[Edito de conclusion] : Leviers d’action : il est temps de nous jeter à l’eau !

868 Dernière modification le 20/10/2023 - 15:22
[Edito de conclusion] : Leviers d’action : il est temps de nous jeter à l’eau !

Après les nombreuses contributions de ce dossier qui ont permis de poser les enjeux et opportunités, il est temps de passer à l’action.

Sobriété foncière, renouvellement urbain et végétalisation : le bâtiment, échelle d’importance

La sobriété foncière, le renouvellement urbain, le recyclage de foncier déjà artificialisé et la rénovation du bâti existant sont des prérequis clés, avant tout recours à l’étalement urbain et à la compensation. Si l’échelle du territoire et la tutelle des collectivités locales est indispensable à la sobriété foncière et à un aménagement du territoire préservant les continuités écologiques, celle du bâtiment et de la maîtrise d’ouvrage privée est tout aussi essentielle. Une part importante du foncier disponible pour accueillir la nature est en effet constituée par les espaces privés des ilots bâtis.

Dans l’agglomération lyonnaise, 70 % de la végétation relève du domaine privé¹. Chaque îlot est à mobiliser pour contribuer aux infrastructures vertes. Les travaux menés par l’Agence parisienne d’urbanisme (Apur), dans le cadre de l’élaboration du Plan local d’urbanisme bioclimatique de la Ville de Paris ont par exemple montré que 27 % de la surface de la ville (hors plans d’eau) sont perméables, dont 33,6% en cœur d’îlot. Chaque bâtiment et son proche environnement ont également un rôle important à jouer dans l’adaptation climatique. La végétalisation du bâti contribue au confort d’été. 

De la même manière qu’un oiseau ne distingue pas les limites administratives lorsqu’il se perche sur un arbre, les espaces de nature en ville sont à considérer, autant que possible, comme des communs, qu’ils soient publics ou privés, bénéficiant au plus grand nombre. La mobilisation de bâtiments publics à usage restreint, comme l’ouverture des cours d’écoles débitumées et plantées en dehors des heures de classe (cours Oasis) est une voie à explorer sans attendre.

L’intégration de la nature à la ville, au quartier et au bâtiment comporte ainsi, de manière synthétique, trois grandes dimensions²  :

  • écologique : participer à réduire l’empreinte de la ville sur la biodiversité des territoires et reconstituer des continuités écologiques, par une plus grande sobriété foncière et la renaturation de certains délaissés ;
  • servicielle : s’inspirer du fonctionnement des écosystèmes pour réduire l’impact du dérèglement climatique et répondre de manière efficace à l’obsolescence des infrastructures grises accumulées ;
  • sociale : favoriser le développement d’un nouveau contact avec le vivant, de nouvelles expériences de nature, concourant au bien-être physique et mental individuel et favorisant de nouveaux liens collectifs.

Flécher, mesurer, concevoir et aménager, gérer et animer : des leviers pour agir

Sous l’impulsion des scientifiques et de la société civile, la réglementation évolue et prend en compte de plus en plus la biodiversité, qui devient une dimension incontournable³ . Le cadre de référence commun pour la construction de nouveaux bâtiments développé dans le cadre du projet CAP2030 devrait préfigurer les contours de la prochaine RE2020 à horizon 2030. Des démarches volontaires, appuyées parfois sur les certifications et les labels, sont parfois mises en œuvre par les professionnels pour accélérer, anticiper et inspirer ces obligations. 

Six grands leviers peuvent être actionnés :

  1. Flécher les investissements : l’article 29 de la loi Energie-climat complète le droit européen en vigueur, notamment dans le domaine de la biodiversité, via la publication de stratégie d’alignement sur les objectifs internationaux de préservation de la biodiversité, avec des objectifs chiffrés. Elle instaure l’obligation d’un reporting dédié pour les investisseurs, par la mesure d’une empreinte biodiversité. Pour la première fois, l’enjeu biodiversité est hissé au même niveau que celui du carbone. Le programme de recherche appliquée Biodiversity impulsion group (BIG), créé en 2021, vise notamment à définir les indicateurs de référence du secteur de l’immobilier.
  2. Mesurer les impacts de manière synthétique est indispensable, à la fois pour aider au ciblage des investissements, guider la conception des projets et évaluer l’efficacité de la gestion. Un nombre très conséquent d’indicateurs et d’outils est disponible, comme le Coefficient de Biotope par Surface (CBS). Face aux injonctions parfois contradictoires des projets, entre tous les services attendus de la nature en ville, des approches multicritères sont à privilégier, à l’image de l’outil Biodi(V) strict ou de référentiels comme ceux des labels BiodiverCity  ou Effinature. Pour mesurer l’empreinte biodiversité ex situ, d’autres méthodes sont créées à l’échelle des chaînes de valeur, ou sont en cours d’élaboration pour ce qui est des approches en Analyse du Cycle de Vie Biodiversité.
  3. Concevoir les projets, en associant l’expertise de l’écologue et la vision d’ensemblier du vivant et des espaces ouverts du paysagiste concepteur, pour réaliser les études préalables, formaliser l’ambition écologique des projets, anticiper la gestion et l’implication des usagers. Une attention particulière est à porter à chaque site, au « génie des lieux », pour intégrer pleinement les spécificités locales et définir un parti-pris assumé et partagé, anticipant la gestion. 
  4. Aménager, en préservant et en développant la biodiversité, y compris en phase chantier, grâce aux différents guides élaborés sur le sujet et en s’appuyant sur les professionnels du végétal, du paysage et du génie écologique⁴.
  5. Gérer les espaces, avec un entretien adapté aux objectifs écologiques et à l’intensité d’usages de chaque site. Une contractualisation sur le temps long, d’une durée minimale de 5 ans, assortie du suivi d’un certain nombre d’indicateurs, est à privilégier pour développer toute la valeur écologique et d’usages.
  6. Animer et impliquer les usagers, pour créer un lien sensible entre chaque habitant et la nature qui les entoure et développer les expériences de nature, indispensables à un changement de regard et au passage à l’action. 

Au sein des secteurs du BTP et du paysage, des centres de recherche et d’expérimentation, des cabinets de conseils, des entreprises de travaux et de gestion et de nouvelles entreprises d’ingénierie, la France dispose de nombreuses compétences pour la biodiversité urbaine. Une enquête menée par le ministère en charge de l’Ecologie a montré la volonté d’agir d’un large panel d’acteurs de cette nouvelle filière. Une vaste campagne de formation est requise, comme inscrit désormais dans la Stratégie Nationale Biodiversité de la France adoptée cette année.

Oui, il est possible de faire du vivant une composante clé de la ville, pour ne pas dire le nouveau ciment du bâtiment responsable. Habiter la nature n’est pas un énième oxymore en forme de slogan. Ce n’est pas un appel au repentir, pas plus que la traduction d’une vision spéciste. C’est un appel au dépassement des clivages, entre d’un côté une vision fantasmée et idéalisée de la nature et de l’autre une confiance démesurée dans la suprématie de l’espèce humaine sur le reste du vivant. Habiter la nature est un projet de société, aussi enthousiasmant qu’urgent à mettre en œuvre !

 

Un édito signé Pierre Darmet, Delphine Mourot et Lois Moulas

 

 

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