Le POE : le test de vérité d'un bâtiment en exploitation

Rédigé par

Frédéric BOEUF

Consultant

1999 Dernière modification le 11/07/2023 - 00:00
Le POE : le test de vérité d'un bâtiment en exploitation

Réglementations thermiques, labels et certifications, outillages des maîtres d’œuvre via la STD et la SED…, de nombreuses démarches et dispositions concourent aujourd’hui à une meilleure performance du bâtiment et un plus grand confort des occupants. L’heure n’est toutefois plus de se baser sur des hypothèses d’usages, mais bien l’usage réel en exploitation : une exhaustivité vers laquelle tend l'évaluation post-occupation (POE).  

Les ambitions de performance et de confort dans les bâtiments ne cessent d’augmenter. Cela se traduit d’un côté par le renforcement des réglementations thermiques successives (RT2000, 2005, 2012, RE2020) et le développement de l’offre de certifications, labels et démarches environnementales, et de l’autre, par un outillage des maîtres d’œuvres et des capacités de conception accrues, notamment via le développement de la Simulation thermique dynamique (STD) et de la Simulation énergétique dynamique (SED).

Si ces approches permettent d’évaluer le confort en conception, elles ne se basent que sur des jeux d’hypothèses, et notamment d’hypothèses d’usage, traduisant le comportement des occupants pour un fonctionnement optimisé. Et c’est là qu’intervient l'évaluation post-occupation (POE), qui permet dorénavant une évaluation complète du confort des usagers en exploitation et une identification des écarts en fonctionnement optimum du bâtiment.  L’objectif : ne plus avoir de décalage entre l’usage réel en exploitation et les hypothèses prises en conception, tant pour le confort que pour les performances d’utilisation du bâtiment.   

Mais qu’est-ce que le POE ou audit confort ?

L'évaluation post-occupation (POE) ou audit confort est une approche socio-technique générale pour obtenir des informations sur l’usage et les performances d'utilisation d'un bâtiment, y compris la qualité d’usage, la performance énergétique, la qualité de l’ambiance intérieure, la satisfaction des occupants, l’usabilité, etc. Elle a été développée à partir du milieu des années 1960 dans les pays anglosaxons (USA, Grande-Bretagne et Australie).

Le POE s’intéresse au ressenti des utilisateurs et à la mesure de différentes variables climatiques. Il permet de cibler les sources d’inconfort ainsi que les dérives d’usage afin de déduire des solutions d’amélioration du confort et des corrections des paramètres de régulation de l’ambiance. S’il s’intéresse historiquement au confort thermique en particulier, il couvre désormais la qualité globale des ambiances, et donc du confort visuel, acoustique, de la qualité de l’air ainsi que de l’ergonomie des espaces ou du bien-être.
Dans tous les cas de figure, le POE débouchera sur une analyse de l’ambiance et des préconisations soit de type technique, soit de type formation/communication.

Plusieurs méthodes pour plusieurs objectifs

Il existe plusieurs méthodologies de réalisation d’audit confort qui se différencient en fonction des objectifs à atteindre.
Ces objectifs sont de plusieurs ordres :

  • Récolter une évaluation subjective (la perception, le jugement, les préférences, le souhait) des occupants sur les thématiques objets du POE
  • Déterminer les plages de confort par type de bâtiment, d’usage et/ou par climat
  • Évaluer et confronter différents indicateurs du confort
  • Étudier l’influence d’un système particulier sur le confort : chauffage par air, par rayonnement, ventilation, brasseurs d’air, éclairage, menuiseries extérieures, protections solaires, etc.
  • Cibler les sources d’inconfort dans le bâtiment afin de trouver des solutions correctives
  • Sensibiliser les occupants sur leur manière d’utiliser leur bâtiment et ses équipements
  • Faire en sorte que les occupants s’approprient la démarche d’amélioration des performances et de la qualité des ambiances du bâtiment

Le POE se caractérise donc par :

  • La prise de mesures plus ou moins détaillées de variables : températures, humidité relative, vitesse de l’air, concentration en CO2, luminosité, etc.
  • L’analyse subjective effectuée à partir de questionnaires réalisés par des utilisateurs du bâtiment
  • La détermination de pistes de résolution de l’inconfort constaté ou des préconisations d’actions

L’usager au cœur de la démarche

Quelle que soit la méthode utilisée, l’implication de l’occupant dans la démarche dès les premières phases est essentielle. En effet, les occupants jouent un rôle majeur puisque se sont bien eux les détenteurs d’un grand nombre d’informations sur les sources d’inconfort dans le bâtiment. La sensibilisation et la pédagogie sont très importantes, de façon à impliquer les occupants dans la vie de leur bâtiment, la pérennité de ses équipements, et dans leur propre confort. Un retour des usagers exhaustif permet une réponse ciblée et efficace.

L’avis d’un exploitant ou une maîtrise d’ouvrage sur leur bâtiment peut être biaisé par leur vision du bâtiment et de leur usage qui leur sont propres ou qui peuvent être liés aux retours qui peuvent ne pas être représentatifs de l’ensemble des usagers. La consultation des usagers intégrée à la démarche de POE permet de réaliser une consultation la plus exhaustive et transversale possible et de préciser à l’aide un cadre préformaté les retours des usagers. Ce cadre a été créé sur la base des études et normes sociotechniques portées sur le confort.

A minima, les occupants doivent être interrogés sur leur jugement, leur ressenti et leur préférence. En effet, prenons un exemple, lors de la consultation, les usagers peuvent déclarer ressentir une température d’air ‘très chaude’ mais au vu de leur activité et de leur préférence ils peuvent juger l’ambiance thermique uniquement ‘légèrement inconfortable’ et souhaiter qu’un léger refroidissement de l’ambiance. Nous avons rencontré ce cas de figure dans un hall commercial situé dans le Sud de la France. Les figures suivantes illustrent cette situation. Les températures relevées étaient relativement élevées mais les usagers (clients) ne ressentaient que peu d’inconfort puisqu’ils étaient principalement de passage, habillés de façon légère et qu’un courant d’air induit par une aération naturelle traversante permettaient d’améliorer leur ressenti.

La consultation permet également de préciser la fréquence de l’inconfort. En effet, un inconfort rare et un inconfort fréquent ne trouvent pas leurs sources au même endroit et par conséquent ne seront pas traités de la même façon. Par exemple, sur un projet d’école élémentaire, les usagers ont fait remonter une qualité d’air intérieure insatisfaisante régulière et de l’inconfort visuel rare. L’inconfort lié à la qualité d’air intérieur trouvait sa source dans un mauvais fonctionnement de la ventilation mécanique, l’inconfort visuel dans l’absence de la casquette végétalisée prévue en conception. Les solutions préconisées pour ces deux constats ont donc été la réparation de la CTA défectueuse et l’installation de protections solaires.

Les usagers ont également fait remonter de l’inconfort chaud. Grâce aux solutions proposées pour résoudre les autres sources d’inconfort, cet inconfort chaud s’est vu directement diminué et les solutions complémentaires nécessaires pour résoudre le reste d’inconfort plus facilement accessibles.
Ces préconisations ont été possibles grâce à l’approche exhaustive du POE.

La mesure permet une analyse complémentaire et des actions proportionnées

Les retours des usagers étant subjectifs, issus de leurs histoires psycho-socio-affectives, il est important d’ajouter l’analyse des conditions d’ambiance. Cette donnée permet dans un premier temps de quantifier l’inconfort. L’usage de méthode d’évaluation du confort peut être alors pertinente et permettre de déterminer son ampleur en fréquence et en amplitude. L’analyse de données de mesure permet également d’apporter une information précieuse sur le comportement et l’usage du bâtiment. Par exemple, la figure ci-dessous illustre un cas de figure récurrent : deux appartements similaires d’un même bâtiment (même configuration, même orientations, même nombre d’occupants, etc.) avec des courbes de températures différentes.

Dans l’appartement 1, les usagers se protègent des apports solaires extérieurs la journée et aèrent naturellement leur appartement la nuit. Cette stratégie permet d’obtenir des températures raisonnables lors de périodes chaudes. Cette stratégie n’est visiblement pas adoptée par les usagers de l’appartement 2.  Après avoir vérifié que ces usagers peuvent avoir la même stratégie de confort estival (protections solaires présentes et opérationnelles, ouvertures de fenêtres possibles, etc.), une sensibilisation des usagers, éventuellement justifiée par l’exemple d’autres usagers, peut répondre à une partie de l’inconfort constaté par les usagers de l’appartement 2.

Quelle différence avec d’autres méthodes d’audit en exploitation ?

Cette méthodologie éprouvée à l’international permet d’obtenir une évaluation complète et de limiter les biais qui peuvent être rencontrés par une approche purement technique réalisée par un expert, lequel peut avoir un regard non exhaustif sur les problématiques. De même, une méthodologie fondée sur les sciences sociales pourrait paraître insuffisamment complète et objective (importance du biais affectif lié notamment à la motivation de l’interrogé prenant part à la démarche d’évaluation ou du biais de désirabilité sociale dans le cas d’une consultation restreinte).


Une massification de l’utilisation de ces méthodologies à la mise en main des bâtiments, dans les premières années d’usage, et de façon récurrente au cours de l’exploitation permettrait d’impliquer mieux et davantage les occupants, avec à la clé un meilleur confort en toute saison ainsi que des performances énergétiques réelles. Le POE pourrait dès lors servir d’outil au nécessaire développement des actions de sobriété et mieux cibler les actions de maintenance et de réhabilitation future éventuelles.

 

Un article signé Tangi Le Berigot, Frédéric Boeuf et Frédéry Lavoye, Surya Consultants 


Pour plus d’information notamment sur les différentes méthodes, lire : « Qualité des ambiances dans les bâtiments », Presses des Mines – Frédéry LAVOYE, Frédéric BŒUF, Françoise THELLIER
 


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