"Faire des écoquartiers, partout où c'est possible" (Denis Girou - EPFA Guyane)

Rédigé par

Grégoire Brethomé - Construction21

Responsable éditorial

3756 Dernière modification le 16/06/2023 - 10:35

Depuis 2016, la première opération d'intérêt national (OIN) d'outre-mer s'emploie à répondre aux importants besoins d'aménagement de la Guyane, dans un contexte de forte progression démographique. L'EPFA Guyane pilote sa réalisation et lance plusieurs grands chantiers d'écoquartiers. Denis Girou, directeur général de l'établissement public, répond à nos questions. Entretien.


À quels défis êtes-vous confronté pour l’aménagement du territoire en Guyane ? 

La Guyane est une région avec une croissance démographique extrêmement forte et relativement récente. Dans les années 1980, il y avait moins de 100 000 habitants et aujourd’hui, nous sommes à 300 000 habitants sur un territoire composé à 95 % de forêt tropicale. Les parties habitées sont très peu nombreuses, on a principalement les agglomérations de Cayenne, de Saint-Laurent du Maroni et Kourou. Le parc immobilier légal est plutôt plus récent et en meilleur état que dans d’autres départements d’outre-mer. En revanche, il y a un vrai problème quantitatif, puisqu’aujourd’hui l’offre de logements légaux et abordables est largement insuffisante par rapport à la croissance démographique.

Comment y répondez-vous avec l’EPFA ? 

Ce décalage entre l’offre et la demande, et la nécessité de faire des choses plus qualitatives avec une meilleure réflexion urbaine, ont motivé la création d’une opération d’intérêt national (OIN) en 2016. Ce qui nous est demandé avec l’EPFA Guyane (Établissement Public Foncier et d’Aménagement de la Guyane), c’est de produire entre 1 600 et 1 800 logements par an (contre 300/400 en moyenne par an avant), soit 21 000 logements en 15 ans. Cela équivaut à la moitié de la surface totale de plancher actuelle de la Guyane. C’est très important, mais cela ne représente que la moitié des besoins. En plus, la population de la Guyane étant extrêmement jeune, il y a un besoin d’équipements publics de toute nature, avec en priorité des établissements scolaires mais également de transport. Il y a énormément d’endroits où il n’y a pas de maillage routier. Il faut donc le créer en incorporant dès le départ des transports en commun en site propre (TCSP) à certains endroits et d’autre part des pistes cyclables. C’est un gros challenge.

Vous réalisez de nombreux écoquartiers dans le cadre de votre stratégie d’aménagement, comment procédez-vous ? 

Notre doctrine est de chercher à faire des écoquartiers partout où c’est possible. Sur les 24 secteurs de l’OIN, 19 d’entre eux peuvent accueillir des écoquartiers. Les formes urbaines varient selon les lieux. On a par exemple l’écoquartier Hibiscus (Grand Prix Ville durable - Green Solutions Awards 2019), à côté de l’université de Cayenne et du centre historique. Sur 27 hectares, 1 500 logements ont été réalisés dont une majorité de logements collectifs  – des logements sociaux ou étudiants – et quelques maisons de ville. Dans l’écoquartier de Rémire-Montjoly, la ZAC fait 60 hectares dont 40 aménagés. C’est un peu la formule classique pour nous, un collège, deux écoles, 1 500 logements. Nous produisons généralement des ZAC où il y a 50 à 60 % de logements sociaux.

Question label, nous travaillons pour demander le label NF habitat ou NF habitat HQE sur au moins sur la moitié des permis de construire dans l’OIN. Nous portons une attention particulière aux aspects énergétiques des bâtiments par rapport à la chaleur et à leur ventilation et ombrage. Pour cela, nous travaillons leur architecture mais également la façon dont l’aménagement se fait, notamment grâce à des espaces verts qui font monter la chaleur au-dessus des habitations et créent du mouvement d’air. D’ici 4 à 6 ans, quand nous aurons un retour suffisant sur le vécu des écoquartiers, nous souhaitons développer un label écoquartier amazonien qui serait un référentiel construction de qualité adapté à l’environnement guyano-amazonien, un peu comme l’a fait l’EPA Nice Ecovallée.

Avez-vous recours à des matériaux biosourcés ? 

Les cahiers de charges que nous suivons produisent des bâtiments de niveau 2 au label "Bâtiments biosourcés". En Guyane, il y a peu de matériaux biosourcés disponibles, nous utilisons donc principalement du bois et des briques de terre crue. Tous les autres matériaux sont importés (béton, bacs acier, menuiseries alu ou bois…). Les briques terre crue bénéficient depuis quelques mois seulement d’un ATEX en structure, nous espérons donc que cela va cela booster leur usage. Si elle est historiquement utilisée en construction dans le territoire, la filière terre crue avait quasi disparue et se redéploie depuis peu. On trouve même des briques guyanaises dans les grandes surfaces de Métropole désormais.

Quel est le niveau de maturité de la filière bois en Guyane ?  

La filière bois en Guyane n’est pas énorme. La question principale est celle des coûts de revient. Puisque c’est un bois récolté en forêt non plantée, on ne prélève que quelques tiges par hectare et peu d’espèces sont commercialisées. Trois espèces représentent 80 % de la filière (l’Angélique, le Grignon et le Gonfolo). Il existe bien d’autres espèces qui possèdent les mêmes qualités techniques et mécaniques mais elles ne sont pas connues par les marchés. Le bois guyanais est de grande qualité, mais il n’est pas moins cher que d’autres bois importés. Lorsque le bois est coupé au Brésil par exemple, les frais d’exploitation pèsent bien moins lourds. Nous savons que la forêt guyanaise est sous-exploitée par rapport à son rythme de régénération, l’ONF indique qu’on pourrait exploiter davantage de bois en volume sans mettre en péril son renouvellement.

Quels enseignements tirez-vous des premiers écoquartiers construits ?

Dans l’écoquartier Hibiscus, le bassin d’eaux pluviales a été aménagé en espace de loisirs. En eaux, seulement trois mois par an environ, le bassin à débordement du bassin principal remplit son rôle de surverse de régulation hydraulique. Et durant les neuf mois restants, les terrains sont utilisables en terrains de sport. C’est quelque chose que l’on refera, ça marche bien. Dans Cayenne, plusieurs bassins ont la même fonction de surverse mais ils restent vides les trois quarts de l’année et du fait ne sont pas utilisés, ce qui est dommage. 

Concernant les chaussées, on ne réutilisera pas partout le béton de latérite (1). Nous nous sommes rendu compte que pour des cheminements piétonniers cela fonctionne, mais pour des cheminements voitures, la résistance n’est pas assez bonne. Ce n’est pas le béton latéritique lui-même qui est en cause, mais la façon dont il a été fait. Nous utilisons la latérite présente sur place, elle n’est pas triée, préparée, tamisée, donc c’était assez hétérogène. Si on voulait faire du béton latéritique sur lequel puissent passer des camions, il faudrait traiter ça en usine. Cela supposerait des transports et ça ne correspondrait plus alors à l’objectif initial de valorisation sur place des matériaux de déblai.

Vous testez des innovations dans l’aménagement des écoquartiers ? 

Il y a un sujet important sur les corridors écologiques que sont les trames verte et bleue. Les animaux doivent pouvoir vivre leur vie et ne pas être bloqués par les espaces urbains. Cela peut être des choses assez simples. Dans les bassins de compensation, nous avons par exemple expérimenté la création d’îles artificielles qui permettent à des oiseaux de venir nicher ou se reposer. Attention quand même, il peut y avoir des choses contre-intuitives. Un bon corridor écologique pour des singes, ce sont des fils électriques qui traversent les rues. L’enfouissement des réseaux pour des raisons esthétiques conduit à un massacre de singes qui se font renverser par les voitures. 

La réglementation sur la zéro artificialisation nette du territoire peut-elle s’appliquer de la même façon au territoire guyanais ? 

Quand on est à moins de 0,1 % d’artificialisation, est-ce vraiment la priorité ? Vu d’avion, la Guyane, c’est une forêt avec des savanes et quelques colliers de perles urbanisés. Notre démographie va doubler inévitablement et passer à 600 000 habitants, et on ne peut pas faire de recyclage urbain car il n’y en a pas dans ces proportions. Par ailleurs, les élus de Guyane ne cherchent pas plus que ça à artificialiser, car il y a des problèmes d’infrastructures de transports manquantes, et des populations très pauvres. A cela s’ajoute un vrai problème : le fait que les méthodes de calcul de l’artificialisation qui sont pratiquées en France métropolitaine – avec les fichiers MAJIC – sont totalement fausses en Guyane. Le problème est bien identifié par les ministères, et il y a un travail qui est mené aujourd’hui avec l’agence d’urbanisme et la collectivité territoriale pour arriver à constituer un outil de mesure de l’artificialisation fiable en Guyane. 

Le mot de la fin ? 

Aujourd’hui, on essaie de concilier une augmentation de la qualité et de la quantité du bâti. Jamais les quartiers et les aménagements de Guyane n’ont été autant préparés, concertés et qualitatifs. Ce qui est compliqué, c’est de faire plus et mieux, tout en le faisant vite par rapport à l’évolution rapide de la démographie. Et ce n’est pourtant pas pour ça qu’on lésine sur les questions qualitatives. 

Enfin, en plus de notre mission pour l’OIN, nous avons créé une filiale qui travaille sur les centres-villes avec Action Logement. On est sur de bien plus petites opérations, pour faire du recyclage urbain sur des ensembles de 6-10 logements dans des endroits où on trouve déjà des services (écoles, travail…) et où on peut se déplacer sans véhicule. Nous travaillons actuellement sur plusieurs « dents creuses » en centre-ville. La rénovation bois est possible et on va pouvoir faire des choses intéressantes et dans l’esprit amazonien, affaire à suivre !    

Crédit photo : EPFA Guyane - Écoquartier de Rémire-Montjoly
 

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