Adaptation des bâtiments aux canicules futures : le projet de recherche « Resiliance »

Rédigé par

Eduardo Serodio

Ingénieur énergéticien - co-gérant

2475 Dernière modification le 17/07/2023 - 10:01
Adaptation des bâtiments aux canicules futures : le projet de recherche « Resiliance »


Le changement climatique impose d’adapter les bâtiments pour assurer un niveau de confort suffisant durant des périodes de canicule de plus en plus longues et fréquentes. L’enjeu est d’atteindre cet objectif à moindres coût et impact environnemental, en construction neuve mais aussi dans l’existant. 

L’objectif du projet « Resiliance » est d’étudier cette transition selon une prospective climatique pour la France métropolitaine. L’impact des mesures d’adaptation a été évalué en termes de confort d’été par simulation thermique dynamique (STD), les impacts sur l’environnement ont été évalués par analyse du cycle de vie et une analyse économique a également été conduite.

Ces travaux, soutenus par l’Ademe dans le cadre du programme « Vers des bâtiments responsables », ont été menés entre septembre 2020 et juin 2023 par un groupement coordonné par ARMINES, comprenant le CEA (Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives), le CNRM (Centre national de recherches météorologiques), IZUBA Energies et Resallience by SIXENSE, une entreprise du groupe VINCI.

Des conditions estivales prospectives très sévères

À partir du scénario RCP 8.5 du GIEC, des modèles climatiques ont été mis en œuvre par le CNRM selon une méthodologie développée pour le projet, 16 jeux de données météorologiques ont été produits qui croisent les paramètres suivants : 

  • Deux zones climatiques : Paris et Nîmes
  • Deux horizons temporels : futur proche (2020-2049) et futur lointain (2070-2099), nommés ci-dessous 2050 et 2100
  • Deux niveaux de sévérité des vagues de chaleur : événement « médian » et événement « extrême »
  • Deux microclimats : avec et sans îlot de chaleur (nommés ci-après urbain et rural)

Les conditions de fin de siècle (2100) sont très sévères, que ce soit en termes de nombre d’heures au-delà de 35 °C, de températures maximales atteintes, de durée des vagues de chaleur ou d’indice de nuit tropicale (décompte du nombre de jours où la température ne descend pas en dessous de 20 °C pendant la nuit).
Il convient de relativiser l’importance des températures maximales, atteintes ponctuellement, et de s’attacher à la sévérité globale des vagues de chaleur (durées de dépassement, indice de nuit tropicale) : celles-ci sont beaucoup plus sévères en fin de siècle, surtout à Nîmes.

On note également que la température maximale est supérieure en rural par rapport à l’urbain à Nîmes : cela peut s'expliquer par le fait qu'en journée les espaces ouverts, même naturels, peuvent se réchauffer plus rapidement que les zones urbaines, où la géométrie peut réduire la pénétration du soleil dans les rues et donc le réchauffement diurne. En revanche, la température nocturne reste toujours plus élevée en ville sous l'effet de l'îlot de chaleur urbain, ce que montre l’indice de nuit tropicale, supérieur pour les données en milieu urbain.

Quels leviers pour l’adaptation des bâtiments ?

S’agissant d’une étude prospective à l’horizon 2050-2100, il n’est pas possible de s’appuyer sur des mesures pour évaluer le comportement des bâtiments. Seule la simulation numérique est utilisable. Le module STD COMFIE de Pleiades, outil de simulation validé par rapport à des mesures expérimentales et à plusieurs bancs d’essais logiciels, a été utilisé.
Ces simulations thermiques dynamiques ont été menées sur un échantillon de neuf bâtiments : maisons individuelles, logements collectifs, bureaux et écoles, neufs et anciens. 

Les simulations ont permis de tester un panel des mesures d’amélioration du confort d’été des bâtiments. Ces mesures sont toutes technologiquement disponibles et courantes dans une conception adaptée aux étés chauds. L’intérêt de l’étude a été de les confronter aux conditions estivales prospectives établies par le CNRM.

Quelle stratégie d’adaptation mettre en œuvre ?

Les résultats obtenus ont montré le niveau d’adaptation nécessaire pour faire face aux climats projetés d’ici la fin du siècle. 

Une action d’adaptation sur le bâti seule peut être suffisante pour garantir le confort pour certains bâtiments pour les climats projetés en 2050 si l’indicateur DH (degrés-heures d’inconfort, défini par la RE 2020) reste inférieur à 350 °C.h. En revanche, pour assurer un confort sur la totalité des climats projetés d’ici la fin du siècle, en plus d’une action forte d’adaptation du bâti indispensable et prioritaire, la mise en place de dispositifs de rafraîchissement actifs sera nécessaire à terme pour écrêter les vagues de chaleur les plus importantes (sauf pour certaines maisons très anciennes aux épais murs de pierre).

La mise en œuvre de dispositifs « actifs » de contrôle des surchauffes ne doit être envisagée qu’après un travail le plus complet possible d’adaptation du bâti pour éviter les sous-dimensionnements ou les surconsommations.

Il convient donc de prévoir une stratégie progressive d’adaptation à long terme faisant intervenir les trois étapes suivantes dans cet ordre :

  • Sobriété des usages des occupants : les occupants doivent être mobilisés pour contribuer à la préservation du confort intérieur, notamment par une gestion appropriée des protections solaires et des ouvrants, ainsi que par la sobriété dans l’usage d’équipements qui génèrent des apports de chaleur dans les locaux.
  • Conception d’un bâti efficace, adapté aux vagues de chaleur et fournissant aux occupants les moyens de contrôler efficacement les surchauffes, notamment en termes de protection solaire et d’aération nocturne. Le rôle important de l’isolation thermique est à souligner. En plus de réduire les besoins de chauffage, elle protège de la chaleur et doit constituer une priorité parmi les mesures d’adaptation. Une inertie thermique importante est également très favorable au confort.
  • Enfin, et en complément des actions précédentes, des équipements actifs de rafraîchissement pour écrêter les pics de surchauffe résiduels. Les dispositifs à haute performance énergétique seront privilégiés (brasseurs d’air, rafraîchissement adiabatique…). Si la climatisation est retenue, pour en limiter les consommations, il est possible de limiter les consignes, climatiser des locaux de façon ciblée, utiliser la climatisation à une consigne plus élevée en combinaison avec un brasseur d’air ou l’alimenter par de l’électricité photovoltaïque.

Quel est l’impact environnemental des mesures d’adaptation ?

Le projet a permis de vérifier que les mesures d’adaptation au changement climatique proposées n’entraînent pas d’impacts environnementaux adverses sur le cycle de vie des bâtiments. 

Pour étudier les impacts environnementaux liés à l’adaptation au changement climatique des bâtiments, l’approche adoptée consiste à comparer les ACV de deux bâtiments ayant des conditions de confort semblables : le bâtiment qui a fait l’objet d’adaptations « Bâtiment adapté » et le bâtiment de base, non adapté, mais équipé de la climatisation. 

Les résultats d’ACV montrent que les bâtiments adaptés présentent des impacts environnementaux diminués par rapport à la base climatisée pour quasiment tous les indicateurs. Cette diminution est importante pour les indicateurs effet de serre, demande cumulative d’énergie, déchets, déchets radioactifs, dommages à la santé et dommages à la biodiversité. La quantité d’eau utilisée sur le cycle de vie reste sensiblement la même qu’en base. Il faut noter que la production d’électricité induit une consommation d’eau, donc la climatisation électrique (et dans une moindre mesure le rafraîchissement adiabatique) contribue à augmenter l’indicateur d’utilisation d’eau.

L’analyse des résultats par étape montre que les impacts liés à la mise en œuvre des mesures d’adaptation des bâtiments sont très largement compensés par les diminutions d’impacts réalisées pendant l’étape d’utilisation, tout au long de la vie du bâtiment. Cette diminution des impacts à l’étape d’utilisation provient majoritairement des baisses de consommation de chauffage. En effet, une approche globale d’adaptation aux surchauffes conduit également à une amélioration de la performance énergétique hivernale (isolation, étanchéité à l’air par exemple).

Quel impact économique des mesures d’adaptation ?

De la même façon que pour les impacts environnementaux, l’impact économique des mesures d’adaptation mesuré à long terme est favorable. Les coûts d’investissement liés à la mise en œuvre des mesures d’adaptation des bâtiments sont compensés par la diminution des coûts d’exploitation. 
Ici encore, une approche globale de l’adaptation aux surchauffes conduit également à une amélioration de la performance énergétique hivernale (isolation, étanchéité à l’air par exemple). La diminution des coûts d’exploitation provient majoritairement des baisses de consommation de chauffage. 

Conclusion

Trois composantes sont nécessaires face aux vagues de chaleur : 

  • un comportement approprié en termes d’aération, d’usage des protections solaires et de sobriété énergétique,
  • une adaptation du bâti incluant l’isolation des toitures et des façades, en préservant l’inertie thermique, ainsi que la mise en œuvre de vitrages isolants et de protections solaires efficaces,
  • la mise en place de dispositifs de rafraîchissement performants : brasseurs d’air efficaces, rafraîchissement adiabatique, puits climatique.

Si besoin, et en général à plus long terme, le recours à une climatisation active devra, pour le scénario RCP 8.5 du GIEC considéré dans cette étude, être envisagé dans certains locaux, en minimisant son usage à l’aide des mesures précédemment décrites. Si le site permet de recourir à la géothermie, cette solution réduit l’effet d’îlot de chaleur urbain. Alimenter le climatiseur par un système photovoltaïque limite la plupart des impacts environnementaux, qui sont également réduits par les mesures d’adaptation du fait de la baisse des besoins de chauffage. Il n’y a ainsi pas de contradiction entre l’adaptation au changement climatique et la réduction des émissions de gaz à effet de serre, au plan environnemental comme économique.

 

Un article co-signé Eduardo Serodio et Stéphane Thiers, Izuba énergies, Bruno Peuportier, MINES ParisTech 

 


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