d’argiles gonflantes type smectites) rencontrera au cours de sa vie un problème de stabilité du sol pouvant lui faire perdre ses qualités d’usages (apparitions de fissures, détérioration des réseaux et revêtements voire dans les cas les plus extrêmes, arrêtés de péril et effondrement). Or, le risque peut s’avérer différent pour deux actifs d’apparence similaire, et ceci pour diverses raisons que nous cherchons à identifier et comprendre dans le cadre de travaux de recherche menés chez ARTELIA. Ces différences peuvent être : 

  • Liées à l’acte de construire : date de construction et normes applicables – les exigences et intrants climatiques évoluant au fur et à mesure des années ; sensibilités liées aux spécificités architecturales locales (sous-sol, vide sanitaire, etc.) ;
  • Dues à l’environnement du site : climat (plus ou moins sec/humide, irradiation, température) et caractéristiques des abords du site (densité du couvert végétal, proximité des arbres, ombrage, imperméabilisation des sols, etc.) ;
  • D’ordre hydrogéologique : profondeur de la couche d’argile gonflante et caractéristiques spécifiques au droit de chaque site, profondeur, nature et position nappe phréatique ;
  • Liées à l’usage du site : présence de sources de chaleur dans le sous-sol (chaudière), etc.

Ces multiples différences entre deux sites d’apparence égaux face à un même critère d’évaluation du risque (zonage de l’aléa RGA selon la nature plus ou moins argileuse des sols) démontrent qu’une réflexion monocritère ne peut suffire à une évaluation pertinente des risques climatiques. En témoigne sur la figure 1 la comparaison de la carte de zonage de l’aléa RGA¹ avec celle du nombre d’arrêtés de catastrophes naturelles par commune liés au RGA . 


Dans le premier cas, le facteur d’analyse du risque est fondé sur un critère géologique avec la présence plus ou moins importante d’argiles dans le sol. Dans le second, il est fondé sur un critère de sinistralité, la reconnaissance « CatNat » (catastrophe naturelle) intervenant lorsque des dommages sont constatés. Nous pouvons remarquer que malgré un upgrade très récent de la cartographie RGA (2019) la sinistralité n’est toujours pas totalement corrélée au potentiel de risque géologique dans le sens ou d’autres facteurs de « prédispositions » (hydrogéologiques, géomorphologique, contexte végétal) et de « déclenchement » (anthropiques et climatiques) - identifiés par ailleurs par le BRGM – se doivent d’être pris en compte dans l’équation. En effet certaines régions identifiées « en zone d’aléa fort » RGA n’ont jamais fait l’objet d’arrêté CatNat sécheresses et des communes de taille, implantation, contexte géologique (« zone rouge ») similaires et géographiquement proches présentent des disparités d’arrêté CatNat jugées importantes (0 à 4 occurrences - cf. figure 2). 

Cet exemple pratique révèle la nécessité de développer des approches multicritères pour évaluer les risques climatiques, intégrant les différents facteurs d’exposition et de sensibilité d’un actif et tenant compte de leur importance et de leur influence relative. Ce n’est que de cette manière que nous pourrons adapter nos processus d’aménagement du territoire et de construction, prévenir l’apparition de ces risques, communiquer auprès des particuliers et autres parties prenantes et in fine concevoir des dispositifs idoines de gestion des risques. Ce constat nous a mené à affiner et enrichir les approches géographiques d’évaluation des risques, en mobilisant et croisant des données géographiques et géolocalisées – issues de diverses sources (Artelia, institutions publiques, portail DRIAS, programmes européens tels que Copernicus, etc.) et de divers modes de production de données (satellite et mesure in situ) – via nos outils SIG (Systèmes d’Information Géographique). 

Au-delà des données, cette méthode d’analyse géographique permet d’intégrer les différentes compétences nécessaires à leur interprétation, pour évaluer concomitamment : l’exposition aux aléas, fonction pour l’essentiel de la localisation du site et du contexte géologique et climatique associé ; le degré de sensibilité aux différents aléas, évaluation indispensable pour adapter au plus juste les solutions de gestion de ces risques (réduire, éviter, etc.). Cette sensibilité est corrélée :

  • À la fonction propre du site : usage, biens mobiliers, immobiliers, valeur paysagère, etc. À titre d’exemple, un site hospitalier requiert un niveau d’accessibilité routier ainsi qu’un approvisionnement électrique optimal en toute circonstance ;
  • Au mode constructif (fondations profondes ou superficielles par exemple), en partie déterminé par le contexte normatif au moment de la construction ;
  • À l’environnement du site, d’un point de vue physique (végétation, ombrage, etc.) et fonctionnel (dépendance aux réseaux techniques notamment).

Une approche illustrative de croisement de jeux de données cartographiques des réseaux souterrains avec les risques liés au RGA pour un site « aléatoire » est présentée sur la figure 3. Celle-ci met en évidence que ce site théorique d’étude – au vue de l’aggravation de l’aléa RGA liée à l’intensification des sécheresses – devrait connaître des difficultés d’approvisionnement en électricité et en gaz si les réseaux n’ont pas été construits en tenant compte de ce risque et de son évolution. Nous pouvons également déduire de ce type d’analyse la potentielle redondance d’innervation des réseaux et donc la possibilité que celui-ci soit, a un moment donné de sa vie en œuvre découplé d’un ou plusieurs réseaux et ainsi définir des mesures constructives, organisationnelles ou managériales associées.

À une échelle plus large, cette approche multidimensionnelle d’évaluation des risques s’avère également très utile pour évaluer la vulnérabilité d’un ensemble d’actifs et prioriser des interventions à l’échelle d’un territoire, avec différents usages possibles en matière de gestion des risques :

  • Prise en compte des risques dans la stratégie de gestion patrimoniale d’un bailleur ;
  • Organisation de la gestion de crise, en déterminant par exemple les emplacements les plus adéquats pour positionner les infrastructures critiques (de secours, refuges, d’accueil de personnes sensibles, etc.) sur un territoire ;
  • Prise en compte des risques dans la gestion des réseaux : électricité, eau, gaz, transports, télécommunications, aussi bien sur le plan physique (limiter les dégâts) que sur le plan fonctionnel (maintenir le service).

Cette approche spatiale multidimensionnelle permet ainsi une évaluation plus large et dynamique des risques, ouvrant la voie à des perspectives novatrices dans la compréhension et la gestion des phénomènes liés aux catastrophes naturelles. Celle-ci peut être complétée sur le plan prospectif par la prise en compte des scénarios régionalisés du GIEC afin d’intégrer les effets du changement climatique et définir aux échelles territoriales comme parcellaires les actifs à risque particulier. 

Nous avons développé à cette fin un outil dédié, Climap, permettant de mobiliser facilement ces données de prospective climatique en France métropolitaine : 

  • Les paramètres climatiques sont ceux disponibles sur le portail DRIAS. Ils sont représentatifs d’un aléa climatique tendanciel (températures moyennes, précipitations moyennes) ou d’un aléa climatique extrême (canicules, sécheresses, fortes pluies, etc.) à différents horizons temporels.  
  • Les données territoriales sont sélectionnées selon leur pertinence dans le cadre de l’étude. Il peut s’agir de données relatives à des enjeux bâtimentaires, des réseaux techniques, des projets d’aménagement, des zones naturelles…

L’étude de l’ensemble de ces paramètres permet une évaluation assez exhaustive de l’exposition actuelle et future du territoire aux aléas climatique comme illustré sur la figure 4.
Une approche préalable par SIG s’avère donc structurante pour les politiques de planification à venir, que ce soit sur les règles d’aménagement, la position des infrastructures critiques, la définition des redondances réseaux nécessaires, mais aussi les mesures architecturales et techniques à intégrer aux bâtiments et in fine sur l’adaptation des normes constructives.

Un article signé par Alice Blondel, Marie Bocquentin, Christophe Boré et Jean Lecroart - Artelia

Cet article fait partie de notre dossier Adaptation & Résilience des bâtiments que vous pouvez retrouver ici.

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