[Dossier Biosourcés #15] Diversité et Complexité des particules végétales : des atouts pour les matériaux biosourcés

Rédigé par

Hélène Lenormand

enseignant-chercheur

5925 Dernière modification le 25/03/2020 - 12:00
 [Dossier Biosourcés #15] Diversité et Complexité des particules végétales : des atouts pour les matériaux biosourcés

Dans un précédent article, nous avons identifié les principales origines botaniques de particules végétales intéressantes pour les matériaux biosourcés destinés à la construction.

La somme des gisements des différentes cultures françaises permettait d’atteindre une somme considérable de particules végétales, s’affranchissant ainsi de tout risque de concurrence avec les autres voies de valorisation (paillage, litière, bioénergie). Le deuxième avantage de la diversité des sources de particules végétales réside dans la possibilité de les valoriser sur leur territoire de production, l’ensemble des cultures couvrant le territoire français. La valorisation des anas de lin pour la région nord-ouest peut par exemple être privilégiée, alors que le territoire du sud de la France peut être approvisionné par ses ressources locales telles des particules issues du tournesol ou du riz. Le troisième avantage lié à la diversité des sources de particules végétales est l’échelonnement de l’approvisionnement. La plupart des cultures citées sont annuelles, c’est-à-dire qu’elles sont récoltées une fois par an. La période de récolte est propre à chaque culture et l’échelonnement des récoltes des différentes cultures permet d’assurer un approvisionnement tout au long de l’année.

Les différentes sortes de particules végétales 

En France, les particules végétales proviennent principalement des tiges végétales telles que celles du chanvre, du lin, du tournesol, du colza, du maïs, de céréales, de miscanthus, de riz, de roseau. Les particules végétales seront alors issues 1/ de la partie interne de la tige (anas de lin, chènevotte, moelles de tournesol et de maïs), 2/ de la partie extérieure de la tige (écorces de tournesol et de maïs) ou 3/ du broyage de la tige entière (fragment des tiges de colza, blé, avoine, orge, seigle, miscanthus, riz). Les balles (enveloppes) des grains de riz, de petit épeautre, de grand épeautre et de sarrasin sont aussi valorisables en éco-construction.

La figure n°1 présente chaque type de particules végétales possédant ses caractéristiques intrinsèques.

 

Figure n°1 : Photographies de particules végétales

Ne serait-ce qu’à l’œil, des différences dans la forme des particules sont remarquables. Les chènevottes, écorces de tournesol, fragments de miscanthus ressemblent à des petits morceaux de bois, assez allongés et rigides. Les anas de lin, fragments de paille de colza et de blé, fragments de roseau sont plus fins et déformables. Les particules de moelle de tournesol présentent des formes plus sphériques/cubiques et ressemblent à de l’éponge

La propriété recherchée lors de l’incorporation de particules végétales dans des matériaux biosourcés destinés au bâtiment est en premier lieu l’isolation thermique. Cette dernière est le résultat de la très grande porosité naturelle des agro-ressources. Les parois des particules végétales constituent un véritable squelette composé de différents polymères (cellulose, hémicelluloses, pectines et lignines notamment) qui, pour la plupart, sont fortement hydrophiles, ce qui rend les particules végétales très sensibles à l’eau. Ainsi, la microstructure et la biochimie sont les deux paramètres primordiaux à étudier, pour des particules végétales destinées à une valorisation dans le bâtiment. Ce sont des caractéristiques intrinsèques à la matière végétale.

Microstructure des particules végétales

La microstructure de particules végétales se décline en différentes propriétés à étudier. La masse volumique apparente donne la densité globale de la matière végétale en vrac. Elle est caractérisée par la masse de particules par unité de volume. Elle est calculée par mesure du volume qu’occupe une certaine masse de particules végétales. Ce volume est la somme : 

  1. Du volume occupé par les parois des particules : il est dépendant des dimensions des parois (épaisseur, surface). La figure n°2 présente des images prises au microscope électronique à balayage de différentes particules végétales. Le réseau squelettique des parois diffère selon les particules étudiées.

 

Figure n°2 : Clichés de particules végétales obtenus par microscopie électronique à balayage, à différents grossissements. Chènevotte (a, b, c), miscanthus (d, e, f) et moelle de tournesol (g, h)

Les clichés a, b et c sont relatifs à la coupe longitudinale d’une particule de chènevotte, obtenue à différents grossissements. Ils montrent une structure vasculaire de cette dernière. Les clichés d, e et f sont relatifs à la coupe transversale d’une particule de miscanthus. Une partie « écorce » présentant une structure vasculaire et une partie « moelle » présentant une structure alvéolaire (alvéoles d’environ 60 µm) sont clairement distinguées. Les clichés g et h présentent la structure alvéolaire d’une particule de moelle de tournesol (alvéoles d’environ 100 µm).

 Ces photographies illustrent bien les différences de réseaux squelettiques (alvéoles, vaisseaux, mixte alvéoles/vaisseaux) et de densité de parois selon l’agro-ressource considérée. 

  1. Du volume d’air entre les particules. La porosité se définit par la fraction volumique des « vides » remplis d’air du solide. La porosité inter particulaire est dépendante de l’arrangement des particules entre elles, de leur forme, de leur granulométrie (3 dimensions) et aussi de la répartition de leurs dimensions. Il apparaît ainsi que :
  • L’effet du broyage (diminution de la granulométrie) permet d’optimiser l’arrangement entre les particules, de diminuer le volume total inter particulaire et donc d’augmenter la masse volumique apparente.
  • Des particules sphériques ne vont pas avoir le même arrangement que des particules de forme allongée.
  • La pureté des particules végétales est aussi impactante. La présence de poussières ou de fibres modifie l’arrangement des particules et donc la porosité inter particulaire.
  1. Du volume d’air occupé à l’intérieur des particules. Il comprend le volume « creux » accessible par l’extérieur de la particule (porosité ouverte) et le volume « creux » non-accessible (porosité fermée). Sur les clichés c et h de la figure n°2, des ponctuations ou pores permettant l’accessibilité à la porosité ouverte peuvent être distingués.

La figure n°3 propose une représentation schématique des différentes porosités présentes au sein d’un volume de particules végétales [1].

 

Figure n°3 : Représentation des différentes fractions volumiques de particules végétales, comprenant les porosités inter et intra particulaires, ouvertes et fermées [1]

L’étude de Chabriac et al. [2] présente des données de microstructure d’échantillons de cinq types de particules végétales : chènevottes, écorces et moelles de tournesol, anas de lin et fragments de paille de colza. Le tableau n°1 reprend les valeurs de masse volumique apparente ρvet de porosité totale ϕtot.

Type de particule végétale

   

Chènevotte

0,133

87,0

Écorce de tournesol

0,168

82,5

Moelle de tournesol

0,034

99,0

Anas de lin

0,115

90,5

Fragment de paille de colza

0,115

90,0

Tableau n°1 : Détermination des masse volumique apparente ρv(en g.cm-3) et porosité totale ϕtot (en pourcentage) d’échantillons de chènevottes, écorces et moelles de tournesol, anas de lin et fragments de paille de colza [2]

La plage de variabilité des masses volumiques apparentes s’étend de 0,034 à 0,168 g.cm-3. Seules les masses volumiques apparentes de la moelle et de l’écorce de tournesol sont éloignées des autres. Il en est de même pour la porosité totale. Parmi les cinq agro-ressources étudiées, la moelle de tournesol présente la valeur de porosité totale la plus élevée (99,0 %), alors que l’écorce de tournesol présente la valeur de porosité totale la plus faible (82,5 %).

Biochimie des particules végétales

Les parois cellulaires des particules végétales sont composées majoritairement de plusieurs types de macromolécules organiques (pectines, cellulose, hémicelluloses, lignines, cires, amidon, protéines, composés aromatiques…) et minoritairement de molécules minérales telles que des cendres. Les parois cellulaires peuvent être donc considérées comme des composites complexes d’un point de vue biochimique. Les proportions en macromolécules organiques varient principalement en fonction de l’espèce botanique et de la localisation dans la plante. La figure n°4 illustre cette idée en montrant les compositions biochimiques obtenues par la méthode Van Soest pour cinq types de particules végétales [2]: chènevottes, écorces et moelles de tournesol, anas de lin et fragments de paille de colza.

Figure n°4 : Compositions biochimiques, obtenues par la méthode Van Soest, d’échantillons de chènevottes, écorces et moelles de tournesol, anas de lin et fragments de paille de colza [2]

Les molécules de cellulose, hémicelluloses et pectines sont des polysaccharides (polymères de glucides) qui présentent de nombreuses fonctions hydrophiles. Les composés hydrosolubles correspondent globalement aux pectines et aux petites molécules solubles. La figure n°4 montre des différences importantes dans la composition biochimique en fonction des agro-ressources. La moelle de tournesol se démarque par exemple des autres avec une proportion en composés hydrosolubles de plus de 50 %. Les chènevottes et anas de lin affichent des compositions assez similaires (majoritairement composés de cellulose et de lignine), cela étant lié à leur localisation identique dans la tige végétale.

Les caractères hydrophile et poreux des parois cellulaires, liés à la biochimie et la microstructure des particules végétales,induisent une grande sensibilité des particules végétales vis-à-vis de l’eau. Cette dernière influence les fonctionnalités apportées par les particules végétales dans les matériaux biosourcés.

Fonctionnalités apportées par les particules végétales

Les fonctionnalités sont les propriétés induites par les caractéristiques intrinsèques des particules végétales. Les particules végétales peuvent présenter des fonctionnalités, tout comme les matériaux les incorporant. Les fonctionnalités peuvent être positives ou négatives. Dans le secteur du bâtiment, les performances thermiques [3] et acoustiques [4] sont certainement les fonctionnalités positives les plus recherchées. Elles sont le résultat du caractère poreux des particules végétales et peuvent être influencées par la teneur en eau. Un autre exemple de fonctionnalité de la matière végétale se situe dans la recherche de solutions écologiques dans la conception des panneaux de particules. En utilisant la capacité d’adhésion (liée au caractère biochimique), il devient possible de mettre en œuvre des panneaux de particules sans addition de liant, grâce à l’action de l’eau (solubilisation de molécules), de la température et de la pression qui permettent l’agglomération des particules entre elles [5]. Cependant, cette capacité à solubiliser des molécules devient un frein (fonctionnalité négative) lorsque les molécules perturbent la prise de mortiers [6, 7].

Les caractéristiques intrinsèques des particules végétales (microstructure, biochimie et comportement à l’eau) doivent ainsi être étudiées pour leur permettre de répondre correctement aux besoins du secteur des matériaux biosourcés de construction. Elles sont très dépendantes du type de particule considérée, comme montré précédemment. D’autres facteurs d’influence existent également et peuvent être classés ainsi :

Facteurs intrinsèques au végétal, c’est-à-dire tous les facteurs qui interviennent dans la production des particules végétales. Les espèce (tournesol, chanvre..) et variété botaniques, la localisation de la source de particules dans la plante (tige, balle…), les facteurs de croissance et de maturité de la plante (paramètres pédoclimatiques, terroir, durée de rouissage…), la transformation subie (tamisage, broyage…) et le conditionnement de la matière végétale (température, humidité relative, durée de stockage…) sont les principaux exemples. Dans la mesure du possible, il est important de 1/ connaître ces facteurs lors de l’étude des caractéristiques des particules végétales et 2/ garder à l’esprit qu’il existe autant de lots de particules végétales qu’il y a de combinaisons de facteurs d’influence intrinsèques au végétal.

Facteurs extrinsèques au végétal, c’est-à-dire, tout ce qui n’est pas inhérent au végétal. Certaines propriétés peuvent être mesurées selon différents protocoles ou appareils, induisant également de la diversité dans les paramètres de mesure et donc de la variabilité dans les résultats. L’étude récente de Amziane et al. propose des protocoles adaptés à quelques propriétés de particules végétales [8].

Le schéma de la figure n°5 récapitule les principales caractéristiques intrinsèques et fonctionnalités  recherchées dans les particules végétales pour leur utilisation dans les matériaux de construction biosourcés, ainsi que les principaux facteurs d’influence associés à prendre en compte.

 

Figure n°5 : Schéma récapitulatif des caractéristiques intrinsèques et fonctionnalités  des particules végétales recherchées pour les matériaux de construction biosourcés ainsi que leurs facteurs d’influence.

Ce schéma met en évidence qu’un résultat de mesure est toujours associé à un lot de matière, lui-même issu d’une seule combinaison de facteurs d’influence. La multiplicité des facteurs d’influence engendre de fait une multitude de lots de matière. L’étude d’une caractéristique intrinsèque sur plusieurs lots de particules végétales présente donc inexorablement de la variabilité. L’établissement d’une gamme de dispersion pour la caractéristique intrinsèque étudiée est le moyen d’obtenir une bonne représentativité du résultat. La question d'intérêt sous-jacente est de savoir si les variabilités observées sur les caractéristiques intrinsèques des particules végétales sont répercutées sur leurs fonctionnalités d’une part et sur celles des matériaux d’autre part.

La diversité des voies de valorisation dans l’éco-construction (panneaux de particules, mortiers/enduits à base de chaux, mélanges à base de terre…) demande de concevoir des matériaux “à façon”. Le cahier des charges d’un mortier précisera par exemple le type de particules, le type de liant, les performances attendues du matériau et la technique de mise en œuvre. La multitude de cahiers des charges fait écho à la diversité qu’offre le végétal. En travaillant par cahiers des charges définis, les diversité et complexité des particules végétales deviennent alors sources de potentialités.

 

[1] Delannoy G., Marceau S., Glé P., Gourlay E., Guégen-Minerbe M., Diafi D., Nour I., Amziane S, Farcas F. Aging of hemp shiv used for concrete. 2018. Mater. Des. 160, 752-762.

[2] Chabriac P.A., Gourdon E. Glé P., Fabbri A., Lenormand H. Agricultural by-products for building construction and modeling to predict micro-structural parameters. 2016. Construction and building materials. 112, 158-167.

[3] Chabannes M., Nozahic V., Amziane S. Design and multi-physical properties of a new insulating concrete using sunflower stem aggregates and eco-friendly binders. 2015. Materials and Structures 48, 1815-1829.

[4] Glé P., Gourdon E., Arnaud L. Acoustical properties of materials made of vegetable particles with several scales of porosity. 2011. Applied acoustics 72, 249-259.

[5]Lenormand H., P. Glé, Leblanc N. Investigation of the acoustical and thermal properties of sunflower particleboards.2017. Acta Acustica United With Acustica. 103, 149–157.

[6] Diquélou Y., Gourlay E., Arnaud L., Kurek B. Impact of hemp shiv on cement setting and hardening: Influence of the extracted components from the aggregates and study of the interfaces with the inorganic matrix,. 2015. Cement and Concrete Composites. 55, 112-121.

[7]Wang L., H. Lenormand, H. Zmamou, Leblanc N. Effect of soluble components from plant aggregates on the setting of the lime-based binder. 2019. Journal of Renewable Materials. 7, 9, 903-913.

[8] Amziane S., Collet F. Bio-aggregates Based Building materials. State of the art report of the RILEM Technical Committee 236-BBM. 2017.

 

Un article signé 

  • Hélène Lenormand, enseignant-chercheur dans l’unité de recherche EA 7519 « Transformations & Agro-ressources », UniLaSalle, Univ.Artois.
  • Nathalie Leblanc, directrice adjointe de l’unité de recherche EA 7519 « Transformations & Agro-ressources », UniLaSalle, Univ.Artois.

 

 Adresse des auteurs :

UniLaSalle, Univ.Artois, EA 7519 - Transformations & Agro-ressources, Normandie Université, F-76130 Mont Saint Aignan, France

https://www.unilasalle.fr/

 

Crédit photo : David Travis via Unsplash

 

Consulter l'article précédent :  #14 - Architecture en fibres végétales d’aujourd’hui : UP STRAW : 5 bâtiments démonstrateurs pour la construction paille - Fabienne Pasquier, CNCP


           

Dossier soutenu par

Dossier biosourcés

 

Matériaux et constructions biosourcés

Retrouvez tous les articles du dossier

 Matériaux et constructions biosourcés

Partager :