Vers un habitat accompagnant le « bien vieillir » 

Rédigé par

La rédaction C21

927 Dernière modification le 02/01/2024 - 15:26
Vers un habitat accompagnant le « bien vieillir » 

Directeur de projet au sein du pôle logement pour SOHO Architecture, Guillaume Sicard a initié et coordonné Le Printemps de l’Hiver, une étude consacrée au bien-vieillir en ville pour la Maison de l’Architecture d’Île-de-France. Il revient sur ce travail qui invite à faire un pas de côté pour nous intéresser aux seniors, à leurs usages, besoins et envies et propose de réfléchir à un parcours résidentiel pour nos aînés aux trois échelles de la ville : celles du territoire, du quartier et de l’habitat. 

Depuis l’hospice (1801) à l’EHPAD (loi no 2002-2 du 2 janvier 2002), la réflexion sur l’habitat des aînés n'avait été abordée que par le filtre de la dépendance et de son aspect sanitaire. À l’heure actuelle, les réflexions réintègrent les aînés dans la vie de la cité et portent sur l’accessibilité au sens large, la cellule familiale et son évolution au fil d’une vie, ainsi que sur la notion de parcours résidentiel en intégrant la perte d’autonomie. La santé fait partie intégrante de l’urbanisme et des aménagements du territoire et les politiques commencent à intégrer les dimensions transversales, intergénérationnelles et multiscalaires propres à la pluralité des parcours de vie et des nouveaux besoins des personnes âgées. Le parcours résidentiel, souvent associé à la parentalité et à l’activité professionnelle, doit désormais intégrer les aînés afin de créer une ville favorable à la santé et plus inclusive.

Cette nouvelle étape dans le parcours résidentiel, après la vie active et avant l'éventuel accueil en institution, est un espace-temps que nous devons mieux appréhender pour définir les nouveaux usages, à l’échelle de la ville et du territoire. Cette vague grandissante de seniors autonomes bénéficie d’un temps nouveau et attend un nouveau cadre de vie sur leurs territoires de vie. Plusieurs interrogations surgissent telles que les attentes des seniors, leurs parcours, leurs histoires, leurs nouvelles habitudes de vie, comment adapter les logements et le territoire à ces besoins souvent peu exprimés (le modèle économique, la ville, la volonté d'être avec différentes générations, etc.). À l’image du projet « maison pour personnes âgées » de l’architecte Junya Ishigami, la majorité des Français souhaite rester chez eux le plus longtemps possible. Comment est-ce possible et selon quelles modalités ? 

Les solutions existantes liées à l’âge : du chez soi à l’établissement spécialisé

La France compte des milliers d’EHPA dont 75 % sont des EHPAD (chiffres 2016). Le quart restant, destiné à des personnes âgées autonomes, est composé de résidences services ou autonomies. Les EHPAD d’aujourd’hui traversent une crise existentielle renforcée :

  • par le contexte sanitaire de 2020 qui a mis en exergue des problématiques liées à l’institutionnalisation des personnes,
  • par la publication du livre-enquête Les Fossoyeurs (Fayard) dans lequel les révélations du journaliste Victor Castanet sur les malversations d’un groupe à but lucratif ont débouché sur des contrôles renforcés, des règles budgétaires plus strictes et davantage de transparence dans les établissements sans toutefois avoir engagé la réflexion sur le taux d’encadrement. 

Émergence du collectif associé à des services adaptés 

Le contexte et les attentes envers ces établissements sont en pleine évolution. L’allongement de l’espérance de vie permet de distinguer plusieurs vieillesses. Les trajectoires de vie engendrent des besoins et des attentes variées chez les aînés. Notre devoir de professionnels de l’architecture et de l’urbanisme, comme de simples citoyens, est de tenir compte de cette diversité.  Chacun doit pouvoir choisir le lieu dans lequel il souhaite vieillir sans que l’EHPAD apparaisse comme l’unique solution. Transformer son « chez-soi » pour anticiper cette période de vie devient un acte de réflexion majeure : reconfiguration spatiale, adaptation des pièces, optimisation de l’espace. Malgré le lien affectif et symbolique fort que les aînés entretiennent avec leur habitat, le collectif associé à des services adaptés peut apparaître comme une solution au maintien à domicile. En effet, il sécurise et rompt l’isolement. Il est établi qu’une vie de qualité, pour chacun d’entre nous, consiste à rester dans son domicile tout au long de sa vie.  Or, cela n’est pas toujours possible.

La trajectoire démographique est incontestable : la population des 85 ans et plus en France va très vraisemblablement croître de 2,6 % par an en moyenne à l’horizon de 2051 . Cette croissance est principalement due à l’allongement de la durée de la vie et à l’arrivée à l’âge de la retraite des baby-boomers. Les plus de 60 ans représenteront 33 % de la population française en 2040 contre 21 % aujourd’hui. 

En plus de l’habitat individuel et de l'EHPAD, d’autres modes d’habitat existent : les maisons communautaires, les colocations intergénérationnelles, les villages seniors, le béguinage, l’habitat inclusif ou participatif, etc. 
Le rester chez-soi (domicile adapté, domicile transformé, logement en famille), la colocation (colocation intergénérationnelle, Accueil familial), l’habitat participatif (habitat solidaire, béguinage, habitat communautaire), les résidences (résidences services, résidence autonomie, village-séniors, MARPA), les établissements (établissement d’hébergement pour personnes âgées (E.H.P.A), établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (E.H.P.A.D)), l’accueil spécialisé (accueil de jour, USLD, PASA)

Les solutions à l'échelle du territoire : trouver les adaptations possibles du territoire tout en restant bienveillant et respectueux envers nos aînés et leur autonomie

Au-delà de l’offre de logements, les fonctionnalités du logement et son positionnement au sein d’un environnement urbain doivent être pris en compte. L’ouverture sur la ville et le quartier est source de rencontres, de partage, de solidarité. Le « chez-soi » va au-delà des portes du domicile, et l’environnement peut être propice au sentiment de mobilité et de sécurité.  Des solutions existent pour permettre à tous de vivre sereinement sur les territoires tels que des aménagements au niveau de l’accessibilité, d’offres de commerces et de services de proximité. Cela engage à réfléchir à un maillage de services, d’offres de soins, d’activités qui servira à tous.

À ce titre, deux stratégies en cours émergent sur le territoire national :

  • La première par les établissements publics EpaMarne-EpaFrance, qui cherchent à compléter leur offre sur les territoires dont ils ont la charge par le développement de programmes atypiques qui compléteraient le parcours résidentiel sénior évoqué. Je pense notamment aux réflexions en cours sur la commune de Chanteloup-en-Brie, portées par son maire Olivier Colaisseau que nous avions interviewé dans le cadre du Printemps de l’Hiver. 
  • La seconde par l’agence d’urbanisme de la région nantaise (AURAN) dont la métropole a pour ambition de réduire les inégalités sociales et territoriales de santé, et de favoriser le bien-être physique, mental et social de tous les habitants. Pour cela l’AURAN, dans sa démarche « seniors friendly », identifie des fonciers potentiels pour des programmes à destination des plus vulnérables dont les seniors en interrogeant les praticabilités effectives : trottoirs, traversées, bancs, sanitaires, arrêts de transport public et espaces verts. 

Les solutions à l’échelle du quartier 

Penser une forme d’organisation basée sur une logique domiciliaire suppose également l’intégration des aidants notamment des familles dans le projet de vie des habitants. Repenser un lieu de vie, suppose de respecter une liberté d’aller et venir, donc le choix de prendre des risques qui doit être partagé avec les familles.  Aussi et pour garantir une vie de qualité pour l’habitant, c’est lui permettre de faire des choix, de maintenir la notion de plaisir parmi des activités variées, mais aussi parmi les potentialités de rencontres. La vision domiciliaire induit alors une urbanité désirable par un réseau en maillage des offres liées par l’espace public. 

« L’espace public permet aussi un lien social spontané entre des personnes qui n’avaient pas forcément envisagé d’entrer en interaction. Plus l’on parvient à générer cette spontanéité dans la rue, sur les places, dans les parcs, plus la ville assume sa force. » - Sonia Lavandiho Interview réalisée le 23 septembre 2020 à la Maison de l’architecture Île-de-France par Guillaume Sicard)

Aussi, nous devons prendre en compte la mobilité des seniors dans nos villes pour faciliter les déplacements entre les différents espaces afin d’éviter la création d’environnements isolés. Les détails comme le placement judicieux d'un banc ou la facilité de déplacement dans la ville sont cruciaux pour le bien-être des personnes âgées. Notre objectif est d'inciter les décideurs à prendre en compte ces aspects souvent négligés et à repenser les espaces urbains pour qu'ils soient inclusifs, accessibles et agréables pour tous avant de proposer une habitabilité. Par ailleurs, la marchabilité, ou plus largement le pari de la proximité des services accessibles avec le concept de la ville du quart d’heure de Carlos Morenos, participe à la réflexion du bien vieillir en ville car il génère une activité quotidienne pour se maintenir en forme. 

« L’activité physique ralentit les changements physiologiques liés à l’âge, améliore la santé des personnes âgées dans ses dimensions physique, sociale et psychique et contribue à la prévention des pathologies chroniques liées à l’âge. » - Prescription d’activité physique et sportive : Les personnes âgées - Haute Autorité de Santé - Juillet 2019)

Les solutions à l’échelle de l’habitat : 

La pluralité de programmes sur le territoire questionne désormais les formes d’habiter à tout âge de la vie. La société, les modes de vie et les organisations familiales évoluent. Le projet résidentiel doit suivre les projets de vie et nous devons offrir des cadres de vie où chacun peut être acteur, maître et citoyen de son avenir. À l’instar du modèle de l’EPHAD qui se questionne aujourd’hui pour revenir à des logiques domestiques, l’habitat doit faire le cheminement inverse en prenant en compte la prise en charge et les réciprocités entre résidents et acteurs du territoires. 
Pour répondre à cela, nous proposons diverses solutions qui recréer des réciprocités sociales :

  • L’intergénérationnel : Par la réactivation d’habitats familiaux où les générations s’entraident. 
  • L’interdépendance : Par la création de communautés solidaires où les populations fragilisées recréent du lien.  
  • L’inter-services : Par la conception d’un lieu multifonctionnel où l’offre associative et d’habitat est flexible et évolutive en fonction des besoins.


L’agence SOHO Architecture travaille actuellement sur ce type de projets qui relie mixité programmatique, plaisir d’habiter, urbanité désirable et prise en compte des aidants et des aidés dans un parcours résidentiel. Je pense à l’EPHAD et résidence autonomie de Valdahon dans le Doubs (25) que nous livrerons en 2025. Je pense à des réflexions que nous avons eues sur des MARPA à Salles-sur -l’Hers et Portel-des-Corbières dans l’Aude. 
Ces réflexions nous animent aussi autour d’appel à manifestation d’intérêt où nous proposons des programmes atypiques tel que celui lancé par le CARSAT Normandie à Saint-André-de-l’Eure en proposant notamment une maison familiale et une colocation intergénérationnelle. Dans le cas de la colocation intergénérationnelle, l'aidant vivait à l'étage supérieur et avait son propre espace tout en restant en relation directe avec les seniors : cela permettait de proposer des loyers très modérés. Nous avons également envisagé un modèle de béguinage avec une approche plus flexible en le dilatant quasiment sur un kilomètre. L'idée est de permettre une densification douce à l'intérieur du béguinage suivant les besoins futurs.


Un article signé Guillaume SICARD, Directeur de projet au sein du pôle logement pour SOHO architecture 


Article suivant : La communauté , cœur battant des besoins de santé : l'inspiration danoise


Revenir à la page d'accueil du dossier

Partager :