Chaleur en ville : un sursaut nécessaire

2657 Dernière modification le 23/06/2023 - 19:22
Chaleur en ville : un sursaut nécessaire


Vieux comme le monde, le phénomène des îlots de chaleur urbains grandit sensiblement au rythme de l'urbanisation croissante de nos sociétés et du dérèglement climatique. Comment rendre nos villes plus supportables, voire vivables ? Nombre de solutions et d'outils peuvent être mis en œuvre, si toutefois une forte prise de conscience se réalise. 

Le confort estival dans les espaces publics est une question à laquelle l’être humain s’est confronté dès sa sédentarisation. Les évolutions millénaires ont abouti à la création de formes urbaines vernaculaires aussi nombreuses que les climats rencontrés à la surface du globe. Ainsi, à travers les époques, des approches urbaines que l'on pourrait aujourd’hui qualifier de "bioclimatiques" se sont développées, dans des régions du monde plus directement confrontées aux enjeux de chaleurs.

On peut ici penser à l’exemple classique des médinas du Maghreb (comme celle de Tunis ou encore la Casbah d’Alger), ou encore aux formes urbaines ombragées de la vieille ville de Yazd en Iran (qui a su, depuis des millénaires de climat hostile, développer son réseau de Qanats, ses citernes d’eau et ses jardins) ou plus généralement l'agencement multi-séculaire de nombreuses villes du pourtour méditerrannéen (maisons en pierre, peinture blanche, patios, toitures terrasses, etc.).

D’abord limité aux latitudes où le climat est le plus chaud, il a été appréhendé à partir du XIXe siècle en tant que phénomène scientifique, grâce notamment aux premières mesures climatiques enregistrées en observatoires. C’est aussi à cette période que les villes ont subi de grandes transformations héritées des révolutions industrielles successives (arrivée du chemin de fer, fumées d’usines, revêtements minéraux systématisés, montée en puissance de la voiture...).

L’îlot de chaleur urbaine (ICU) se caractérise en premier lieu par une température nocturne en ville plus élevée qu’à la campagne, de l’ordre de 4 à 8°C en fonction des situations (météo du jour, albédo, formes urbaines, activités humaines). Plus intense durant l’été, le phénomène se rencontre également durant la saison hivernale, dans des proportions moindres.

Depuis l'arrivée du mouvement moderniste dans les années 30, puis son développement planétaire durant la période de la reconstruction qui a suivi la seconde guerre mondiale, couplé aux exigences de relogement rapide et massif (et l’industrialisation de l’habitat qui s’en est suivie), on a assisté à une standardisation des formes urbaines (grands ensembles, quartiers pavillonnaires, puis zones d’activités créées pour répondre aux besoins de ces nouveaux quartiers).

L’aménagement des espaces publics, trop souvent pensé pour la voiture individuelle (et trop rarement adapté aux mobilités douces), s’est donc fait à grand renfort de béton et d’enrobé, matériaux imperméables, à forte inertie et à albédo faible. Cette artificialisation des sols a eu pour conséquences une réduction de la strate végétale, conjuguée à une infiltration réduite des eaux de pluie, limitant la capacité d’évapotranspiration d’espaces autrefois perméables et donc moins propices au phénomène d’îlot de chaleur.

Plus récemment, depuis les années 90, une autre manière de concevoir la ville monte en puissance. C’est le modèle EcoQuartier, d’abord au niveau européen à partir des années 90 puis à la fin des années 2000 en France. Extrêmement limité (500 écoquartiers références comme tels début 2022 soit une production marginale de la production urbaine globale), cette manière de concevoir la ville tend cependant à ne produire que des formes limitées de nouveaux modèles urbains (ruche, jardin, village) (*), bien que permettant d'offrir une ingénierie de projet que toutes les collectivités ne peuvent pas nécessairement se payer.

Une première prise en compte du sujet par les professionnels

De nombreux travaux de recherche ont essayé de caractériser et cartographier ces phénomènes. En Île-de-France, on peut ainsi penser aux travaux menés par l’Institut Paris Région depuis 2010, et actualisés en 2022 au travers des études “Vulnérabilités de l'Île-de-France aux effets du changement climatique” et “Chaleur sur la ville”, ou bien les cahiers de l’APUR publiés entre 20212 et 2020 (5 cahiers). Parallèlement, la question du confort thermique d’été s’est trouvée cantonnée dans le registre des sujets techniques, à traiter par le biais de systèmes et d’études complexes pas toujours utilisés comme aide à la conception.

De fait, la problématique des ICU, largement sous estimée sous nos latitudes dites "tempérées", a longtemps peiné à être prise en compte par les documents d’urbanismes. Aujourd’hui des documents de planification régionaux visent à mieux prendre en compte cet enjeu, tels que les futurs PRACC (Plan Régional d’Adaptation au Changement Climatique) ou SDRIFe (Schéma Directeur environnemental de la Région IDF). À l’échelle des villes ou des intercommunalités les SCoT (Schéma de Cohérence Territorial) ou PCAET (Plan Climat Air Énergie Territorial) constituent également des leviers pour se saisir de la problématique globale de chaleur urbaine, mais au regard du caractère micro-localisé des ICU, il faut également s’appuyer sur des outils plus fins. On peut ici mentionner :

  • Les PLU et PLUi, qui permettent de définir des secteurs à ne pas artificialiser, dans le zonage; fixer un ensemble de règles de construction pour mieux prendre en compte les ICU, dans le règlement, et décliner ces orientations au travers des orientations d’aménagement et de programmation (OAP) thématiques (ex: OAP sur les ICU) ou sectorielles (ex: cibler un secteur à un enjeu) ;
  • Les chartes d’aménagement, qui permettent de fixer plus finement des règles et préconisations pour lutter contre la chaleur urbaine ;
  • Les cahiers des prescriptions (CPAUPE) des opérations d’aménagement (ZAC et traités de concession) pour lesquelles la collectivité est MOA, qui permettent également de définir des objectifs à atteindre en termes de prise en compte et réponse aux phénomènes d’ICU ;
  • Des plans thématiques plus ciblés type “Plan d’adaptation au changement climatique” (ex : Clermont Métropole).

Près de 15 ans après l'avènement des premiers écoquartiers français, certaines productions urbaines semblent toutefois se répéter : un urbanisme de construction “par passage de grue”, impliquant des avenues larges, des espaces publics mal dimensionnés et très minéraux, des immeubles hauts et un risque accru de multiplier les effets canyon. En parallèle, des premiers indicateurs se sont développés pour tenter d’appréhender le phénomène et limiter ses impacts. C’est ainsi que sont apparues les notions de pleine terre, hauteur maximale des constructions, Espaces Boisés Classés, etc.

Une remise en question forcée par le dérèglement climatique et l'augmentation des phénomènes exceptionnels

En France, à partir de 2003 et de la canicule du mois d’août, le sujet s’est mis à intéresser de plus en plus la société civile. Depuis 5 ans, les records de chaleur annuels se succèdent, les canicules et vagues de chaleur sont plus courantes et nombreuses, plus intenses également, et laissent entrevoir une forme de normalisation de scénarios climatiques autrefois jugés comme pessimistes ou relevant d’un horizon lointain.

Les pics de chaleur urbains ont des effets directs et indirects avérés sur la santé des populations. De façon générale, on constate une plus grande sensibilité et une surmortalité des personnes les plus vulnérables (personnes âgées, nourrissons, femmes enceintes, populations en errance), sujettes à certaines conditions médicales préexistantes (pathologies psychiatriques, cardiovasculaires ou neurologiques et troubles mentaux, etc.) et surexposées du fait de leurs conditions de vie et/ou de travail.

Ces impacts sont particulièrement marqués sur les affections du système cardiovasculaire et respiratoire. La chaleur urbaine a par exemple un effet sur les pics de pollution à l’ozone, qui résultent de la transformation, sous l’effet du rayonnement solaire, des polluants primaires comme les oxydes d’azote et les composés organiques volatils (COV). De façon plus indirecte, les pics de chaleurs et l'inconfort lié ont par exemple un impact sur la qualité du sommeil, avec des effets induits sur le bien-être, la santé mentale, les comportements violents, etc. (sources : MSP). Selon un rapport de l’Insee, les trois épisodes de canicule de l’été 2022 auraient ainsi provoqué le décès de 11 000 personnes supplémentaires (source : INSEE). À titre de comparaison, l’ANSES estime à 48 000 le nombre de décès imputables à la pollution de l’air.

Dès lors, les acteurs de l’urbanisme durable, à l’avant-garde la réglementation nationale ou locale ont tenté de proposer une alternative. Avant la double canicule de 2019, les réponses urbaines appréhendant correctement le phénomène restaient de l’ordre des préconisations de bureaux d’études et d’urbanistes environnementalistes. Ces derniers, au travers de la rédaction de cahiers de prescriptions, - produits dans certains cas suite au paramétrage de modélisations telles que les études d’irradiation, des héliodons, d’études aérauliques ou de recours à la télédétection (photographies aériennes ou satellitaires) -, ont permis d'expérimenter et d’apporter un début de solution. C’est ainsi que sont apparus de plus en plus d'outils de diagnostic de la surchauffe urbaine.

À noter toutefois que les paramètres de ces modélisations ne font cependant pas l’objet de consensus : les fichiers météo de référence (moyennes de température du passé ou projections climatiques plus ou moins dégradées) pris en compte varient considérablement selon leurs auteurs et l’inconfort aéraulique est parfois passé sous silence.

La réglementation locale elle aussi évolue et oblige parfois les décideurs et divers maîtres d’ouvrages à communiquer sur le coefficient de biotope surfacique, venu d’Allemagne, mais aussi divers indicateurs tels que le coefficient d’infiltration des eaux pluviales et la capacité de stockage en eau pluviale des ouvrages paysagers. Les collectivités, au travers de leur PCAET, imposent également de plus en plus la réalisation de thermographies aériennes d’été (suite aux thermographies aérienne - plus connues - d’hiver)

La région Île-de-France a lancé, depuis 2 ans, l’AAP 100 îlots de fraîcheur et la Banque des Territoires, au travers de son programme Action Cœur de Ville, finance à son tour des diagnostics permettant de localiser les zones urbaines présentant un risque accru d’Îlot de Chaleur.

Les écueils rencontrés : un discours pas nécessairement suivi d’effet

Malgré cette prise en compte progressive, certaines pratiques urbaines perpétuent voire accentuent le risque d’ICU. L’extension urbaine et la consommation foncière concourent encore et toujours à l’artificialisation des sols et ses effets prédateurs sur la biodiversité, le stockage carbone et la gestion des eaux de pluie. Dans certaines ZAC, la destruction d’espaces verts ou d’entités arborés et leur remplacement par des sujets ne rendant des services écosystémiques équivalents qu'à l'horizon de plusieurs dizaines d’années laisse parfois perplexe, y compris dans des opérations dites de renouvellement urbain. Des opérations d’architectes et d’urbanistes chevronnés laissent encore parfois complètement de côté la question de l’albédo, de l’évapotranspiration et du confort aéraulique piéton.

Pour pallier ces désagréments, de plus en plus de personnes ont recours à la climatisation à l’intérieur des logements, des commerces, des équipements, en vue d’atteindre une réduction instantanée de la température intérieure pendant les heures chaudes… Ce qui a pour effet de rejeter encore plus de chaleur à l’extérieur, de renforcer le phénomène d’îlot de chaleur urbain, d’augmenter les consommations énergétiques et de recourir à des fluides réfrigérants dont le potentiel de gaz à effet de serre dépasse souvent de très loin celui du CO2 et du méthane. Ce recours à des solutions mécaniques est bien souvent la seule solution pour les populations résidant dans des logements mal isolés, et conçus sans prise en compte des enjeux de confort thermique d’été, mais les opérations de rénovation ou réhabilitation sont l’occasion de requestionner ces enjeux et de remédier aux dysfonctionnements.

Parallèlement, il apparaît tout aussi incontournable pour les opérations d’aménagement et de construction neuve d’intégrer cette problématique dès la programmation des projets. Si ces dernières vont par nature, en artificialisant les sols, être la cause d’une accentuation des ICU, elles permettent également de mobiliser de nombreux leviers pour lutter contre ce phénomène, et potentiellement améliorer l’existant.

Les pistes de solutions

Pour répondre à cette problématique, plusieurs leviers sont ainsi à la disposition des aménageurs et urbanistes, que l’on peut classer selon plusieurs registres.

Un premier grand registre de solutions concerne l’aménagement des espaces publics et des espaces communs :

  • Le choix de matériaux avec un albédo élevé (ex: recours à des peintures claires), permet ainsi de réduire les températures de surface et donc de limiter l’intensité du rayonnement infrarouge durant la nuit. Pour autant, des matériaux avec un fort albédo peuvent causer un inconfort thermique en journée, en raison d’un réfléchissement des rayons solaires trop important ;
  • La conception des rues, des îlots et cœur d'îlots, permet de favoriser la circulation du vent, l’ombrage et ainsi limiter le phénomène d'îlot de chaleur ;
  • La mise en place de dispositifs mobiles ou temporaires en période de fortes chaleur (brumisateurs, jeux d’eau) permet aussi de répondre ponctuellement aux effets de la surchauffe urbaine ;
  • L’implantation des lieux de vie et espaces communs dans des zones peu exposées aux phénomène d’ICU, qui permet la création de zones refuges en cas d’épisodes climatiques intenses. Il sera alors important pour les municipalités de communiquer auprès des populations pour les informer de la présence de ces espaces, par exemple au travers de cartographies, prospectus, articles dans la presse locale, etc.

Un second registre englobe les solutions que l’on pourrait qualifier de “solutions fondées sur la nature” :

  • L'aménagement d’espaces verts, la végétalisation des bâtiments (toitures et façades végétalisées low tech), permet de mobiliser le potentiel isolant et la capacité d’évapotranspiration des végétaux ;
  • La déminéralisation ou désimperméabilisation des espaces publics et des espaces communs au profit de la pleine terre ;
  • La gestion et la mise en scène de l’eau (gestion des eaux de pluies en surface, création de noues) permet également de rafraîchir la température de l’air.

À titre d’exemple, ces différents registres de solutions sont déployés dans le cadre du dispositif “Cours Oasis” de la Ville de Paris.

Enfin, un troisième registre, qui relève plutôt d’une approche sensible, peut être mobilisé. Balades urbaines, diagnostics en marchant, ateliers de concertation citoyenne, sont ainsi des leviers qui permettent de sensibiliser et d’acculturer les populations aux enjeux de la chaleur en ville.

Un article rédigé par Alban Narbonne et Léon Coucke (Ekopolis)
 

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