Le piège du Coefficient de Biotope Surfacique (CBS)

Rédigé par

Agathe Maussion

Ingénieure écologue

2600 Dernière modification le 21/11/2023 - 10:43
Le piège du Coefficient de Biotope Surfacique (CBS)

Tribune signée Agathe Maussion, ingénieure écologue chez Diagobat (Groupe Projex) - Assesseure BiodiverCity Construction - Membre du Conseil scientifique et du Comité technique du Conseil international biodiversité et immobilier (CIBI)

Le Coefficient de Biotope Surfacique (CBS) est de plus en plus plébiscité et préconisé dans les documents de planification (PLU notamment). Pour autant, ce n’est pas un indicateur de biodiversité ! 

La Loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets donne la possibilité aux communes et intercommunalités d’intégrer des exigences environnementales au règlement de leur PLUi – Plan local d’urbanisme intercommunal. L’article 201 de cette même loi oblige même les plus grosses communes à fixer « une part minimale de surfaces non imperméabilisées ou éco-aménageables » dans leur règlement. Cette « part » a ensuite été appelée CBS dans les documents d’application. 

Depuis 2021, le nombre de PLU incluant une exigence d’un CBS minimal augmente de plus en plus vite. Inspiré par la ville de Berlin, il s’agit d’appliquer un protocole mathématique simple – voire simpliste – aux plans des projets :

  1.     Des coefficients sont appliqués aux différentes typologies de surfaces du projet,
  2.     On calcule la somme pondérée des surfaces de chaque typologie, qui correspond à la « surface éco-aménageable »,
  3.     On obtient ensuite le CBS en faisant le rapport : surface éco-aménageable / surface totale du projet.

Coefficients et exemple de calcul d’un CBS avant et après l’optimisation d’un projet, d’après la fiche-outil 11 de l'Ademe.

Le CBS ne mesure pas les « biotopes » 

En science de l’écologie, le mot biotope désigne un espace défini par des caractéristiques physiques et chimiques homogènes, accueillant une biocénose (ensemble caractéristiques biologiques : flore, faune, fonges et micro-organismes) correspondante. Le biotope et la biocénose sont interdépendants et s’influencent mutuellement, alors ils sont indissociables. Or, les coefficients affectés aux typologies de surfaces pour calculer la surface éco-aménageable, ne correspondent pas à cette définition du biotope, mais tiennent généralement seulement compte de la perméabilité, de l’épaisseur de substrat et du nombre de strates végétales ; en omettant d’intégrer la diversité d’espèces accueillies ou leur importance pour le fonctionnement écologique du secteur.

Une surface plantée d’une seule espèce horticole peut ainsi potentiellement avoir le même coefficient qu’une surface diversifiée et inspirée d’un milieu typique de la région, alors qu’ils n’ont pas du tout la même richesse, la même importance pour la biodiversité du secteur. Il est alors très réducteur de parler de « biotope ». La bonne appellation du CBS aurait pu être « coefficient de végétalisation » par exemple, mais parler de biotope est trompeur. 

De nombreuses disparités de méthodes de calcul

Chaque règlement de PLUi peut définir ses propres coefficients et sa propre méthode de calcul du CBS. De plus, certains PLUi définissent des bonus, ajoutés au CBS du projet pour prendre en compte l’installation de dispositifs refuges pour la faune ou la plantation d’arbres. Par exemple, le PLUi de la métropole de Lille accorde un bonus de +0,01 par pied d’arbre ou d’arbuste et par gîte à faune. Ainsi, une grande diversité de résultats peut être obtenue. Cela pose un second problème : les CBS de deux projets ne peuvent presque jamais être comparés, hormis s’ils sont soumis au même PLU. De même, cette méthode de calcul permet d’obtenir des résultats parfois supérieurs à 1 (voir exemple ci-dessous). S’agit-il alors vraiment d’un coefficient ? 

Par ailleurs, les surfaces verticales sont souvent comptées dans le calcul. Les surfaces éco-aménageables étant rapportées sur la surface au sol seulement, ces surfaces ont un poids supérieur aux autres dans le calcul.

Le « bonus arbre », une double peine

Un arbre jeune et récemment planté ne rend pas du tout autant de services écosystémiques (infiltration des eaux pluviales, rafraichissement de l‘air, accueil de la faune ou stockage de carbone par exemple) qu’un arbre existant. Néanmoins, il n’est pas rare que la quasi-totalité des arbres existants sur une parcelle soit remplacée par des baliveaux. À plus forte raison, certains PLUi sont parfois dotés à la fois d’une obligation de remplacement des arbres abattus et d’un calcul du CBS impliquant un « bonus arbre ». Le paysagiste du projet a alors plus d’intérêt à remplacer des arbres existants par de nouveaux arbres pour augmenter son score de CBS plutôt que de conserver des arbres existants. (Empiriquement et à titre personnel, le bonus accordé est souvent trop élevé, ce qui diminue beaucoup le niveau d’exigence du PLU). 

De plus, un biais mathématique augmente l’importance de ce bonus pour les gros projets, s’il s’ajoute au CBS directement. Par exemple, pour la ville de Lille, le calcul est : 

CBS = surface éco-aménageable / surface de l’unité foncière + bonus 

On peut voir que le bonus n’est ici pas rapporté à la surface totale de la parcelle considérée. Ainsi, les projets de surface importante, pouvant accueillir potentiellement de nombreux arbres sont grandement avantagés dans leur score face à des projets de plus petite surface. 

Par exemple, dans une situation simplifiée où sont comparés deux projets similaires, mais de tailles différentes : 

Projet 1 : 17 000 m² ; 35 % de pleine terre et le reste imperméable ; 1 arbre pour 40 m² de pleine terre 

Projet 2 : 2 000 m² ; 35 % de pleine terre et le reste imperméable ; 1 arbre pour 40 m² de pleine terre



Pour le même « effort » de végétalisation fourni par ces deux projets, les résultats de CBS obtenus sont très différents. 
Le niveau d’exigence du PLU diminue alors avec l’augmentation de la taille du projet, ce qui pourrait favoriser les plus gros porteurs de projets et tendre vers une augmentation d’échelle des projets.

D’autres indicateurs existent

D’autres indicateurs, plus complexes mais plus complets, permettent de mesurer les biotopes d’un projet de façon plus précise que le CBS. Dans le label BiodiverCity par exemple, le calcul du potentiel écologique (PE) tient compte de la qualité, de la fonctionnalité et de la capacité de chaque type de biotope identifié grâce à de nombreux indicateurs renseignés par un écologue formé à cette évaluation. L’outil Biodi(V)strict, permet lui aussi de prendre en compte de façon plus fine la biodiversité présente dans une parcelle donnée à travers l’utilisation d’un logiciel de cartographie lié à une matrice de calcul. Bien qu’elle s’appuie aussi sur un calcul du CBS, la certification Effinature a également développé l’Indice de valeur écologique (IVE), qui ne diffère pas beaucoup du PE BiodiverCity. Avec ces différents outils, ce sont les différentes composantes interdépendantes et imbriquées de l’écosystème qui sont observées. 

Exemple du fonctionnement du label BiodiverCity (méthode de Guy Berthoud) : 

  • On commence par définir des « habitats », qui correspondent à des surfaces présentant des caractéristiques homogènes de couple substrat-végétation, et en essayant de se rapprocher le plus possible des définitions scientifiques des habitats (CORINE Biotope ou code EUNIS par exemple) pour la parcelle initiale et pour les plans paysagers du projet. 
  • La capacité de chaque habitat est un facteur qui prend en compte la taille de l’habitat, mais aussi l’épaisseur de son substrat et le nombre de strates végétales présentées par la végétation (herbacée, arbustive, arborée).  
  • Pour chaque habitat, on évalue ensuite la qualité écologique grâce à un ensemble de facteurs. La diversité végétale, la diversité de faciès (différences de microclimats et/ou de substrats et/ou de gestion), et la diversité d’espèces animales pouvant être accueillies, sont évaluées grâce à des indices définis dans une grille de calcul. On y ajoute un indice correspondant à la rareté ou à la patrimonialité des milieux ou des espèces implantées et un indice rendant compte des éventuelles perturbations anthropiques. 
  • On évalue enfin la fonctionnalité écologique pour chaque habitat. De la même manière que pour la qualité écologique, des indices définis par une grille d’évaluation sont affectés pour les fonctionnalités de l’habitat, à savoir : le bouclage des cycles biogéochimiques (le milieu peut-il être autonome pour le recyclage de la matière organique ?), la présence de sites de reproduction et/ou d’alimentation et/ou de refuge pour certains taxons, et un indice d’échange entre les habitats du site et avec l’extérieur de la parcelle. 
  • Les facteurs de capacité, de qualité et de fonctionnalité sont agrégés pour chaque habitat (en faisant une multiplication). On obtient alors un PE pour chaque habitat du projet. Ces PE par habitat sont ensuite sommés (ou moyennés) pour obtenir le PE du projet ou de la parcelle initiale. 

Comme le CBS, le but de ces différents indices est avant tout de comparer l’état initial et l’état final d’une parcelle accueillant un projet immobilier. En revanche, au contraire du CBS, ces indices n'ont pas vocation à être utilisés et comparés en valeur absolue.


Retrouvez le Dossier Construction21 sur la biodiversité urbaine


 

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