Vers un urbanisme inspiré par la vie, pour la vie

Rédigé par

Clémence Béchu

1629 Dernière modification le 24/10/2023 - 11:23
Vers un urbanisme inspiré par la vie, pour la vie

L'approche One Health reconnaît l'interconnexion entre la santé des personnes, des animaux, des plantes et de leur environnement commun. Elle trouve une résonance particulière dans la conception de la ville biomimétique, où l'harmonie entre ces éléments est cruciale.

En 2050, et c’est déjà le cas en France, nous serons près 70 à 80 % d’Homo sapiens urbains selon l'ONU. Nous habiterons dans des villes qui ne couvriront que 3 % de la planète, et qui sont déjà à la fois les principales responsables du changement climatique mais aussi des victimes. Pris à revers, ces chiffres impliquent que 80 % de la nourriture est, ou sera, consommée dans les villes. L’urbaculture est donc un maillon clé de la ville, argumentant d’autant plus le besoin de présence de biodiversité en ville, pour bénéficier de toutes ses vertus : paysagère, sociale, climatique et nourricière. 

Nos villes ont le défi de réussir à vivre avec cette nouvelle ère de changement climatique, généré et accru pour la première fois par l’activité humaine depuis que la vie existe sur Terre. Canicules, tempêtes, incendies, inondations, et plus indirectement migrations, mouvements citoyens… Les évènements climatiques récents et leurs impacts sur les territoires urbains démontrent l’urgence d’aider les villes à mettre en place des stratégies d’adaptation propres. Cela met en lumière la nécessité d'un changement de paradigme dans nos méthodes de conception, à toutes les échelles, en employant des solutions spécifiquement adaptées. Ces solutions, lorsqu’elles s’inspirent du biomimétisme, intègrent l’approche « One Health ». Permettant d’aller au-delà des stratégies de réduction du carbone déjà adoptées, elles aspirent à créer une cohabitation plus harmonieuse, non seulement entre les humains eux-mêmes, mais aussi avec l'environnement naturel qui les entoure, et ce, dès à présent.

L’innovation biomimétique, réponse directe aux enjeux prônés par l’approche « One Health »

L’innovation biomimétique engage à la protection des écosystèmes, ainsi qu’à la restauration et la préservation de la biodiversité, des habitats et des espèces. La santé de notre espèce homéotherme, indissociable de son écosystème naturel, a donné naissance en 2000 à la démarche « One Health ». Celle-ci fait partie intégrante du plan national santé environnement (PNSE 4) lancé en 2021 par les ministères de la Transition Écologique et de la Santé, applicable jusqu’en 2025 avant d’être renouvelé. Au travers de quatre axes, ce plan fait la promotion d’une approche systémique des enjeux de santé environnementale ; un vrai changement dans le mode de prise de décision gouvernementale, car il invite à « une approche collaborative, multisectorielle et transdisciplinaire, (...) sur le plan local, régional, national et mondial, pour obtenir des résultats optimaux en matière de santé et de bien-être, en reconnaissant les interconnexions entre les personnes, les animaux, les plantes et leur environnement commun » (One Health Commission, 2019).

À l’image de la nature, dont nous connaissons le caractère vital pour tous de sa réinstallation urbaine, la ville et ses composantes doivent se réintégrer aux grands cycles du vivant. Il faut les rendre écosystémiques, c’est à dire former des ensembles intégrés et interdépendants, organisés pour maximiser la circularité des ressources, favoriser la réutilisation et le recyclage, et minimiser le gaspillage et l'exploitation de nouvelles ressources. Ceci permettra de développer la capacité de notre espèce désormais urbaine, à mettre en place les meilleures pratiques pour s’adapter, voire anticiper le changement climatique et ses effets. Comme le fait le reste de la nature depuis 3,8 milliards d’années... 

L’approche biomimétique est une opportunité inédite d’innovation responsable consistant à s’inspirer du vivant pour tirer parti des solutions qui y sont produites depuis tant d’années par jeu de test, d’échec et d’apprentissage. Ainsi, l'innovation biomimétique et l'approche One Health sont deux faces d'une même médaille, cherchant toutes deux à restaurer et préserver la biodiversité et à promouvoir une coexistence harmonieuse entre toutes les formes de vie et leurs environnements.

Reconnaissant la valeur économique de la biodiversité, nous embrassons les principes de l'approche One Health : santé de l'écosystème, des animaux et des humains sont interdépendantes.

Si nous observons la nature depuis longtemps pour nous en inspirer, comme déjà Léonard de Vinci il y a cinq siècles dont on retiendra la célèbre citation « Scrute la nature, c’est là qu’est ton futur », le développement de technologies de pointe d’observation et de conception, nous ont permis récemment d’apprendre à mieux l’observer, notamment à des échelles microscopiques, pour répondre à des enjeux durables. Ainsi, cadré depuis 2015 par trois normes ISO et une norme expérimentale AFNOR, le biomimétisme réconcilie les activités industrielles et le développement économique avec la préservation de l’environnement, des ressources et de la biodiversité. 

Selon le rapport d’E. Delannoy « La biodiversité, une opportunité pour le développement économique et la création d’emplois », rédigé en 2016 pour le ministère de l’Environnement, de l’Énergie et de la Mer en charge des relations internationales sur le climat, « Un euro dépensé au titre de la protection de la biodiversité génère en moyenne 2,64 euros de production et 1,31 euro de valeur ajoutée. Un million d’euros de ces dépenses engendre en moyenne pratiquement 19 emplois ». Peu de nous ont finalement conscience du fait que la biodiversité sous toutes ses formes soit un réel vecteur d’économie. Le « vivant » rapporterait-il plus qu’il ne coûte ? Le biomimétisme s’inscrit dans ce développement en devenir. 

Cité par le gouvernement dès 2007 comme l’outil de notre prochaine révolution industrielle, l’approche s’adresse à tous les secteurs en quête d’innovation durable et tire par ailleurs une nouvelle économie forgée par des start-up à impact, tous secteurs confondus, se développant au travers d’innovations bio-inspirées : la Biomim’deeptech. Selon l’institut BIS Research, le marché mondial du biomimétisme serait estimé à 18,50 milliards de dollars à horizon 2028. En France, la première étude publiée en mars 2023 sur le sujet par New Corp Conseil révèle que le marché des levées de fonds de la Biomim’deeptech française, ces dix dernières années, représente déjà près 0,5 milliards d’euros. Sur les vingt premières du classement, et si le secteur le plus représenté reste le domaine médical, quatre d’entre elles offrent des solutions pour répondre à des enjeux urbains.

Que l’on parle de matériaux régénératifs, de capteurs imitant les sens, de structures prenant la forme des arbres pour végétaliser les espaces minéraux de la ville, ou encore de systèmes de polyagriculture urbaine en autonomie complète, la Biomim’deeptech est un vivier d’inspiration et de créativité pour les urbanistes et les architectes, à la fois intégrateurs de solutions et d’usages, qui œuvrent pour tendre vers l’objectif commun de notre industrie : créer une ville modèle en matière d’adaptation, plus durable, plus saine, plus inclusive, protégeant la biodiversité au bénéfice de la santé du plus grand nombre. C’est ce qui définit cette ville biomimétique que Bechu & Associés cherche à promouvoir en la construisant au travers de ses réalisations et de partenariats scientifiques et techniques.

Des liens essentiels à créer pour que la science rejoigne mieux notre réalité quotidienne.

Parmi nos collaborations, citons le CEEBIOS (Centre d’études et d’expertise en biomimétisme), au sein duquel nous avons co-fondé le Biomim’City Lab, groupe de travail composé de maîtres d’œuvre et maîtres d’ouvrage engagés dans la démarche, avec qui nous partageons nos expérimentations éprouvées et développons des outils concrets pour favoriser son appropriation auprès des autres acteurs de la ville. Le biomimétisme est en effet par nature une approche pluridisciplinaire, dont la réussite tient à deux éléments clés. Le premier : que le bien-fondé de la pratique soit partagé par l’ensemble des parties prenantes, avec un coordonnateur, en général le concepteur, ayant une expérience pratique de la méthode. Le deuxième : que les objectifs à atteindre au regard des contraintes imposées par le site, le climat et/ou les différentes données de cahier des charges, aient été bien formulés dès le démarrage. Ces outils open source sont consultables sur leur site internet. 

 

Cas concrets de projets réalisés par Bechu & Associés 

Depuis plusieurs années, nous avons testé et éprouvé la démarche bio-inspirée à différentes échelles de projet. Qu’ils aient été réalisés ou pas, leur conception a été poussée à des stades suffisamment avancés pour que les résultats escomptés puissent être validés par des projections de calculs scientifiques et techniques. Ils répondent tous à des enjeux durables identifiés en amont. 

  • Réduire le besoin de matière par l’allégement des structures 

La nature optimise ses structures pour être efficiente et économe en ressources. L’exosquelette de la tour D2 inspiré par ceux que l’on observe chez certains animaux nous a permis d’économiser 30 % de matière par rapport à une structure plus conventionnelle de même gabarit.

  • Favoriser le confort d’été quand il fait trop chaud 

La morphologie crénelée de Mimésis conçu pour le territoire niçois très impacté par l’augmentation des températures, nous a été inspirée par le ferocactus, plante capable de s’autogénérer un microclimat rafraîchi pour s’adapter localement. En augmentant la surface d’échange thermique, nous avons réduit le rayonnement solaire de 70 %. 

  • Economiser des énergies de manière passive

ASARI, unité de recherche construite en plein désert marocain a été conçu selon des principes écosystémiques et low tech pour créer un équilibre écologique entièrement passif, optimisant les éléments naturels tels que les vents et le sable pour minimiser l'impact énergétique. 
En Russie, le quartier de logements des chercheurs du Skolkovo Innovation Center s’inspire de l’organisation sociale des manchots sur la banquise qui se regroupent pour conserver la chaleur. Les maisons agencées à leur image, forment des micro-communautés génératrices d’ilots de chaleur quand il fait un froid extrême, pour ainsi gagner 5°C de température. 

  • Comment concevoir des bâtiments à impacts positifs pour leur environnement ?

Projet en cours, la création d’une unité de recyclage de biodéchets au sein d’une ferme algale, met en œuvre une technologie biomimétique 100 % naturelle, grâce à un procédé associant bactéries et microalgues dans des milieux fermés. Un pilote verra prochainement le jour à Brezolles dans la région Centre-Val de Loire. 

 

On dit souvent que l’on protège ce que l’on aime et que l’on aime ce que l’on connaît. Apprenons à mieux comprendre notre environnement, pour mieux l’aimer, le protéger, et qu’il nous protège ainsi en retour.

 

Un article signé Clémence Bechu, directrice associée de l’agence d’architecture et d’urbanisme Bechu & Associés


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