Editorial de Laurent Rossez : Dérèglement climatique, passons ensemble à l’action

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NOVA BUILD

L'écoconstruction est notre avenir

2036 Dernière modification le 07/03/2019 - 10:59
Editorial de Laurent Rossez : Dérèglement climatique, passons ensemble à l’action

Avec 221 participants, notre Rencontre annuelle du 1er mars a été un grand cru. Cela a été l’occasion de faire un bilan de l’année écoulée, d’ouvrir les perspectives des mois à venir, et surtout, dans une ambiance conviviale et détendue, d’accentuer « l’effet réseau » de Novabuild, toujours dans l’idée du « mieux travailler ensemble ».

En conclusion de cette matinée, j’ai eu l’occasion de prononcer une Conférence qui marque pour nous le démarrage d’une réflexion devant aboutir à la révision de notre feuille de route, afin de mieux intégrer le caractère inéluctable du dérèglement climatique, et la nécessité absolue pour les acteurs de la construction et de l’immobilier, de préparer les instruments pour « amortir le choc ».

Je vous propose donc ce mois-ci de découvrir les solutions très concrètes expérimentées partout dans le monde pour que notre vaisseau ne coule pas.


Dérèglement climatique, passons ensemble à l’action

Edificat Nec Mergitur

Je vais démarrer mon propos avec une locution latine qui est la devise de la ville de Paris «Fluctuat Nec Mergitur». En la détournant un peu, on pourrait dire : «Edificat Nec Mergitur», parce qu’il me semble que nous sommes arrivés un peu à la croisée des chemins où, si on n’accélère pas le passage à l’action, il se pourrait qu’au lieu de prendre les flots sans sombrer, nous puissions sur certains sujets toucher le fond et sombrer.

Le changement climatique est une réalité

Le GIEC existe depuis 30 ans. Il a rendu son dernier rapport en octobre 2018. Le Plan Bâtiment Durable a invité Jean JOUZEL pour son dixième anniversaire. J’avoue que cela a accéléré ma prise de conscience et modifié mon approche. Ce qui se passe, c’est que nous sommes arrivés sur des années record qui étaient non seulement prévues, mais en plus, sur 2018, nous allons au-delà des scénarios les plus pessimistes. Nous sommes entrés dans une période assez inquiétante.

D’ailleurs, on le voit sur le climat mondial, il y a des phénomènes qui ne relèvent pas simplement de la météo comme le dit Donald Trump, et qui sont bien plus structurants et systémiques que cela. Que ce soit les incendies en Californie de 2018, ou d’autres phénomènes, on assiste un peu partout dans le monde à des situations extrêmes et qui se rapprochent de plus en plus en séquences et en fréquences.

La production de gaz à effet de serre continue de progresser

Les émissions de gaz à effet de serre, de dioxyde de carbone, de méthane et protoxyde d’azote, sont toujours à la hausse. Contrairement à ce que les États développés avaient promis de faire depuis 2015, la progression est constante et d’ailleurs sur 2017 elles ont progressé de 3,5 %, et même en France elles ont augmenté de 2 %.

Il faut se rappeler qu’à Paris, à la COP21, on a dit qu’on arriverait au schéma de 1,5° supplémentaire à l’échelle de 2050, si on diminuait les émissions de gaz à effet de serre. Et pour donner une comparaison, en France, si on reprend les chiffres, on devrait passer par 10 tonnes par habitant, à 3 tonnes. Voyez, ce n’est absolument pas ce qu’on est en train de faire. Donc la cible de 1,5° aujourd’hui, on s’en écarte de façon mathématique.

Stopper nos gaz à effet de serre semble inaccessible

Quand on regarde ce qui est demandé à chacun d’entre nous pour parvenir à une division par trois des gaz à effets de serre, ma conviction aujourd’hui c’est qu’on ne va pas le faire. Par exemple, en France, cela voudrait dire : la fin de l’habitat individuel, l’arrêt des déplacements en avions, hors cas de santé ou nécessité absolue. C’est par exemple 70 % de consommation de viande en moins, le couvre-feu thermique à partir de 22 heures, etc.

En fait, on fait l’inverse en France aujourd’hui. Même nous, qui nous croyons exemplaires, nous sommes en train aussi de dériver comme les autres.

On s’oriente vers une progression des températures de 4° en moyenne

Nous nous orientons plutôt vers des schémas, non pas sobres mais émetteurs, qui pourraient dans le scénario le plus pessimiste, et qui s’est toujours vérifié jusque-là, donner des températures à +4 °.

Même avec scénario médiant de +2/+3°, le climat en France change sérieusement. En 2100, en Pays de la Loire, on passe d’un climat atlantique à un climat méditerranéen, on assiste à  une suppression totale des glaces arctiques tous les 10 ans, alors que c’est tous les 100 ans avec +1,5°. Rien qu’un demi-degré augmente les risques de façon exponentielle.

Le danger de voir Tanger à Angers

Pour garder un petit peu de bonne humeur, je me prête au jeu de mots en disant : «le danger de voir Tanger à Angers». Il semblerait effectivement que nous soyons sur cette trajectoire.

Il vaut mieux parler de dérèglement climatique plutôt que de réchauffement. C’est assez frappant sur les précipitations, vous avez l’accentuation des précipitations par endroits et des sécheresses dans d’autres endroits. Ce n’est pas qu’il pleut moins, c’est qu’il pleut énormément à certains endroits, et il ne pleut plus du tout à d’autres endroits.

Dans le scénario sobre que je privilégie (à +1,5°/+2°) l’élévation du niveau de la mer passe à 40 cm. Là aussi c’est énormément de population affectée. Dans ce scénario on a énormément de territoires ligériens qui sont recouverts par les eaux fréquemment.

On va passer à 143 millions de réfugiés climatiques purs en 2050 dans le scénario sobre. Il va y avoir des gens qui vont fuir les déserts et les sécheresses et les dérives climatiques.

Le choc climatique

Mon propos est de dire qu’on ne pourra pas échapper aujourd’hui à un dérèglement climatique majeur car on ne changera pas de trajectoire brutalement. Le choc va avoir lieu.

  • Le premier paramètre c’est la hausse des températures.
  • Le deuxième, ce sont les éléments climatiques extrêmes qui nous frappent, et  qui vont nous frapper provoquant de nombreux réfugiés climatiques
  • Le troisième c’est la montée des eaux.
  • Le quatrième c’est la pollution, avec les gaz qui se concentrent, l’effet de serre, etc., et qui affecte la biodiversité ayant des conséquences pour la vie en général et la vie humaine en particulier.
  • Le cinquième, c’est l’épuisement des ressources, ce qui nous concerne directement dans la construction

Les conséquences, ce sont des pénuries du fait de nos concentrations d’agglomérations, des pénuries en alimentation, nourricière et en eau, mais ayant aussi des impacts sur la santé, les maladies chroniques, etc.

Ce que pouvons-nous faire ? Amortir le choc.

Comme nous sommes des hommes et des femmes positifs, on se dit qu’il vaut mieux le savoir, mesurer et prévoir l’ensemble de ces paramètres, et dès maintenant, travailler pour que le choc soit moins important, «mettre l’airbag, la ceinture, les bretelles», et tout ce qu’on veut, pour amortir ce choc.

À notre échelle ce qu’on propose de faire à Novabuild, c’est de passer à l’action.

C’est à nous de prendre la main et c’est à nous de proposer des solutions pour dire concrètement voilà, sur ce sujet-là, qu’est-ce qu’on fait ?

Rassembler

La première chose qu’on peut faire déjà, c’est se rassembler, prendre tout ce qui se fait de meilleur dans le monde, faire venir des spécialistes, discuter entre nous et faire un Congrès, Cities to Be, où il y aura un avant et un après, où on aura décidé qu’effectivement on ne construit plus pareil après ce Congrès, en tous cas, en Pays de la Loire. C’est ce que je vous propose.

Anticiper les augmentations des pics de température

Personnellement, dans les ouvrages sur lesquels je travaille, je ne me contente plus de dire « on fait une STD et ça marche ». On le sait bien, dans 15 ans la problématique ne sera pas de se chauffer, ce sera de ne pas avoir trop chaud l’été. C’est de résister aux pics de chaleur.

Par exemple, si on conçoit un lycée aujourd’hui avec les règles actuelles, et si on pense jeunes générations qui seront demain dans ce lycée, on se dit : «mais c’est absurde !». Il ne faut pas faire un lycée uniquement pour respecter le règlement actuel, on sait d’ores et déjà qu’il faudra lutter contre beaucoup plus de chaleur.

Vous avez par exemple en Aquitaine, le Comité scientifique régional sur le changement climatique, avec 15 experts qui se sont réunis et qui ont fait un cahier des charges pour les concepteurs, sous la forme de conseils.

Construire avec le végétal

Il y a beaucoup de travail en ce moment sur l’introduction du végétal dans le bâti.

Le végétal permet de contenir les évolutions de température en ville. Il y a des projets partout à travers le monde, qui remettent là où on peut, dès qu’on peut, du vert, du végétal, de la végétation pour essayer d’atténuer cet effet îlot de chaleur.

Il nous faudra aller jusqu’à l’adaptation préventive des revêtements urbains. On sait aujourd’hui que l’eau, que la présence du végétal au sol, sur les façades, les couleurs claires y compris sur les chaussées, sont très atténuantes par rapport à cet effet d’îlot de chaleur.

Ville Forestière-Johor Concept

Concevoir autrement la ville

Si on veut pouvoir encore vivre en été dans nos villes, on peut éclaircir les revêtements comme à Los Angeles, où ils repeignent leurs chaussées en blanc. Ils constatent une diminution de 3° de perception au sol, en été. Il nous faut aussi créer des ombres comme à Madrid avec des parasols urbains  ou par des choix de morphologie du bâti en choisissant les formes créant le plus d’ombre portée.

Il nous faudra concevoir des dispositifs morphologiques pour que finalement on soit rafraîchi par les courants d’air en ville.

Il nous faudra réinvestir les sous-sols pour pouvoir passer les pics de température de façon un peu plus confortable, favoriser la ventilation naturelle par un design morphologique, en jouant par exemple sur la forme des toitures, comme le fait AIA-life designer pour l’aéroport de l’île de la Réunion.

Anticiper les éléments climatiques extrêmes

Quand on regarde ce qui s’est passé avec les deux derniers ouragans qu’on a subi, on constate que nos règlements cycloniques sont dépassés, il faut aller au-delà du règlement du vent, parce qu’il n’est plus suffisant, et refaire les calculs.

Il nous faut aussi prendre en compte le risque incendie qui n’est pas réservé aux Californiens. Il nous faudra défricher autour du bâti, et peut-être même déjà commencer à penser à des abris enterrés pour laisser passer l’incendie et puis retrouver les gens vivants.

Pour la hausse du niveau des eaux, il y a déjà des villes qui sont en prédictif comme à New York qui crée une zone d’espace tampon avec des digues.

Boston a beaucoup travaillé sur ces questions-là, avec des espaces à la fois ludiques et publics, où l'on peut accéder à la mer et au fleuve, et qui vont aussi servir aussi de sol perméable pour une partie, de surélévations pour être en hauteur à d'autres endroits, associées également à des petits barrages amovibles successifs.

En France, on voit aussi des choses comme cela, avec par exemple des bâtis sur pilotis, comme l’a demandé Emmaüs dans l’Oise, alors que ce n’était pas imposé par la réglementation.

On a vu cela aussi à Bordeaux, où l'urbaniste Youssef Thomé remonte ses bâtiments de la Zac Braza, et construit sur pilotis.

Lutter contre Pollution de l’air, des sols, des eaux.

Il y a des villes qui sont très actives sur les pollutions, comme par exemple à Séoul où on a enlevé les voitures et on a remis l’eau et du végétal.

Il nous faut absolument réinterroger la place de la voiture en ville. Je préconise de faire surtout de la place à autre chose.

Nous devons concevoir des ouvrages ayant une fonction de filtre, comme les parcs filtrant de Shanghaï. Il y a un projet à Paris de dépollution des eaux du canal Saint-Martin avec des éléments flottants dans la ville.

Quand on voit que des villes comme Paris sont régulièrement touchées par des pics de pollution dangereux pour la santé, on peut se demander s’il ne faut pas inventer par exemple des gymnases qui vont au-delà de la réglementation sur le traitement d’air pour mettre nos jeunes dans une zone d’air sain

Anticiper les risques de pénuries alimentaires et en eau potable.

Il y a des projets très intéressants où on remet de l’agriculture nourricière en ville pour qu’il y ait des flux de déplacements de nourriture plus courts, je pense par exemple à un très beau projet aux Pays-Bas de ferme végétale en ville. Ça peut même être très ludique. Il y a aussi des projets nantais qui vont dans ce sens.

Et si nos bâtiments pouvaient aussi filtrer l’eau ? Est-ce qu’on ne peut pas avoir des dispositifs demain de phytofiltration en toiture et de récupérer l’eau polluée, la filtrer et la remettre en réserve, puis en circulation.

Lutter contre l’étalement urbain.

Quand on raisonne à l’échelle de la parcelle, et non pas de l’îlot, on aboutit à des situations complètement inefficaces en termes d’occupation des sols. Penser à l’échelle de l’îlot permet de gérer de façon beaucoup plus efficace, d’un point de vue urbanisme, les vues aux autres et les retraits par rapport à l’espace urbain. On fait de la densité vertueuse.

Les acteurs de l’urbanisme et du bâtiment doivent plus se parler.

La densification, cela doit aussi nous amener à multiplier les surélévations, en conservant les bâtis existant, pour stopper la création de déchets de chantier dont on ne sait que faire. On constate à Paris notamment, de nombreux projets de construction d’habitat en bois au-dessus d’immeubles pour recréer du logement dans les aspérités des villes.

La densification passe également par plus de mutualisation des espaces et des usages croisés, solutions qui économisent du foncier.

Épuisement des ressources non renouvelables.

Nos ouvrages doivent devenir des banques de matériaux. Il nous faut construire avec des matériaux moins complexes, plus démontables, avec une vraie banque de données qui permettra aux générations futures de s’approprier les matériaux quand ils les déconstruiront, pour refaire d’autres bâtiments.

En conclusion

Il y a beaucoup de solutions pour limiter les effets du dérèglement climatique sur la qualité de la vie pour qu’il fasse toujours bien vivre en ville en 2050. C’est là désormais l’essentiel de notre métier.

Je vous invite à bloquer dans vos agendas les 12 et 13 septembre 2019, et venir à Cities to Be à Angers poursuivre les échanges et passer à l’action.

Laurent Rossez, Président de NOVABUILD

 

 

Article publié sur NOVABUILD
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