[L'édito by C21] La guerre des nuages

Rédigé par

Stéphanie Obadia

Directrice de la rédaction

2460 Dernière modification le 23/08/2023 - 15:00

La guerre des nuages 

 

Avoir de l’eau douce, cela ne coule pas de source… Selon le World Resources Institute*, près de 25 pays abritant un quart de la population mondiale sont désormais confrontés à un stress hydrique extrêmement élevé chaque année, utilisant régulièrement la quasi-totalité de leur approvisionnement en eau disponible. Et au moins 4 milliards de personnes, soit la moitié de la population mondiale, en sont victimes au moins un mois par an. Et cela ne va pas s’arranger : un milliard de personnes supplémentaires seront concernées d’ici à 2050. Si l’Asie du Sud-Est, le Moyen-Orient, l’Afrique du Nord sont les plus exposés, les effets se font ressentir partout dans le monde. « Vivre avec ce niveau de stress hydrique met en péril la vie, l'emploi, la sécurité alimentaire et énergétique des populations », prévient l’Institut. Voire la santé, puisqu’en Uruguay, l’eau qui coule du robinet est… salée. Bref, les nappes phréatiques enregistrent des niveaux historiquement bas, la surface des continents s’assèche… la menace d’un « jour zéro », c’est-à-dire sans eau dans les robinets, est bien réelle. Alarmant ! D’autant que, selon les prévisions, la demande mondiale en eau devrait augmenter de 20 à 25 % avant 2050, essentiellement pour les besoins d’irrigation et d’approvisionnement en eau domestique. 

Dès lors, quelles réponses apporter ? Cela semble être limpide comme de l’eau de roche : économiser l’eau, rénover les infrastructures afin de limiter les fuites, utiliser et traiter les eaux usées, revoir notre consommation et notre agriculture, changer les modèles d’irrigation, protéger et restaurer les zones humides (mangroves et forêts) afin de renforcer la résilience contre les sècheresses et les inondations ou encore privilégier les sources d’énergie économes en eau comme le solaire et l’éolien, élaborer des plans d’actions pour la résilience de l’eau en milieu urbain, instituer une meilleure gouvernance de l’eau… Il est aussi question de faire appel à la science et à la technologie : les techniques de dessalement de l’eau, ainsi que le traitement et la réutilisation des eaux usées portent leurs fruits. Et l’homme ne cesse d’être ingénieux : des expérimentations sont menées pour collecter les particules d’eau contenues dans les brouillards avec de simples filets de maille. Mais jusqu’où irons-nous ? Depuis quelques années, de nombreux pays, Chine et États-Unis** en tête, balancent à coup d’avions, de roquettes, de ballons ou d’autres appareils, des particules de sel ou d’iodure d’argent dans les nuages. Cela s’appelle l’ensemencement. Le but : modifier le régime des précipitations et provoquer la pluie. L'augmentation des précipitations est en moyenne estimée à 10-15 %. Le procédé n’est pas nouveau, il date de 1940, mais l’ampleur, elle, est nouvelle. Il ne faut pas être devin pour en imaginer les conséquences : certaines régions, notamment les plus démunies, n’auront plus de précipitations parce que les pays voisins auront ensemencé les nuages ; le stress hydrique de ces régions sera plus important, aggravant alors les migrations climatiques. Il ne faut pas être devin non plus pour imaginer demain jaillir une guerre des nuages internationale, dont l’objectif sera de détourner l’humidité atmosphérique sur son territoire, voire d’en priver les zones ennemies. C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Pas très réjouissant, d’autant que les experts s’interrogent sur les conséquences de ces particules sur la santé des hommes et sur l’environnement !

Nous sommes en plein mythe de Prométhée, qui n’a d’ailleurs pas très bien fini ! Derrière ces innovations se pose la question de la place de l’homme dans la nature et de sa soif de la domestiquer. Faut-il s’adapter à la nature, la dompter, la modifier ? L’homme a le pouvoir d’agir sur la nature, mais avec quelles conséquences ? L’homme n’est ni maître, ni esclave de la nature… il doit être Juste. À lui de faire en sorte de respecter l’équilibre, d’atténuer le réchauffement climatique, et de faire preuve de volonté politique et de soutien financier. La France a d’ailleurs adopté le 30 mars dernier un plan d’action sur la gestion de l’eau : 53 mesures pour répondre aux enjeux de la sobriété des usages, de la qualité et de la disponibilité de la ressource***. Le gouvernement vient d’ailleurs de dévoiler les premiers sites incités à la sobriété et accélère le mouvement pour simplifier les procédures pour la réutilisation des eaux usées. Sale temps sur la planète, pour reprendre Francis Cabrel, mais espérons que le monde autour ne soit pas sourd ni étanche aux alertes ! On ne pourra pas dire que nous n’étions pas au courant… Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se casse.

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