Biodiversité et cadre bâti, vers de nouvelles synergies

Rédigé par

Nicoleta SCHIOPU

Dr. Research Engineer / PhD Chemistry – Environmental Sciences

2262 Dernière modification le 13/10/2023 - 11:29
Biodiversité et cadre bâti, vers de nouvelles synergies

La prise en compte des interactions positives et négatives entre biodiversité et cadre bâti est essentielle pour guider l'aménagement urbain. Parmi les méthodes, outils et trajectoires, l’hybridation de deux expertises – l’écologie et l’analyse de cycle de vie –  s'inscrit en cohérence avec les démarches considérant la synergie entre enjeux climatiques et biodiversité.


Le milieu urbain est à la fois une source d’impacts sur la biodiversité et un levier pour atténuer son déclin, voire l’améliorer. De plus, nature en ville et biodiversité sont en lien fort avec les enjeux d’adaptation au changement climatique (contribution à la réduction d’ilot de chaleur urbain par exemple), carbone et de sobriété foncière. En effet, deux des cinq causes de perte de biodiversité sont le changement climatique et le changement d’habitat/d’occupation du sol. L’expérience collective a montré qu’il était aujourd’hui nécessaire de mettre en cohérence les développements scientifiques avec les initiatives gouvernementales récentes (SNBC, CAP 2030, SNB3, ZAN, etc.).

Une réponse aux besoins opérationnels

Les démarches actuelles incitent à la considération de la synergie entre les enjeux de changement climatique et de biodiversité, comme le montre l’initiative internationale portée conjointement par le GIEC et l’IPBES. Les différents acteurs de la construction souhaitent dorénavant intégrer dans l’aide à la décision les enjeux de biodiversité au même titre que l’énergie ou le carbone. Un exemple emblématique est le projet CAP 2030 qui vise à aller plus loin que la RE2020. Les acteurs de la construction souhaitent disposer d’outils permettant d’évaluer objectivement leurs opérations, de les challenger en fixant des objectifs biodiversité spécifiques à leur projet, et de les aider dans le choix des solutions pour y parvenir. Ainsi, à l’instar de la stratégie carbone, il semble pertinent de mettre à disposition des méthodes et outils permettant le calcul d’indicateurs spécifiques à la prise en compte de la nature en ville et des données permettant la construction d’une trajectoire biodiversité. 

Les méthodes actuelles : des bases solides pour franchir une nouvelle étape  

Pour répondre aux enjeux de préservation de la biodiversité, de nombreuses démarches se sont développées. Elles se déclinent notamment dans les certifications et labels multithématiques ou spécifiques à la biodiversité urbaine. Intégrées ou en complément de ces développements, des méthodes de calcul ont été établies pour considérer la biodiversité in-situ (e.g. le CBS - Coefficient Biotope Surfacique), ex -situ (e.g. le GBS - Global Biodiversity Score) ou les deux (i.e. Méthode HIBOU - Hybride des Interactions BiOdiversité ‐ système Urbain).  

Ces dernières années, la collaboration entre structures avec des compétences complémentaires a permis d’avancer sur la compréhension des interactions entre le cadre bâti et la biodiversité, afin de transposer les grands principes en méthodes et outils opérationnels. L’ensemble de ces méthodes et les enseignements acquis lors de leur utilisation sont des bases solides et essentielles pour passer à une nouvelle étape : l’établissement d’une méthode harmonisée et d’outils adaptés pour une utilisation systématique.

Une approche systémique et une méthode performancielle harmonisée  

Face aux enjeux, il est essentiel de garantir l’objectivité des évaluations et la pertinence des actions envisagées aux différentes étapes du cycle de vie du projet. Cela implique de qualifier et quantifier les impacts positifs et négatifs selon une approche systémique (biodiversité, eau, sols, qualité urbaine, etc.), via une méthode performancielle harmonisée. Un sacré défi ! 

Ainsi, nous proposons une méthode selon l’approche hybride analyse de cycle de vie (ACV) – écologie, auxquelles s’ajoutent des expertises en hydrologie, climatologie, sciences sociales, etc. Le socle de la méthode harmonisée pourrait être la méthode hybride appelée HIBOU¹ qui permet de considérer les Solutions fondées sur la nature (SFN) dans l’évaluation des projets d’aménagement urbain et de mettre en visibilité leur multifonctionnalité. 

Cela est possible grâce à la modélisation cohérente des SFN pour les différents enjeux : biodiversité, eau, sols, changement climatique, qualité urbaine, gestion financière. Le caractère systémique est ainsi assuré par l’utilisation d’une sémantique commune et des modèles interdépendants entre les différents domaines. Ainsi, une variation de paramètre pour répondre à un des enjeux aura automatiquement un impact sur les autres. 

Par exemple, le rôle d’une toiture végétalisée intensive dans l’isolation du bâtiment (impact potentiel sur la consommation énergétique) et l’éventuelle consommation d’eau pour son arrosage sont considérés dans les indicateurs environnementaux du bâtiment (énergie, carbone, eau), au même titre que les services écosystémiques confort d’été, gestion de l’eau ou création d’habitat pour la biodiversité.

L’analyse coûts - bénéfices (ACB) liée à l’implémentation d’une ou d’un bouquet de SFN (versus les alternatives disponibles ou en synergie avec des solutions grises et/ou douces) doit également être réalisée pour une aide à la décision éclairée. 

Pragmatisme et interopérabilité 

Pour les outils numériques spécifiques aux enjeux de nature en ville et biodiversité, plusieurs approches sont envisagées :

  • Inclure des développements dans les outils existants traitant des enjeux énergie- environnement des projets à l’échelle bâtiment (outils ACV à l’échelle bâtiment estampillés RE2020) et quartier (i.e. URBANPRINT, basé sur la méthode Quartier Energie Carbone),  
  • Développer des outils spécifiques aux enjeux de nature en ville permettant de se focaliser sur un aspect en particulier (e.g. biodiversité), 
  • Développer un outil spécifique aux enjeux de nature en ville permettant de se focaliser sur plusieurs aspects (e.g. biodiversité, ICU, GEP, etc.) pour le calcul des impacts positifs et négatifs lors des projets d’aménagement. 

Les développements sont menés selon une démarche d’interopérabilité et en cohérence avec la stratégie pour la transition numérique, en prenant en compte les avancées sur la gestion des données territoriales et des projets. 

La représentation des résultats liés aux enjeux de biodiversité : un vrai défi !

Si, pour le changement climatique, un seul indicateur qui agrège l’ensemble des émissions de gaz à effet de serre (i.e. l’équivalent CO2) a été considéré comme pertinent, pour la biodiversité, les communautés scientifiques et opérationnelles s’accordent sur le fait qu’une famille d’indicateurs est nécessaire afin de rendre une image plus claire de la complexité du sujet biodiversité. L’agrégation dans un seul indicateur n’est pas souhaitable. 

Pour la biodiversité in situ, le Coefficient Biotope Surfacique harmonisé (CBSh) est l’un des indicateurs retenus par le GT 7 Biodiversité dans le cadre des travaux CAP 2030. Avec des résultats compris entre 0 et 1, il permet de comparer l’évolution du potentiel biodiversité avant et après projet. Le CBSh prend en compte les surfaces végétalisées en fonction de l’épaisseur de leur substrat et de la combinaison de strates végétalisées qu’il supporte. À ce jour, la nomenclature CBSh est composée de 31 typologies d’occupation des sols différentes, ce qui permet d’atteindre un niveau de détail suffisant pour caractériser la diversité des paysages urbains. 

Le calcul d’indicateurs concernant la biodiversité ex situ, est réalisé à partir des sorties d’outils répondant à la RE2020 (i.e. les RSEE - Récapitulatif Standardisé d'Étude Énergétique et Environnementale). Le PDF² (potentially disappeared fraction of species) est considéré comme l’unité de mesure la plus adaptée par les experts réunis dans différentes instances comme le comité européen de normalisation CEN TC 350 - Contribution des ouvrages de construction au développement durable (2016). Cependant, malgré les avancées, l’utilisation des méthodes basées sur l’ACV et le calcul d’un PDF restent actuellement timides, le sujet étant encore perçu comme complexe par les acteurs mais aussi comme une piste intéressante à moyen terme. 

Concernant le changement climatique, les ordres de grandeur sont connus du grand public et des outils sont disponibles librement, comme le calculateur bilan climat mis à disposition par l’ADEME. Ainsi, en 2023, nous partons d’un niveau émissions de gaz à effet de serre de 10t/an/habitant et nous devons atteindre les 2t/an/habitant d’ici 2050. Quid de la biodiversité ? Que vise-t-on pour 2050 ? Quels objectifs fixer pour contribuer efficacement à l’amélioration de l’état de la biodiversité globale ? Au-delà des valeurs, quelle représentation visuelle des impacts ? Il s’agit là de questions posées mais encore ouvertes. 

Pour fixer ce type d’objectifs et des valeurs qui ont du sens, des méthodes harmonisés issues de la concertation et des expérimentations élargies sont nécessaires à l’instar de ce qui a été mis en œuvre pour obtenir des valeurs et seuils pertinents pour les émissions carbone. Le CSTB participe à des travaux dans ce sens et reste à disposition des acteurs qui souhaitent y contribuer. 

 

Un article signé Nicoleta Schiopu, responsable de l'équipe Biodiversité et Nature en ville et Aline Brachet, experte Biodiversité et Nature en ville au CSTB. 


Article suivant : Monitoring de la biodiversité : mesurer notre impact, sauver nos espèces


Revenir à la page d'accueil du dossier

 

Partager :