Au Danemark, une politique énergétique fondée sur les EnR, portée par l'éolien

Rédigé par

Stéphanie Obadia

Directrice de la rédaction

1788 Dernière modification le 18/01/2024 - 11:43
Au Danemark, une politique énergétique fondée sur les EnR, portée par l'éolien

Le Danemark mène depuis près de cinquante ans une politique de transition énergétique afin de devenir totalement indépendant du fossile d’ici 2050. Les leçons du passé ont fait le lit de solutions d’avenir, innovantes, plus durables et scrutées à l’international.

Dans les années 1970, le pays est confronté à la hausse du prix du pétrole et à des pénuries importantes bloquant une partie de l’économie. Il vise alors l’autonomie énergétique et mise sur les énergies renouvelables. Refusant le nucléaire, il se dote de milliers d’éoliennes en s’inspirant pour cela de son passé : fin 1880, le physicien Damien Poul la Cour expérimentait déjà l’énergie éolienne pour l’agriculture puis l’électricité. Ainsi, de la fin des années 1970 aux années 2000, 6 000 éoliennes ont été construites. Dans les années 1980, vingt fabricants de turbines ont vu le jour. En 1991, le premier parc éolien offshore (désormais démantelé) s’établit dans la mer peu profonde au large de Vindeby, au sud-est du Danemark, poursuivant depuis ses installations à grande échelle en mer du Nord et en mer Baltique dont les plus innovants sont ceux de Horns Rev (voir encadré p. 13) et Kriegers Flak.

Le parc est à ce titre considéré comme le berceau de l’énergie éolienne offshore. En parallèle, le Danemark espère lancer la construction de la première île artificielle dédiée à la diffusion de l’énergie renouvelable collectée sur le parc éolien offshore en mer du Nord, à 80 kilomètres de la rive de la péninsule du Jutland (voir encadré p. 14). Il pourrait couvrir à lui seul la consommation de 10 millions de ménages européens. Demeure l’éternel débat sur les éoliennes : pollution paysagère, impact sur  la faune et la flore terrestres et maritimes, fin de vie… À ce jour, environ 4 800 turbines accumulent 6,9 GW sur terre et sur mer (respectivement 4 593 GW (4 500 éoliennes) et 2 306 GW), enrôlant 33 000 personnes dédiées à leur fonctionnement. Pas de doute concernant l’efficacité des éoliennes au Danemark : les modèles les plus récents atteignent jusqu’à 15 MW de production sur 24 heures. Elle est la source d’énergie la moins chère du pays. D’ici 2030, le pays prévoit d’atteindre une part d’énergie éolienne de 60%. 

Mariage mixte

Si l’éolien joue un rôle important, d’autres sources d’énergie sont nécessaires, notamment pour les jours moins venteux. L’autonomie énergétique passe par la mixité des sources d’énergie, dont la bioénergie, l’énergie solaire ou la géothermie. La bioénergie, basée sur les résidus et les sous-produits du secteur agricole, les sources biologiques, les déchets ménagers et industriels, joue un rôle important dans la stabilité du réseau et représente plus des deux tiers de la consommation combinée d’énergie renouvelable du Danemark. D’autres leviers sont exploités comme les solutions hybrides (mix éolien et solaire, stockage d’énergie via des batteries…).

Concernant le biogaz, le Danemark vise 22 % de la consommation de gaz canalisé en 2025, 50 % en 2025 et 108 % en 2030, contre 22 % en 2021. Ainsi, près de 43 % de l’énergie provient aujourd’hui des énergies renouvelables avec 20 % d’éolien, 64 % de biomasse, 9 % de biogaz, 3 % de solaire et 5 % de PAC (pompe à chaleur). Le reste provient du pétrole (34 %) et du gaz (12 %). Si les parts du pétrole et du gaz demeurent importantes pour l’économie danoise, elles ont néanmoins diminué au cours des vingt dernières années, respectivement de -41 % et -57 %, alors que la production d’énergies renouvelables a grimpé d’environ 300 % (source Energistyrelsen, 2022). Des résultats en phase avec la loi de 2020 sur la carboneutralité (loi du Danemark sur le climat) où il est notamment question d’abandonner le pétrole et le gaz d’ici 2050 et de miser sur les énergies renouvelables.

« Un forum sur l’économie verte pour renforcer le dialogue entre le gouvernement, les entreprises et le mouvement syndical. »

Nouvelle vie pour les pales d'éoliennes

Recycler les pales d’éoliennes fait partie des grands enjeux du secteur, d’autant que leur enfouissement est problématique dans bon nombres de pays européens. Il est aujourd’hui possible de recycler 85 % d’une turbine, à l’exception de la résine utilisée pour fusionner les éléments de la lame. L’entreprise Siemens Gamesa a développé Recyclable Blade, une pale classique mais qui utilise justement un nouveau type de résine pouvant être dissoute. La fibre de verre, la résine, le  matériau de base et le métal peuvent ensuite être séparés et réutilisés dans d’autres industries. Les premières pales de ce type ont été installées sur le parc éolien offshore allemand de Kaskasi (mer du Nord) en 2022, et 44 autres de ces modèles seront bientôt installés sur le projet éolien offshore de Sofia, au large de la côte est du Royaume-Uni. Leur commercialisation à grande échelle est prévue pour 2024. Aussi, dans un objectif de réduire l’empreinte carbone, l’entreprise vient d’annoncer une tour d’éolienne conçue à partir de plaques d’acier plus durable (qui devrait aboutir à -63 % des émissions de CO₂ par rapport à l’acier conventionnel). « L'éolien est l'une des pierres angulaires de la transition énergétique verte. Avec plus de 600 GW de nouvelles capacités à installer dans le monde au cours des cinq prochaines années, il est important pour l'industrie éolienne de réduire son empreinte carbone », déclare Maximilian Schnippering, responsable du développement durable chez Siemens Gamesa.

Public et privé ensemble pour la cause

Si de telles performances sont possibles, c’est grâce à la cohésion politique et privée et aux soutiens  financiers permettant des investissements importants dans la recherche et l’innovation. La preuve avec le State of Green institute, une institution publique privée qui bénéficie de gros moyens financiers et de  l’appui de quatre ministères, d’organisations publiques et d’entreprises et de l’aval du prince Frederik. Créée en 2008, lors de la COP15, elle regroupe 600 partenaires impliqués dans la transition énergétique ou environnementale. Leur but : influencer les pouvoirs publics et les marchés privés, créer des synergies et favoriser l’export. « Le Danemark est doté à la fois d’un ministère de l’Environnement et d’un ministère du Climat, de l’Énergie et de l’Approvisionnement. Ensemble, ils s’occupent de coordonner les politiques de la transition juste. Dans le cadre des efforts climatiques du pays, le gouvernement a noué de nombreux partenariats avec des entreprises. Il a lancé un forum sur l’économie verte afin de renforcer le dialogue entre le gouvernement, les entreprises et le mouvement syndical », indique Gry Klitmose Holm, senior project manager à l’institut. In fine, l’énergie verte doit permettre l’autonomie énergétique du Danemark et de réussir la transition énergétique mais elle doit également être une source de profit. Le potentiel d’exportation est  conséquent : 11 % des exportations proviennent de l’énergie et des services verts à ce jour, soit 3,4 % du PIB et 33 milliards de chiffre d’affaires. D’ailleurs, la Commission européenne estime que cette énergie sera en mesure de couvrir jusqu’à 12 % de la consommation d’électricité de l’UE en 2030 et jusqu’à 20 % en 2040. La devise du Danemark pourrait être « Green business is good business ». Le pays ne lésine pas sur les moyens – parfois démesurés ? – pour répondre à ses  ambitions. Sa force : un État riche doté d’une grande cohésion sociale et économique.

Copenhill, Club Med de la cogénération

L’usine de cogénération Copenhill produit 66 % de l’énergie du réseau de chaleur urbain de la ville via l’incinération de déchets biodégradables. Initiée dans le cadre du projet zéro gaspillage énergétique, elle permet  de chauffer 800 000 personnes. Chaque jour, entre 250 et 300 camions, provenant des cinq communes danoises dont Copenhague, alimentent l’usine. Au total, 613 000  tonnes de déchets peuvent être incinérées par an avec un minimum de 430 000 tonnes de déchets pour que le processus soit rentable. D’où parfois des aberrations, puisqu’il a fallu importer des déchets. Gérée par la commune de Copenhague, cette usine est singulière, puisqu’elle héberge sur son toit des installations récréatives : bar, mur d’escalade, pistes de ski… L’idée est née en 2011 suite à la coopération d’ingénieurs et d’architectes (BIG architecture en l’occurrence). En 2017, l’usine a été livrée et depuis 2019, cette montagne ouverte est accessible. Coût de cette construction : 600 millions d’euros, ce qui en fait l’usine la plus chère du Danemark. Le remplacement progressif des installations au gaz et au fioul par le chauffage urbain ainsi que d’autres initiatives telles que des primes pour l’isolation des bâtiments et l’adoption des énergies renouvelables ont permis au Danemark de prendre les rênes des économies d’énergie.

Horns Rev 1 souffle ses 20 ans

Deux décennies que Horns Rev 1, le plus vieux parc éolien offshore au monde, tourne au rythme des vents de la mer du Nord, à une vingtaine de kilomètres au large du Danemark. Un espace maritime réputé idéal en 2003, lorsque le groupe Elsam, aujourd’hui Orsted, y a fait le berceau de 80 éoliennes turbinant pour produire une puissance installée de 160MW, et alimenter quelque 150 000 habitations danoises. Ce pionnier en matière d’installations (transformateur sur plateforme en mer plutôt que sur terre) a depuis fait des disciples qui ont dépassé le maître. Sans faire pâle figure, ce parc toutefois vieillissant et gourmand en entretien a cédé sa première place au palmarès, derrière ses petits frères Horns Rev 2 puis Horns Rev 3, inauguré en 2019, désormais plus grand parc éolien offshore au monde avec 406,7MW de puissance cumulée. Cette dernière génération, exploitée par l’électricien suédois Vattenfall, doit permettre d’augmenter de 12 % la production éolienne du Danemark, et profiter à  quelque 425 000 foyers, tout de même.


Des réseaux de chaleur urbains zéro émission

Fruit des orientations politiques de l’après-choc pétrolier des années 1970, la plupart des centrales de chauffage urbain combinent production de chaleur et d’électricité, et distribuent le surplus de chaleur généré par la production d’électricité. Les collectivités locales utilisent même les réseaux de chaleur comme outil de planification depuis les années 1980, rendant le raccordement obligatoire dans les quartiers où elles estiment que cette solution est la plus vertueuse sur les plans socioéconomique et environnemental. Il y a dix ans, le chauffage urbain représentait entre 30 et 40 % des émissions totales de GES du Danemark. L’objectif étant, selon L’Agence danoise de l’énergie, de baisser cette part à 3 % en 2025 et à moins de 1 % en 2030, ce qui correspond à 0,1 million tonne eq CO2. Parmi les exemples de chauffage urbain intéressants, notons ceux de Sønderborg Kraftvarmeværk (CHP) dans le sud du Danemark, qui brûle des déchets pour générer de la chaleur et de l’électricité. Ou encore l’usine de Copenhill gérée par la ville de Copenhague où la chaleur des déchets incinérés est  injectée dans le chauffage urbain de la ville à hauteur de 66%. Tous les produits biodégradables peuvent être incinérés. À ce jour, 64 % des logements danois sont connectés aux réseaux de chaleur, vs moins de 6 % en France).

Un PIB vert

Le Danemark lance le PIB vert afin de valoriser, entre autres, la perte de biodiversité, l’émission de gaz à effet de serre et la pollution de l’air et de l’eau. Le PIB vert peut donc aider les citoyens et les politiques à évaluer si la croissance économique s’est faite au détriment du climat et de l’environnement. Il repose notamment sur le GreenREFORM, un outil analytique qui permet une évaluation des effets environnementaux et climatiques des politiques économiques de 2015 à 2100. Les modèles, développés par un groupe de chercheurs de l’université de Copenhague, en collaboration avec des chercheurs de l’université d’Aarhus, DREAM et Statistics Denmark, visent « à donner aux forêts, à l’atmosphère et aux espèces menacées une voix plus claire dans l’économie danoise ». En examinant plus en détail combien les Danois paieraient pour un air pur, combien devrait coûter l’émission d’une tonne de CO2 et comment tarifer la pollution de l’eau, les modèles permettent des  évaluations des différentes politiques climatiques pour éclairer l’objectif politique de réduction des gaz à effet de serre. Le modèle peut donc calculer les efforts nécessaires pour atteindre les objectifs. « Le PIB vert permet de valoriser les atouts environnementaux et naturels. Dans la première étape, nous calculons des mesures physiques de combien nous avons épuisé diverses ressources naturelles et combien nous avons émis de divers polluants. C’est en soi une information précieuse. Dans l’étape suivante, nous calculons les coûts ou les gains en termes monétaires », déclare Peter Birch Sørensen, professeur d’économie à l’université de Copenhague, l’un des pionniers du développement des modèles.

Des îles énergétiques

Des millions de foyers alimentés en électricité à partir d’une île énergétique… artificielle : le vaste chantier qui se prépare en mer du Nord – actuellement en standby pour raison économique – à 80 kilomètres à l’ouest des côtes danoises, semble tout droit sorti du labo d’un savant fou. Au programme, une enveloppe entre 30 et 40 milliards de dollars est pour l’heure avancée afin de construire cette île, ainsi que sa jumelle sur l’île de Bornholm, en mer Baltique, pour une production totale évoquée de 6 GW d’électricité. Que la petite sirène  s’agrippe à son rocher, c’est bien au large de Copenhague que les yeux sont rivés : entourées d’éoliennes, plusieurs îles artificielles (ou existantes, telle qu’en mer Baltique), au large du Danemark ou de la Belgique voisine, ont vocation à devenir des hubs maritimes « centralisant la production d’électricité issue des parcs éoliens offshore environnants, en vue d’être distribuée entre plusieurs pays », projette le gouvernement danois. De la péninsule scandinave au large des côtes du Royaume-Uni et des Pays Baltes, plusieurs asiles insulaires sont actuellement scrutés à la loupe, autant de « paradis artificiels » bien réels, véritables défis écologiques et technologiques en droite ligne des ambitions énergétiques du Danemark.

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