Du zéro artificialisation à la sobriété foncière

1627 Dernière modification le 15/06/2023 - 15:19
Du zéro artificialisation à la sobriété foncière

 

« Il revient aux élus de prendre dès à présent les décisions politiques nécessaires pour préserver les sols et leur biodiversité afin d'assurer le bien-être et laisser une cadre de vie de qualité aux générations futures » - L'opinion d'Eric Raimondeau et Bernard Lensel, Urbanistes des Territoires. 

Une uniformisation des démarches à l’échelle nationale

Le Zéro Artificialisation Nette (ZAN) est acté pour l’horizon 2050. Des mesures législatives fortes devront être intégrées dans les différents documents d’urbanisme. Des dérogations et des adaptations aux règles prescrites sont prévues.

L’atteinte de la sobriété foncière encadre fermement le développement commercial et les zones d’activités à vocation économique. 

Néanmoins, la prise en compte des contexte territoriaux très différents que celui de la Région Parisienne et que des Régions aussi différentes par exemple que la Bourgogne-Franche Comté ou la Corse est loin d’être effective : cette uniformisation des mesures est très critiquée par les élus locaux et la population, sur le terrain.

L’atteinte du Zéro Artificialisation Nette fortement encadrée 

Entre 2009 et 2019, 276 377 ha ont été consommés soit entre 20 et 30 000 ha par an. Pour engager une diminution de la consommation foncière, la loi fixe deux échéances : la première s’étire sur la période 2021-2031 au cours de laquelle la consommation foncière devra être réduite de 50 % par rapport à celle constatée entre 2010 et 2021 ; puis, il y aura obligation d’arriver au Zéro Artificialisation Net en 2050, par tranches de 10 ans, qui s’échelonneront de 2031 à 2050.

Mais comment définir le ZAN ?

La loi définit l’artificialisation comme l'altération durable de tout ou partie des fonctions écologiques d'un sol, en particulier de ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques, ainsi que de son potentiel agronomique par son occupation ou son usage.

La renaturation, ou désartificialisation d’un sol, consiste en des actions ou des opérations de restauration ou d'amélioration de la fonctionnalité d'un sol, ayant pour effet de transformer un sol artificialisé en un sol non artificialisé.

L’artificialisation nette résulte de la soustraction entre l’artificialisation et la renaturation sur un périmètre et une période donnés. Cette démarche est intéressante car elle permet d’agir sur les tissus urbains existants, notamment sur l’étalement pavillonnaire et sur les parcs commerciaux, artisanaux et industriels, dont l’aménagement est souvent de piètre qualité et gourmand en foncier.

Allier pragmatisme et efficacité

Se projeter jusqu’en 2050, sans connaître avec précision les prochains développements économiques et politiques, est un pari fort audacieux. 

Ne raisonner que sur le plan de l’arithmétique dans le domaine de l’urbanisme, domaine qui a fortement trait aux sciences humaines, risque fort de donner une dimension rigide et caricaturale au développement dit durable : ne plus faire la synthèse des trois volets de celui-ci peut donner lieu à des tensions non gérables.

Ne vaudrait-il pas mieux opter pour une réelle sobriété foncière, qui intègre les données du développement économique et social, en compensant la consommation beaucoup plus modérée que par le passé du foncier par des reconquêtes d’espaces libres, rendus perméables, végétalisés avec volonté et cohérence.

La densité urbaine est un critère qui peut être positif, notamment s’il engendre de la sobriété foncière, mais elle ne peut être abordée de façon monocritère : les équipements, les services, les transports, la lutte contre les îlots de chaleur, les trames vertes et bleues à muer en « ruisseau de fraîcheur » sont autant de critères à intégrer à une démarche d’urbanisme durable, en passant ainsi de la densité à l’intensité urbaine.

L’évolution des documents d’urbanisme

Dans le respect de la hiérarchie des normes, l’évolution des normes devra se faire à l’intérieur d’échéances clairement annoncées dans la loi sous forme de procédure de modification simplifiée. 

Ainsi, les Schémas Régionaux d’Aménagement de Développement Durable et d’Equilibre des Territoires (SRADDET) devront évoluer avant le 22 février 2024. 

Les schémas de Cohérence Territoriale (SCOT) devront avoir effectué leur mue avant le 22 aout 2026.

Pour les Plans Locaux d’Urbanisme communaux ou intercommunaux PLU(I) la date butoir est celle du 22 août 2027.

Lors de ces procédures d’évolution, les collectivités concernées auront l’obligation d’y inscrire un objectif de réduction du rythme de l’artificialisation des sols par tranche de dix années.

Les élus devront réfléchir pour atteindre une diminution de l’artificialisation des sols tout en envisageant d’aménager leurs communes de façon différente.

Les activités commerciales et les zones d’activités

La loi tente une nouvelle fois de réguler le développement des grandes surfaces qui favorise l’étalement urbain et encourage à l’utilisation de la voiture.

L’autorisation d’exploitation commerciale devra démontrer que le projet n’engendre pas d’artificialisation du sol et qu’aucune friche existante est susceptible d’accueillir le projet.

Désormais, la loi interdit tout nouveau projet de construction de surfaces commerciales de plus de 10 000 m². Tout projet compris entre 3000 et 10 000 m² devra préalablement recevoir l’avis conforme du préfet.

Une autorisation pourra cependant être délivrée si le projet s’insère en continuité avec les espaces urbanisés dans un secteur à la typologie adéquate, et répondant aux besoins du territoire au travers de critères définis par la loi.

Les zones d’activité économiques (ZAE) les plus anciennes ont généralement une densité généralement faible. Celle-ci est aussi liée à l’activité précise du secteur : ainsi, les activités de logistique impliquent moins de densité et créent moins d’emplois que les industries de précision, par exemple.

Dans ces secteurs souvent vastes, le foncier résiduel existant pourra être optimisé par une requalification des surfaces existantes tout en répondant aux demandes d’implantation des acteurs économiques.

Les collectivités et EPCI compétente en développement économique ont l’obligation d’établir un inventaire des ZAE à  caractère artisanal, industriel, tertiaire, commercial, touristique, portuaire et aéroportuaire 

Cet inventaire permettra de faire l’état des unités foncières et de leurs propriétaires et leur taux de vacance tout en mettant en exergue le foncier optimisable.

L’évaluation de la Sobriété foncière et les moyens à mettre en place 

La loi impose aux collectivités de rendre des comptes sur les résultats de leurs actions pour atteindre la sobriété foncière.

Le SCOT  et le PLUI  devront ainsi être évalués tous les 6 ans  après « la dernière délibération portant révision complète » de ce document. Les actions devront être analysées afin de savoir si les objectifs ont été atteints. 

L’Etat devra lui aussi « au moins une fois tous les cinq ans » rendre « public un rapport relatif à l’évaluation de la politique de limitation de l’artificialisation des sols » qui présentera « l’évolution de l’artificialisation des sols au cours des années civiles précédentes ». Il dresse le bilan de la présente loi en matière de lutte contre l’artificialisation et évalue l’efficacité des mesures de réduction de l’artificialisation. » 

Les moyens à mettre en place, tant pour les services de l’Etat que pour ceux des collectivités territoriales, sont néanmoins primordiaux : nous pouvons déjà constater des situations de non-respect manifeste des zones classées naturelles, avec des réactions insuffisamment rapides des services, par manque d’effectifs et de formation adaptée.

Lorsqu’il s’agira du contournement de mesures plus coercitives, non forcément comprises ou acceptées, la tension risque de s’accentuer sérieusement.

L’aménagement de la ville va se poursuivre

Il est bon de préciser que la loi climat et résilience n’a pas pour but de stopper toute urbanisation du pays.

On va continuer à urbaniser. Mais toute artificialisation devra être compensée par de la renaturation ainsi que par l’utilisation rationnelle des poches de foncier résiduel qui existent sur les espaces déjà urbanisés. Il en va de même sur les friches et les locaux vacants à l’intérieur des territoires. 

Nous voyons bien qu’avec cette loi, nous changeons véritablement de paradigme dans la mise en œuvre d’un urbanisme communal ou intercommunal.

Poursuivre l’aménagement d’un territoire, face à la rareté grandissante du foncier d’ici 2050, constitue désormais un véritable défi à relever pour une équipe municipale. 

Même s’ils partagent les objectifs de la loi, de nombreux élus de communes rurales sont cependant inquiets : comme nous l’avons vu, ils lui reprochent de s’appliquer de façon uniforme sur l’ensemble des territoires sans tenir compte des spécificités géographiques locales de ceux-ci. Ces communes, ces villages, ont très peu urbanisé au cours de la dernière décennie et l’Etat leur demande, en plus, de diviser par deux cette faible consommation d’espace pour la période 2021-2031. Ce qui représente une véritable « double peine » et accentuerait encore les inégalités sur le niveau national.

Comment faire dans ces conditions pour accueillir de nouveaux habitants ? Comment faire pour éviter un vieillissement trop important de leur population qui accentuerait encore plus, à terme, la désertification de leurs territoires ? 

De ce fait, ces élus se sentent désavantagés par rapport aux grosses intercommunalités ou aux métropoles qui ont consommé, en grande quantité, du foncier ces dernières années dans de vastes opérations d’urbanisme. Ces dernières se verront donc moins pénaliser pour les objectifs à atteindre lors de la période 2021-2031.

Ces élus ruraux ressentent une dichotomie entre des objectifs qui se déclinent uniformément sur l’ensemble du territoire national, et la nécessité de poursuivre un développement mesuré et harmonieux de leurs communes. Alors qu’ils ont l’obligation de poursuivre l’amélioration du cadre de vie, le développement des aménités de la ville, l’accueil de nouveaux habitants et le maintien des activités économiques de proximité.

A l’heure où le changement climatique est une réalité, où le réchauffement du climat se fait un peu plus sentir chaque été, il revient aux élus de prendre dès à présent les décisions politiques nécessaires pour préserver les sols et leur biodiversité pour assurer le bien-être et laisser une cadre de vie de qualité aux générations futures, tout en œuvrant pour un meilleur équilibre entre territoires en croissance et territoires en déprise.

 

 

 

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