La double peine des écologues

Rédigé par

Agathe Maussion

Ingénieure écologue

1431 Dernière modification le 16/10/2023 - 15:47
La double peine des écologues

La loi actuelle ne donne pas aux écologues les armes nécessaires pour protéger la biodiversité. Si les études sont obligatoires pour évaluer les impacts des projets immobiliers, elles sont généralement insuffisamment proportionnées aux enjeux, et les préconisations qui en découlent souvent non prises en compte par les maitres d’ouvrages.  


La profession d’écologue, qui réunit à la fois les naturalistes indépendants, les ingénieurs du vivant en bureau d’études et les chercheurs universitaires, attire de plus en plus, notamment les étudiants. La filière a donc de beaux jours devant elle grâce à la prise de conscience collective du déclin de la biodiversité, dont l’érosion compte parmi les neufs limites planétaires (Rockström, 2009) à ne pas dépasser pour ne pas compromettre les conditions favorables à la vie humaine sur Terre. Selon le Stockholm Resilience Center en septembre 2023, cette limite est toutefois déjà franchie concernant la diversité génétique, et en cours de calcul pour la diversité fonctionnelle, ce qui encourage d’autant plus les vocations.  
Les deux principales activités rentables des écologues sont : 

  1. Le diagnostic écologique ou inventaire faune/flore, dont l’objectif est d’identifier et inventorier toutes les espèces animales et végétales d’une zone donnée, en mettant en valeur celles qui présentent un statut de protection, de rareté ou de patrimonialité
  2. Un devoir de conseil et de préconisations pour éviter, réduire et compenser les impacts identifiés pour un projet donné sur la zone concernée par le diagnostic écologique

Ces deux activités ne sont rentables que grâce à la loi, qui oblige le porteur de projet immobilier à évaluer les impacts sur l’environnement. Celui-ci fait alors généralement appel à un bureau d’études pour assurer cette mission. Nombreux sont donc les jeunes diplômés d’écologie acceptant des postes dans des bureaux d’études comme première expérience professionnelle. 

Le compromis prix/accompagnement

Au-delà de l’aspect « rentable », que l’on travaille en bureau d’études ou à son compte, la volonté est de proposer l’accompagnement le plus complet possible, avec de nombreuses visites sur le site initial pour bien identifier les enjeux, mais aussi des réunions avec les équipes de conception du projet. Mais la mise en concurrence est rude. Le maître d’ouvrage a le pouvoir de comparer les offres des écologues pour choisir la moins chère, dans un souci d’économie, certes, mais aussi parfois pour des raisons moins louables. 

Le plus embêtant n’est pas la mise en concurrence, nécessaire pour une stabilisation optimale des prix, mais plutôt les divergences entre les intérêts du maître d’ouvrage et la mission proposée. En effet, plus une étude écologique est complète, plus elle est chère, mais aussi plus susceptible de faire apparaitre des enjeux. Plus l’effort de prospection est important, plus le nombre d’espèces inventoriées est élevé, et plus il y a de chances que l’une d’entre elles soit protégée. Les maîtres d’ouvrage ont donc tout intérêt à choisir la proposition de mission qui leur permettra de respecter la loi, mais le plus superficiellement possible et à moindre coût.  

Savoir que le projet « se fera quand même »

Par ailleurs, que le projet soit autorisé du point de vue de la réglementation ne veut pas dire qu’il ne sera pas délétère pour l’environnement. Aucun naturaliste, même amateur, ne soutiendra que l’installation d’une plateforme logistique sur des terres agricoles n’a aucun impact sur la biodiversité, même si le projet a été validé par l’autorité environnementale. L’écologue, pour sa santé mentale, est alors obligé d’adopter une posture du « ça aurait été pire si je n’avais pas été là ». Les préconisations qu’il formule sont alors une manière d’atténuer les impacts, mais l’écologue est conscient qu’ils sont insuffisants.  

En cas de gros litige avec un maitre d’ouvrage sur les aménagements à mettre en place pour éviter, réduire ou compenser les impacts de son projet, l’écologue n’aura jamais le dernier mot. En effet, dans son statut de client, le maitre d’ouvrage a « autorité » sur le bureau d’études qu’il a missionné. S’il le souhaite ou en cas de désaccord, il peut mettre fin à la mission du bureau d’études et se faire accompagner par un concurrent. Les forces en jeu et les intérêts économiques sont généralement trop importants pour que le projet soit interrompu… 

Servir son client contre la loi

Dans certains cas extrêmes, l’écologue est parfois tiraillé entre son contrat de travail et la loi. Exemple avec un cas fictif : un projet s’implante sur une parcelle au sein d’une zone urbaine, comportant des arbres. Une étude d’impact a été menée au préalable à l’échelle de la ZAC et le maître d’ouvrage n’est donc pas obligé de soumettre le projet à évaluation. Cependant, il missionne un bureau d’études pour apposer des certifications ou labellisations de performance sur son projet (BREEAM ou HQE par exemple). Un écologue accompagne alors le projet dans son intégration de la biodiversité. Au cours d’une visite de site au démarrage du chantier, l’écologue réalise que certains des bâtiments accueillant des nids d’hirondelles vont être détruits (les visites de diagnostic écologique devaient être trop anciennes). Pour respecter la loi sur les espèces protégées, la date de démarrage des travaux devrait donc être décalée pour permettre aux jeunes de l’année de s’envoler. L’écologue informe immédiatement son maitre d’ouvrage, d’accord pour appliquer toutes les mesures que l’écologue lui fournira, mais hors de question de décaler le chantier, les enjeux financiers sont trop grands... 

Le bureau d’études ne pourra peut-être pas se permettre de perdre ce client, notamment s’il est porteur d’autres projets. Force est donc de constater que les maitres d’ouvrage ayant le plus de liberté et le plus grand pouvoir de négociation sont ceux qui financent beaucoup de projets, et ont donc le pouvoir de nuisance le plus élevé). Un écologue dans cette situation n’a aucunement le droit de dénoncer son client, même si celui-ci ne respecte pas la loi. L’écologue est alors obligé de « ravaler » sa rigueur et sa quête d’exhaustivité pour correspondre aux attentes de son client. Dans ce contexte, il est aujourd’hui souhaitable de voir évoluer la réglementation afin de mieux encadrer les offres de mission, voire d’ajouter une clause contractuelle obligatoire de signalement du client auprès des autorités en cas de non-respect de la loi.

Ainsi, malgré leur volonté de protéger et d’améliorer la prise en compte du vivant, les écologues sont encore souvent contraints de baisser les armes face aux intérêts qui prévalent sur l’impact écologique. Dans les plus sombres scénarii, certains se retrouvent malgré eux « complices » de projets délétères, en opposition totale avec leurs convictions. L’écologue, « l’idiot utile » d’un système qui refuse de changer ? Le diagnostic est posé, le sentiment partagé. 

 

Écologie ≠ écologie : un mot, deux sens
Une distinction claire est à faire entre l’écologue et l’écologiste. Bien qu’ « écologie » soit utilisée dans les deux cas, elle n’a pas du tout la même définition. L’écologie scientifique est l’étude des interactions des êtres vivants entre eux et avec leur environnement. C‘est une science, en perpétuelle évolution, qui s’appuie sur des concepts bien définis formant consensus, et d’autres faisant débat. L’écologie politique, quant à elle, n’a jamais été clairement définie, bien qu’elle soit largement diffusée depuis les années 1970. Aujourd’hui, le mot écologie est très galvaudé. Chaque décision politique est teintée d’écologisme, alors que le rapport au vivant en est totalement absent.


Un article signé Agathe Maussion, Ingénieure écologue chez Diagobat (groupe Projex), Assesseure BiodiverCity Construction & Membre du Conseil scientifique et du Comité technique du Conseil international biodiversité et immobilier (CIBI)


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