Biosourcés et RE2020 : Quels résultats un an et demi après ?

Rédigé par

Victor Mercier

2283 Dernière modification le 26/01/2024 - 15:39
Biosourcés et RE2020 : Quels résultats un an et demi après ?

Dans le cadre des actions menées conjointement par ses membres, le Comité de liaison des matériaux biosourcés d’Île-de-France a pu dresser un premier bilan des résultats obtenus sur des projets de constructions neuves appliquant la nouvelle réglementation RE2020, et recourant tout particulièrement à des matériaux biosourcés.

Prévue par la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite « loi Elan », la RE2020, entrée en vigueur en janvier 2022 pour le résidentiel et en juillet 2022 pour certains tertiaires, vise à améliorer la performance énergétique des constructions, tout en réduisant l’impact carbone de celles-ci. Un objectif qui passe notamment par la prise en considération du cycle de vie du bâtiment, de la phase de construction à sa fin de vie. Par ailleurs, le texte met également l’accent sur la transformation progressive des techniques de construction, des filières industrielles, et des solutions énergétiques, permettant l’essor des matériaux dits « biosourcés ».

Désormais, alors que les premiers projets respectant la RE2020 commencent à être progressivement livrés, l’heure d’un premier bilan est venue. À ce titre, la soirée organisée le mardi 12 décembre 2023 par le Comité de liaison des matériaux biosourcés d’Île-de-France aux Récollets visait à mettre en évidence quatre opérations réalisées avec des matériaux biosourcés sur le territoire francilien : une opération utilisant du béton de chanvre, une double opération utilisant de la paille en botte et paille hachée, et deux utilisant du bois. Des temps d’échanges entre professionnels ont par la suite permis d’approfondir les constats établis, et de dégager plusieurs éléments clés :

La mixité constructive s’impose aux projets utilisant des matériaux biosourcés.

L’intégralité des projets présentés reposait sur l’utilisation de matériaux biosourcés alliés à des matériaux de construction plus « classiques ». Une mixité constructive permettant notamment la réalisation des fondations en béton (socle, noyau, dalles) et la concentration des matériaux biosourcés dans certaines parties du bâtiment (ossature, remplissage, charpente, isolation). En effet, un projet recourant aux matériaux biosourcés impose de faire un certain nombre de choix tout en évitant de multiplier le nombre d’intervenants sur le chantier.

Quoi qu’il en soit, le recours aux matériaux biosourcés s’avère indispensable pour atteindre dès aujourd’hui les seuils 2028 et 2031 de l’indice règlementaire IC construction, en passant notamment la barre des 100 kg de matériaux biosourcés utilisés par mètre carré de surface de plancher. Ce stockage de carbone permet en outre d’obtenir des Certificats d’économies d’énergie (CEE) parfois conséquents.

Un projet peut s’avérer très performant, sans pour autant réussir à remplir tous les critères imposés par la RE2020

À l’heure actuelle, la RE2020 se décline en six indicateurs à respecter. D’une part, des indicateurs sans évolution prévue de leur seuil, avec le besoin bioclimatique (Bbio), la consommation d’énergie primaire (CEP) (renouvelable et non renouvelable), et enfin un nouvel indicateur qui évalue le nombre de degrés-heures d’inconfort estival (DH). D’autre part, l’impact sur le changement climatique en matière de construction (Ic construction) et d’énergie (Ic énergie), pour lesquels des évolutions sont prévues en 2025, ainsi qu’en 2028 et 2031 pour le premier. Les projets présentés ont tous montré d’excellentes performances, notamment sur les émissions de gaz à effet de serre, en anticipant tous le seuil 2028 voire 2031 pour certains. L’emploi de matériaux biosourcés a largement contribué à ces performances. Dans les années qui viennent, sous l’effet de cette réglementation, les lots fluides et second œuvre feront très probablement des progrès en contenu carbone, faisant croître l’ensemble des performances ; les projets biosourcés permettant d’atteindre ces seuils avec plus de facilité.

Le développement des filières des matériaux biosourcés passe par la diffusion des nouvelles cultures constructives à tous les acteurs de l’écosystème de la construction, de la demande à l’offre

La question des connaissances et des choix opérés par la maîtrise d’ouvrage et la maîtrise d’œuvre sont aujourd’hui au cœur du sujet. Les quatre présentations réalisées ont permis de constater que ces nouvelles cultures se diffusent désormais beaucoup plus largement sur toute la « chaîne de valeur », de la demande à l’offre. Les maîtrises d’ouvrage se montrent en effet davantage enclines à la valorisation et l’utilisation des matériaux biosourcés, rassurées par les expériences probantes menées par les filières. Par ailleurs, certaines villes, comme Paris, proposent même des financements pour les projets biosourcés labellisés (BBCA, Bâtiment biosourcé) : une subvention de 40 et 60 euros supplémentaires par mètre cube de matériaux biosourcés peut être obtenue. Enfin, le nombre de professionnels formés à utiliser et déployer ces matériaux est en hausse constante, même si cette dynamique nécessite d’être renforcée au niveau des entreprises du bâtiment notamment. 

Le recours aux matériaux biosourcés permet le développement de filières locales et la construction dite « hors-site », mais implique un renforcement des études menées en amont

Dans les territoires ruraux, les matériaux biosourcés constituent une véritable opportunité en s’appuyant sur des filières de production locales et en générant un moindre impact carbone lié à l’acheminement des matériaux sur site. Par ailleurs, l’utilisation des matériaux biosourcés voit un débouché important dans la construction hors-site. En déplaçant le chantier en usine, une nouvelle façon de penser le bâtiment se met en place, fondée sur le développement des études en amont. Ces dernières sont désormais au cœur de l’acte de construire, et permettent d’analyser le cycle de vie du bâtiment avant même le dépôt du permis de construire, qui fige 50 à 70% du poids carbone d’un bâtiment. Ces analyses du cycle de vie (ACV), dites « dynamiques » car tenant compte du stockage carbone sur la durée de vie du bâtiment (50 ans de façon réglementaire), valorisent l’utilisation des matériaux biosourcés dont l’impact sur les émissions de GES est négatif, contrairement aux matériaux classiques dont les taux sont fixes à travers le temps.

Néanmoins, cette prise en considération des ACV appelle à des besoins considérables en matière de recherche et développement. L’un des enjeux en la matière dans les prochaines années sera en effet d’obtenir des données de plus en plus précises et nombreuses sur les différents matériaux employés, pour progressivement affiner les calculs, et préciser voire dépasser les valeurs par défaut qui sont à l’origine de nombreuses approximations aujourd’hui, notamment sur les lots second œuvre et fluides, masquant parfois l’avantage carbone des matériaux biosourcés.

Les filières progressent à travers chaque projet réalisé, et doivent unir leurs efforts pour continuer à se développer ensemble.

Sur les volets de la technicité courante et de la sécurité des bâtiments, de plus en plus d’acteurs – dont les promoteurs immobiliers – ont développé leurs propres appréciations techniques d’expérimentation (atex). Si ces atex de type A (valable pour un procédé constructif) ou de type B (valable pour un seul chantier) restent limitées dans le temps et dans leur domaine d’application, toutes les filières peuvent ensuite plus facilement reproduire ces innovations qui s’avèrent nécessaires à leur développement. Ces dernières années ont été très productives en la matière, avec l’apparition de DTU permettant des constructions aux dimensions de plus en plus larges : en matière de hauteur, le DTU 31.2 (maisons et bâtiments à ossature en bois) fixé à 8 mètres en 2019 est par exemple passé à 28 mètres depuis.

Néanmoins, ces démarches R&D doivent être davantage mutualisées et soutenues par l’action publique, ne pouvant rester l’apanage du domaine privé. À mesure des avancées en la matière, il sera en effet de plus en plus compliqué pour certains acteurs d’atteindre des capacités de développement pour passer l’avis technique. Les filières doivent donc unir leurs forces et contribuer ensemble à faire évoluer les textes normatifs et réglementaires, avec des atex « ouvertes », des règles professionnelles et des DTU.

Une filière encore jeune en quête de davantage de rentabilité.

La question du coût est celle qui revient le plus souvent. Aujourd’hui, les filières biosourcées existent depuis moins longtemps que les autres filières ; leur rentabilité n’est pas donc pas encore optimale. Pour autant, les performances économiques des quatre opérations présentées permettaient à chacune de tenir son équilibre de marché, avec des prix au mètre carré d’environ 2 000 à 2 200 euros. De plus, bien que le coût en euros régisse encore le projet, le coût en carbone rentre de plus en plus en compte dans les considérations d’un projet, via les seuils règlementaires qui se renforcent d’année en année, et grâce au marché carbone, qui à travers les CEE représente un gain financier supplémentaire pour les biosourcés. Ces évolutions posent les prémices d’un terrain encore plus favorable à l’emploi de matériaux biosourcés.

Pour conclure, le sujet n’est pas tant de construire un bâtiment performant ou pas. En effet, la RE2020 nous entraîne indéniablement dans cette direction. Les efforts doivent donc être portés à l’évolution du cadre réglementaire, qui doit être interrogé pour instaurer les conditions les plus favorables possibles pour y arriver. Le bâtiment peut apporter des solutions low tech au stockage de carbone, à travers notamment le recours aux matériaux biosourcés, qui disposent des meilleurs indicateurs en la matière.


Cofondé en 2018 par l’Ordre des architectes d’Île-de-France et la Chambre d’Agriculture de région Île-de-France, le Comité de liaison des matériaux biosourcés d’Île-de-France regroupe les acteurs franciliens des filières bois, chanvre et paille (Fibois IDF, l’UICB, InterChanvre, Construire en chanvre, Collect’IF Paille), et avec le soutien de divers acteurs associatifs (Ekopolis) et institutionnels (la Région Île-de-France, l’État – la DRIEAT Île-de-France, l’Ademe).

L’objectif du Comité est de porter en Île-de-France un message d’intérêt général autour des matériaux biosourcés pour répondre aux objectifs de décarbonation du bâtiment, éclairer la décision publique, et accompagner la transition écologique auprès des professionnels et des pouvoirs publics.

Après la publication d’un manifeste en 2020, portant 8 propositions partagées destinées à répondre aux enjeux du développement des matériaux biosourcés, les membres du Comité officialisent son existence en 2022 par la signature d’un accord de partenariat sur le Salon des Maires d’Ile-de-France.


Un article rédigé par l'Ordre des architectes d'Ile-de-France


Article suivant : L’évolution des techniques de construction face au défi climatique , Ronan Béziers la Fosse, Directeur technique adjoint, BTP Consultants


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