[Opinion] Tribulations d'un humble formateur à l'urgence climatique

Rédigé par

Rodolphe Deborre

Directeur Innovation et Renaissance Ecologique

830 Dernière modification le 18/07/2023 - 15:49
[Opinion] Tribulations d'un humble formateur à l'urgence climatique



Tribulations d'un humble formateur à l'urgence climatique - Par Rodolphe Deborre

 

Depuis 2 ans, je forme tous les collègues de Rabot Dutilleul (France) et de Louis de Waele (Belgique) à l’urgence climatique, plus les ex-collègues de Tisserin (France) et quelques clients et invités. Son format est « open source » et plusieurs organisations l‘ont depuis reprises en intra ou interentreprise dont l’association Maille Immo (Roubaix). Je réalise aussi quelques prestations pour aider l’un des co-inventeurs du format bien particulier que j’utilise.

900 personnes, 60 formations, 480 heures fin juin 2023… à suivre

Ce format de formation a été mis au point avec Clément Hostache de Share and Smile et Emilie Honoré de Nacarat, sur la base de la légendaire Fresque du climat pour la prise de conscience et Fresque de la Renaissance écologique pour l’espoir un monde possible.

Ces formations avaient été rendues obligatoires par les directions générales de ces entreprises, au sein d’un programme de décarbonation. La formation obligatoire : ça change tout.
Des journées bien remplies, entre 8 personnes silencieuses ou 100 personnes bruyantes.

Que retenir ?
La première question de la journée est : pourquoi êtes-vous venu ? Et la réponse ultra majoritaire est : « parce que c’est obligatoire ». J’en conclus que l’immense majorité de ces gens n’a pas d’intérêt personnel particulier à se cultiver sur le sujet du climat. 

Bien sûr, il y a des exceptions, mais elles restent des exceptions et elles vont dans les deux sens : il existe quelques rares « fans » du le sujet, il demeure quelques rares sceptiques.

La Fresque du Climat fait mouche dès qu’on s’assure que le public respecte ou admet voire comprend la science. J’utilise beaucoup de métaphores ou de comparaisons et je compare le consensus scientifique du GIEC avec le fait que la Terre soit ronde. Tout le monde sait et croit que la Terre est ronde bien que tout le monde la voie plate. Et la verra plate puisque personne ne sera jamais astronaute dans nos formations. Et pourtant elle est bien ronde. Ils croient donc dans la science qui a calculé la Terre ronde. 

Il suffit de se mettre dans le même état d’esprit avec le GIEC et la Fresque du Climat.

Le lot 1 de la Fresque du Climat permet de respecter encore davantage la science, de comprendre que la Terre est une serre, de comprendre comment chauffe une serre, de comprendre qu’en brulant trop vite les réserves fossiles concentrées et accumulées il y a longtemps pendant longtemps, et bien ça pourrait poser un problème.

Les lots 2 et 3 démontrent tranquillement que le problème ne vient pas d’un seul « coupable » et donc qu’il est peu probable qu’il puisse avoir une solution unique. Le réflexe de trouver UN SEUL COUPABLE (et donc UNE SEULE solution) est très fort, quel que soit le binôme coupable/solution. En vrac : nucléaire, démographie, viandards, Chinois, riches jets privés, pollution. Or calmement, la science prend la photo de la situation sans juger quiconque. 

L’idée d’enlever entièrement les transports et de constater qu’il reste les ¾ du problème interpelle. A la fin du lot 3, la salle est plus apaisée, moins bruyante, plus attentive: les gens comprennent et veulent en savoir plus.

Nous utilisons le lot 4 pour casser l’ambiance et traumatiser. C’est fait exprès uniquement parce que la formation dure une journée et que l’espoir doit réapparaitre l’après midi avec la Fresque de Renaissance Ecologique.

Le lot 4 permet de prendre conscience du cataclysme total si jamais les calottes glaciaires fondaient, que cela dépend de 5 degrés, et que la nature s’adapte en 10 000 ans, et que nous pourrions le subir en... 100 ans, soit 100 fois plus vite. Cataclysme parce que la hauteur d’eau conséquente fait que les cartes géographiques que nous connaissons depuis toujours deviennent caduques. Cataclysme quand ils réalisent ce que x100 veut dire. 

Tout le monde met du temps à comprendre ce que 100 signifie. Je dis souvent que x100, c’est comme si on était 1500 au lieu de 15 dans la salle de formation, avec le même nombre de chaises, le même nombre de toilettes, de cafés ou de ventilation…

Arrive la métaphore reine de la matinée de prise de conscience : passer de beaucoup d’émissions de gaz à effet de serre à presque zéro, c’est comme rouler sur l’autoroute et ralentir à zéro km/h. Cela dépend de combien de temps on dispose. 10 000 ans, c’est le temps que met la nature. Tranquille Emile.

C’est comme quand nous voyons le péage à 1 km et que l'on a tout le temps du monde pour freiner. Parfois, les enfants à l’arrière ne se rendent compte de rien. 100 ans, ce n’est pas pareil… 100 ans c’est un peu comme si on était à 50 mètres d’un bouchon et qu’on est toujours à 100km/h ! Que faites-vous dans ce cas ? Eh bien presque tout le monde a le réflexe de piler, de mettre les warnings et de prier en regardant le rétroviseur que tout le monde fasse pareil. Et on y arrive : ça fait du bruit, ça fait peur, les ceintures de sécurité claquent mais on a nos chances. C’est un réflexe de survie.

Quant à ce qu’on ne fait pas quand on pile pour éviter à tout prix l’accident : on n’attend pas que les générations futures, certes mieux éduquées, passent le permis pour freiner à notre place ; on n’attend pas non plus que l’industriel de l’automobile invente un frein magique, se téléporte à coté des roues pour l’installer afin de qu’il freine seul, sans choc, sans même toucher le frein. Bref on ne croit pas aux miracles : on fait TOUT DE SUITE avec les moyens disponibles.

Tout le monde comprend cette métaphore à ce moment de la formation. Et tout le monde découvre qu’il faut PILER pour éviter les effets les plus graves de l’accident climatique.

Derrière, quelques vidéos bien senties avec l’info clé que de toute manière, nous retournerons vers un monde bas carbone, de gré ou de force (guerre (1939-1945), famine (crise de 1929) maladie (confinement Covid-19), comme le dit Jean-Marc Jancovici devant le Collège de France. Autant le faire de gré. Mais comment ?

A cette étape, le moral est souvent dans les chaussettes et seuls quelques combatifs lèvent la tête. Ça va mieux lorsqu’on les fait parler sur le bilan carbone personnel fait à partir du site Nos Gestes climat. Ça va mieux car ça va toujours mieux quand on parle, ça va mieux quand on comprend que le climat est un sujet quantitatif, un sujet de réduction, pas un sujet dogmatique de suppression. 

Ça va mieux aussi parce qu’il y a toujours des collègues qui sont déjà à 5tonnes de CO2 par an, soit la cible de 2030. Enfin, et c’est spécifique à quelques secteurs qui décarbonent, ça va mieux parce que Rabot Dutilleul est dans un secteur (la construction) et dans une démarche qui décarbone.

Déjeuner végétarien où l’ambiance remonte petit à petit.

La reprise se déroule avec humour grâce aux 12 caricatures qui retardent l’action climatique. Ces discours existent dans l’assemblée mais personne ne veut ressembler aux caricatures. Merci l’humour. Merci Bon Pote.

On enchaine, toujours avec humour avec un débat illustré sur les années 1990. Et petit à petit, le public réalise qu’en 30 ans, il est possible de faire des choses radicales. Et qu’ils l’ont déjà fait. Pourquoi ne pas refaire d'autres choses radicales ? Un peu comme une mi-temps de football où on est mené 2-0, mais qu’il reste 45 min pour retourner le match ! Chiche ? Mais comment faire ?

Arrive ENFIN l’utopie graphique de la Fresque de Renaissance Ecologique : voici un monde bas carbone, de plein emploi, et pacifique. On est loin de guerre, famine, maladie, loin de Mad Max… ce n’est pas parfait au contraire de ce qui est parfois dit, mais... ça fonctionne. Et c’est mieux que guerre, famine, maladie, et ça donne un cadre de travail d’ici 2030.

Alors enfin les équipes sont dans l’état d’esprit de produire des idées de transformation de leur entreprise, de leur vie, des vies de leur écosystème pour enfin s’engager dans des actions en fin de journée. Cela fonctionne ou a fonctionné dans 100 % des formations jusque-là ! Ouf.

Que retenir ?
Qu’une bonne mécanique pédagogique peut accompagner des gens avec éthique dans la prise de conscience du danger et dans la volonté et la capacité d’affronter le danger et de réagir.

Que l’immense majorité des gens sont prêts à changer beaucoup de choses, à réduire leurs émissions mais à deux conditions : que les élites (au sens flou) changent également et participent fortement à l’effort collectif. Un sujet d’exemplarité, d’inspiration, de justice, de morale peut être.

Mais cela ne suffit pas. Les gens veulent également de la clarté, être guidés, accompagnés... car le champ des actions parait trop vaste. A titre personnel, moi qui suis plutôt créatif et spontané, cela m’étonne toujours, mais la réalité est là : les gens ont souvent besoin qu’on leur dise quoi faire avec clarté, efficacité, simplicité et honnêteté.

Que les gens, même avec les ordres de grandeur en tête, ne commencent pas souvent en s’engageant dans des actions significatives. La décarbonation la plus significative est LARGEMENT de contribuer activement à la décarbonation de l’entreprise (300 000 tCO2e/an vs 10 t pour un collaborateur moyen pour Rabot Dutilleul en 2022).

Et pourtant, les gens s’engagent d’abord dans des actions accessibles personnellement, pour eux voire pour leurs proches. C’est peut-être un effet psychologique ou sociologique, mais les gens commencent à s’engager avec mesure : ils démarrent la voiture en première, sans caler. Pourvu qu’ils se souviennent que ces petits engagements ne sont qu’un début. C’est la suite de notre programme de formation.

Les dirigeants ont donc de l’or dans les mains pour accompagner les collaborateurs dans la décarbonation de l’entreprise (donc de la rendre résiliente) et aussi dans la décarbonation des vies de chacun.

Mais pour y parvenir, pour vraiment agir, il faut d’abord comprendre… Tiens donc l’école, c’est important alors ?

(consulter la source)

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