Réseaux d’eau : "La solution sera politique"

Rédigé par

Léon Perret

Chargé de mission ville durable

1049 Dernière modification le 16/04/2024 - 11:00
Réseaux d’eau :

A l’occasion du salon Cycl’eau, à Toulouse les 27 et 28 mars derniers, experts et représentants de la région Occitanie ont échangé sur les réseaux d’eau à l’épreuve des générations.


Une table ronde introduite par l’hydrobiologiste Antoine Orsini, dont l’objectif était d’éclairer les intervenants sur les enjeux de la gestion de l’eau à l’heure du « bouleversement climatique ». Trop souvent résumée à un enjeu financier, la question du renouvellement des réseaux d’eau français se pose également en termes de gouvernance.


Le climat tempéré français a longtemps entretenu l’illusion que l’eau était disponible à profusion, mais sa raréfaction est désormais une réalité. En 2022, tous les départements ont été touchés par des interdictions d’utiliser la précieuse ressource, comme autant d'alertes sur l’urgence de la situation. Grand absent de l’agenda politique, cet enjeu doit pourtant être intégré pour mieux appréhender l’état actuel des réseaux d’eau. Impensé générationnel, il ressurgit aujourd’hui, et les collectivités territoriales doivent faire face à un mur d’investissements pour rattraper le temps perdu.

Stopper la fuite en avant

De plus, le transfert de la compétence « eau » des communes vers les intercommunalités, prévu pour 2026, crée une situation ambivalente, certains maires pouvant être tentés d’adopter une posture passive malgré l’urgence, conscients qu’elle ne sera bientôt plus de leur ressort. La mesure est néanmoins cohérente pour une allocation plus efficace des ressources et une interconnexion à l’échelle départementale. Aude Witten, de l’agence de l’eau Adour-Garonne, l’estime même nécessaire pour établir une programmation financière à moyen-long terme au service de la transition écologique et mettre en avant une solidarité intercommunale. Le sujet des réseaux d’eau constitue ainsi, à l’heure actuelle, un enjeu tant politique que financier.

Le constat est pourtant équivoque. Avec 40 % des infrastructures construites avant 1970 et toujours en service, on parle même d’un « papy-boom » du réseau d’eau français. La situation semble partie pour durer au vu du taux de renouvellement actuel, d’environ 0,65 % en région Occitanie - soit un cycle complet de 150 ans – un chiffre bien éloigné des impératifs imposés par la raréfaction de la ressource en eau. En effet, en région rurale (plus sévèrement touchée par la vétusté des réseaux), les taux de fuites atteignent parfois 50 %. Et si capter un litre pour deux de prélevés ne constituait pas un problème majeur au siècle dernier, la situation a depuis évolué.
Réseau31, syndicat mixte de l’eau et de l'assainissement de Haute-Garonne, établit ainsi à 1,2 % le taux de renouvellement à atteindre pour moderniser à temps les réseaux. Néanmoins, ce « mur d’investissement » ne doit pas être considéré comme un obstacle infranchissable. Selon Aude Witten, « il est possible de financer le long terme avec le long terme », en considérant que les fuites représentent des pertes d’argent annuelles considérables et que les tuyaux installés peuvent rapidement s'amortir.

Faire payer le vrai prix de l’eau par rapport à ce que l’on perçoit.

Gouvernance et investissements : le flottement

L’hydrobiologiste Antoine Orsini déclarait lors de la plénière du salon Cylc’eau : « Les solutions techniques et technologiques sont nombreuses en matière de gestion de l’eau, mais la solution sera politique. » Il convient d’abord de se pencher sur la dimension fondamentalement sociale du prix de l’eau. « L’eau paie l’eau », principe qui régit la tarification en vigueur, signifie que les services publics d’eau et d’assainissement se financent largement à partir des recettes de l’eau. Mais le modèle trouve ses limites lorsque la rareté de la ressource est sous-évaluée comme cela peut être le cas aujourd’hui. Pour Réseau31, l’enjeu est de maintenir une tarification sociale progressive tout en prenant en compte le coût du service : « Il faut faire payer le vrai prix de l’eau par rapport à ce que l’on perçoit. »

La question de la gouvernance se pose aussi sur l’implication de la population, à qui il faut faire accepter de nouvelles normes, sans forcément s’attaquer au portefeuille. Il apparait notamment que les baisses de consommation d’eau constatées pendant les périodes de restriction se maintiennent. Un effet cliquet encourageant qui rappelle aussi la place prépondérante du consommateur. Éric Cadore, président de la Commission eau et risque au Conseil régional Occitanie, estime « que l’on se renvoie trop la balle », et que la responsabilité est l’affaire de tous, particuliers, secteur agricole et institutions. D’autant que la rénovation des canalisations est aussi un enjeu de santé publique ; les tuyaux en PVC posés avant les années 1980 altérant la qualité de l’eau potable.

Des technologies au service de l’optimisation des ressources en eau

Pas d’attentisme cependant en région Occitanie, comme l’ont prouvé les acteurs présents lors du salon Cycl’eau. Plusieurs solutions ont été présentées, aussi bien en matière d'efficacité que d’économie de la ressource en eau.
A Toulouse, un centre d’hypervision permet notamment une meilleure évaluation du réseau d’eau grâce à des capteurs qui préviennent les fuites et gèrent la pression. Il permet ainsi à la métropole de devenir un bon élève en matière de taux de captation du réseau d’eau. Une station de réutilisation des eaux usées permet également l’arrosage du stade, l’alimentation d’une station de métro et des camions hydrocureurs mais reste son bénéfice reste anecdotique, gêné par les normes françaises particulièrement strictes sur la question des eaux usées.
 

Les responsabilités doivent être prises à la sortie du tuyau.



La Compagnie d'Aménagement des Coteaux de Gascogne (CACG), détenue en majeure partie par des collectivités territoriales, a présenté quant à elle son réseau de distribution d’eau directement à la parcelle. Les canalisations délivrent à la fois les rivières naturelles (70 % de l’eau distribuée), les territoires agricoles et les particuliers. Avec le système Neste, vaste réseau hydraulique permettant d’alimenter 1 500 kilomètres de rivières, c’est un moyen de répondre à l’enjeu de la disponibilité de l’eau et à l’épuisement des cours d’eau du fait du réchauffement climatique. Le témoignage d’un représentant des agriculteurs aurait somme toute été intéressant autour de cette table ronde, lorsqu’on sait qu’environ 60 % de l’eau est prélevée pour les besoins agricoles.

Dans le cadre d’un perfectionnement des réseaux d’eau, l’efficience énergétique de ces derniers est donc une priorité, 90 % de l’énergie consommée l’étant pour mettre l’eau sous pression. Réseau31 considère cet axe d’amélioration énergétique comme une opportunité, en développant par exemple l’hydroélectricité sur le canal de Saint-Martory grâce à des microcentrales qui permettent de s’approcher d’une autonomie énergétique en utilisant seulement le gravitaire. Un moyen de s’approcher de 100 % d'autoconsommation et de profiter des recettes de fonctionnement dégagées par ces microcentrales. Une démarche innovante d’optimisation des coûts, respectueuse de l’environnement, qui invite à imaginer de nouveaux modèles économiques.

Le renouvellement des réseaux d’eau est un chantier urgent auquel les collectivités et les institutions doivent s’atteler, soulevant des questions de gouvernance et de réalités financières préoccupantes. Les solutions technologiques et techniques peuvent permettre une meilleure optimisation des réseaux, d’autant que - à l’instar des acteurs publics et privés qui exportent leur modèle - les outils existent en France. Même si une partie de la solution peut venir du législatif, de la technique et des acteurs en charge des réseaux, les responsabilités doivent être prises aussi à la sortie du tuyau, et les usages peuvent évoluer.

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